Kevin MacDonald : Culture De La
Critique – Les Juifs Et La Gauche (2)
Le communisme et l’identification juive en Pologne
Les travaux de Schatz sur le groupe de communistes juifs qui
sont arrivés au pouvoir en Pologne après la Deuxième Guerre
mondiale, qu’il appellela
génération, nous importent car ils mettent en lumière les
processus d’identification de toute une génération de Juifs
communistes en Europe de l’Est. Contrairement à ce qui s’est
passé en Union Soviétique, où la faction la plus juive menée par
Trotski a été vaincue, nous pouvons suivre en Pologne les
activités et les identifications d’une élite communiste juive
qui a pris le pouvoir et l’a tenu pendant une longue période.
La grand majorité des membres de ce groupe avait été socialisée
dans des familles juives très traditionnelles, où
la vie domestique, les coutumes et les folklore, les
traditions, les loisirs et les relations entre générations
étaient imprégnés de normes et de valeurs essentiellement
juives […] Le noyau de l’héritage culturel leur fut légué
dans les formes par la pratique et l’éducation religieuse,
les cérémonies, les contes, les chansons, en écoutant les
histoires narrées par les parents et grands-parents et les
discussions des adultes. Ils étaient donc pourvus de ce
solide noyau d’identité, de valeurs, de normes et
d’attitudes quand ils entrèrent en rébellion en tant que
jeunes adultes.Ce
noyau dut subir des transformations au cours des processus
d’acculturation, de sécularisation et de radicalisation, qui
allaient parfois jusqu’au rejet explicite. Il n’en reste pas
moins que cette couche profonde allait filtrer toutes leurs
perceptions ultérieures.(Shatz,The
Generation : The Rise and Fall of the Jewish Communists of
Poland, p. 37-38.)
Remarquons ici les implications des processus de fausse
conscience : les membres dela
générationniaient les effets de cette
expérience intégrale de socialisation, laquelle devait pourtant
déteindre sur toutes leurs perceptions postérieures, de telle
sorte qu’en un sens tout à fait réel,ils
ne savaient pas à quel point ils étaient juifs. La plupart
d’entre eux parlaient yiddish dans la vie quotidienne et
n’avaient qu’une faible maîtrise du polonais, même après leur
incorporation dans le parti. Ils ne fréquentaient que des Juifs,
qu’ils rencontraient dans le monde juif du travail, du voisinage
et dans les organisations sociales et politiques juives. Une
fois devenus communistes, ils se marièrent entre eux et leur vie
sociale se déroulait en yiddish. Comme c’est le cas de tous les
mouvements intellectuels et politiques juifs que nous étudions
dans ce traité, leurs mentors et leurs influences déterminantes
étaient tous des Juifs ethniques – singulièrement Trotski et
Luxembourg – et quand ils faisaient mention de leurs héros
personnels, tous étaient des Juifs dont les exploits prenaient
des dimensions quasi-mythiques.
Les Juifs qui intégraient le mouvement communiste ne rejetaient
pas au préalable leur identité ethnique, nombre d’entre eux «
chérissaient leur culture juive […] et rêvaient d’une société
dans laquelle les Juifs seraient et resteraient juifs » (ibidemp.
48). De fait, il n’était pas rare du tout que des individus
combinassent une forte identité juive avec le marxisme et des
mélanges variables de bundisme et de sionisme. En outre, le
marxisme se recommandait aux Juifs polonais dans la mesure où
ils savaient que les Juifs avaient obtenu des positions de
pouvoir et d’influence très élevées en URSS et qu’ils avaient
mis en place un système d’éducation et de culture juive. En
Union Soviétique comme en Pologne, on voyait le communisme comme
une puissance opposée à l’antisémitisme. Contradictoirement, le
gouvernement polonais excluait les Juifs du secteur public,
instituait des quotas dans les universités et les professions
libérales et boycottait officiellement des entreprises juives.
Très clairement, les Juifs voyaient dans le communisme quelque
chose debon
pour eux-mêmes. C’était le mouvement qui ne mettait pas en
péril la perpétuation du groupe juif, qui leur promettait
pouvoir et influence et qui mettait fin à l’antisémitisme
d’État.
A une extrémité du spectre de l’identification juive, on
trouvait les communistes qui avaient commencé leur carrière dans
leBundou
chez les sionistes, parlaient yiddish et travaillaient
entièrement dans un milieu juif. Les identifications juives et
communistes étaient aussi sincères l’une que l’autre et sans
ambivalence. Aucun conflit n’était perçu entre ces deux sources
d’identité. A l’autre bout du spectre de l’identification juive,
on trouvait des communistes qui pourraient avoir voulu édifier
un État « desethnicisé », sans perpétuation du groupe juif, bien
que les preuves de cette volonté soient loin d’être suffisantes.
Dans la période qui précède la Deuxième Guerre mondiale, même
les plus « desethnicisés » des Juifs ne s’assimilaient
qu’extérieurement en s’habillant comme des Gentils, en adoptant
leurs prénoms (ce qui peut ressembler à une tromperie) et en
apprenant leur langue. Ils cherchaient à recruter des Gentils
dans le mouvement, mais ne s’assimilaient pas à la culture
polonaise et ne cherchaient pas à le faire.
Ils conservaient les « attitudes hautaines et méprisantes »
traditionnelles chez les Juifs, face à ce qu’ils considéraient,
en bons marxistes, comme une culture « attardée » de paysans
polonais (ibid.p.
119). Même les communistes juifs les plus assimilés, ceux qui
travaillaient dans les grandes villes avec des non-juifs,
s’indignèrent profondément du pacte germano-soviétique de
non-agression et furent soulagés au déclenchement de la guerre
entre ces deux puissances, ce qui indique clairement que leur
identité personnelle juive n’était pas restée loin de la
surface. Le Parti Communiste de Pologne (PCP) avait soin de
promouvoir les intérêts juifs et n’obéissait pas aveuglément à
l’Union Soviétique. A ce titre, Schatz considère que si Staline
a dissout le PCP en 1938, c’est à cause de la présence de
trotskistes en son sein et parce qu’il s’attendait à ce que
celui-ci s’opposât à l’alliance avec l’Allemagne nazie.
Dans mon livreSeparation
And Its Discontents,j’affirme que
l’ambivalence dans l’identification est un trait constant du
judaïsme depuis l’époque des Lumières. Il est intéressant de
remarquer que les militants juifs polonais montrent une telle
ambivalence, qui provient en dernière analyse de la
contradiction qu’il y a « entre la croyance d’une sorte
d’existence collective juive, mêlée au rejet d’une telle
communion ethnique, qui était considérée comme incompatible avec
la division en classes et nuisible à la lutte politique en
général ; entre la volonté de maintenir un type de culture juive
spécifique, mêlée à l’idée qu’il ne s’agissait que d’une forme
ethnique particulière du message communiste qui devait servir à
incorporer les Juifs dans la communauté socialiste polonaise ;
entre la volonté de conserver des institutions juives à part,
tout en désirant éliminer la séparation juive comme telle » (p.
234).
Nous allons observer que les Juifs, y compris les Juifs
communistes aux plus hauts échelons du gouvernement,
continuaient de se voir comme un groupe soudé et identifiable.
Bien que le caractère spécifiquement juif de leur expérience
collective n’apparût pas à leurs propres yeux, celui-ci
n’échappait pas aux yeux des autres, cas frappant de fausse
conscience que nous scruterons plus tard en étudiant le cas des
Juifs gauchistes américains.
Ces communistes juifs élaboraient des rationalisations et des
auto-tromperies quant au rôle du mouvement communiste en
Pologne, de telle sorte qu’on ne peut pas tirer, à partir du
manque de preuves de leur identité ethnique juive affirmée, un
manque d’identité juive tout court.
Des anomalies cognitives et émotionnelles – des
déformations, des blocages et des mutilations de la pensée
et du sentiment – étaient le prix à payer pour conserver
leurs croyances intactes […]. L’ajustement de leurs
expériences à leurs croyances se faisait par le truchement
de l’interprétation, de la suppression, de la justification
ou du déni argumenté. (ibidemp.
191)
Autant ils étaient capables d’appliquer avec talent leur
pensée critique en analysant de façon pénétrante le système
socio-politique qu’ils rejetaient, autant ils étaient
bloqués quand il s’agissait d’appliquer les mêmes règles et
exigences d’analyse critique au système qu’ils considéraient
comme étant l’avenir de toute l’humanité. (ibid.p.
192)
Cette combinaison de fausse conscience rationalisée et d’une
très forte teneur en identité juive peut se lire dans les propos
de Jacub Berman, un des plus hauts dirigeants polonais de
l’après-guerre. (En Pologne, tous les dirigeants communistes
dans la période 1948-56 : Berman, Boleslaw, Bierut, Hilary Minc,
étaient juifs). Au sujet des purges et des meurtres de milliers
de communistes, dont de nombreux Juifs, en URSS dans les années
1930, Berman déclare ce qui suit :
J’ai tâché du mieux que j’ai pu d’expliquer ce qui se
passait, de clarifier les tenants et aboutissants, les
situations très conflictuelles et remplies de contradictions
internes où Staline devait se trouver et qui l’ont contraint
à agir comme il l’a fait et à exagérer les erreurs de
l’opposition, lesquelles prirent des proportions grotesques
dans les accusations judiciaires, et à nouveau gonflées par
la propagande soviétique. Il fallait beaucoup d’endurance et
de dévouement pour accepter ce qui se passait, malgré toutes
les distorsions, les insultes et les tourments. (inToranska,«
Them » : Stalin’s Polish Puppetsp. 207)
En ce qui concerne son identité juive, Berman répondit comme
suit, alors qu’on s’enquérait de ses plans pour l’après-guerre :
Je n’avais pas de plan particulier. Mais je savais qu’en
tant que Juif, je ne pourrais pas postuler aux postes les
plus élevés. Mais cela ne me gênait pas de ne pas être aux
premiers rangs, non pas que je fusse si humble de nature,
mais parce qu’il n’y a pas besoin d’être sous les feux de la
rampe pour détenir le véritable pouvoir. Ce qui m’importait,
c’était d’exercer mon influence, d’apposer mon sceau lors de
la formation si compliquée des gouvernements, ce que je
faisais sans devoir m’exposer. Évidemment, l’exercice
demandait une certaine agilité. (ibidemp.
237)
Nous voyons clairement que Berman se voit comme Juif et qu’il
est conscient que les autres le voient ainsi, et qu’il faut donc
faire adopter artificieusement un profil bas à sa personnalité
publique. Berman fait aussi remarquer qu’il fut, en tant que
Juif, soupçonné pendant la campagne anti- « cosmopolite » qui
commença en URSS à la fin des années 1940.
Les pattes des Juifs encore une fois ? Non, jamais !
Son frère, membre du Comité Central de l’Organisation des Juifs
Polonais (laquelle voulait mettre sur pied une culture juive
laïcisée dans la Pologne communiste), émigra en Israël en 1950
pour fuir les conséquences de la ligne antisémite adoptée en
Pologne, sous inspiration soviétique. Berman explique qu’il n’a
pas suivi son frère en Israël malgré les demandes pressantes de
celui-ci : « J’étais bien sûr intéressé par ce qui se passait en
Israël, d’autant plus que je connaissais bien ceux qui y
allaient » (ibid.p.
322). Évidemment, son frère ne le considérait pas comme
non-Juif, mais comme un Juif qui devait émigrer en Israël à
cause de l’antisémitisme naissant. La proximité des liens de
famille entre un très haut cadre du gouvernement communiste
polonais et un militant de l’organisation qui promouvait la
culture laïque juive en Pologne indique que même chez les plus
assimilés des communistes polonais de l’époque, on ne voyait pas
d’incompatibilité à s’identifier comme Juif et comme communiste.
Tandis que les membres juifs du PCP considéraient le parti comme
avantageux pour les intérêts juifs, celui-ci était vu par la
gentilité polonaise, même avant la guerre, comme «
pro-soviétique, anti-patriotique et ‘pas vraiment polonais’ d’un
point de vue ethnique » (Schatz,op.
cit.p. 82). La perception de ce manque de
patriotisme était la source principale de l’hostilité populaire
envers le PCP.
D’un côté, pendant la plus grande partie de son existence,
le PCP était en guerre non seulement contre l’État polonais,
mais aussi contre l’ensemble du corps politique, y compris
contre les partis d’opposition institutionnelle de la
gauche. D’autre part, aux yeux de la grande majorité des
Polonais, le PCP était un agent étranger et subversif aux
ordres de Moscou, qui avait juré de détruire l’indépendance
de la Pologne, gagnée de haute lutte, pour la faire entrer
dans le giron soviétique. Appelée « agence soviétique » et «
commune juive », l’organisation était vue comme une
conspiration dangereuse et fondamentalement non-polonaise
qui cherchait à saper la souveraineté nationale et à
restaurer sous une autre forme la domination russe.
(Coutovidis & Reynolds,Poland,
1939-47, p. 115)
Le PCP soutint l’Union Soviétique lors de la guerre
soviéto-polonaise de 1919-20 et l’invasion soviétique de 1939.
Il accepta la frontière soviéto-polonaise de 1939 et se montra
assez indifférent au massacre des prisonniers de guerre polonais
pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors que le gouvernement
polonais en exil tenait une position nationaliste sur ces
questions. L’armée soviétique et ses alliés polonais, «
déterminés par de froides raisons de calcul politique ou sous la
pression des nécessités militaires, ou les deux ensemble »,
laissèrent l’insurrection de l’Armée de l’Intérieur, fidèle au
gouvernement non-communiste en exil, être écrasée par les
Allemands au prix de deux cent mille morts, ce qui anéantit « la
crème de l’élite militante anti-communiste et non-communiste »
(Schatz,op.
cit.p. 188).
L’artifice consistant à gommer la physionomie juive du mouvement
communiste était aussi de mise dans la ZPP (sigle de l’Union
des Patriotes Polonais, une vitrine communiste au nom
orwellien, que l’URSS avait créée en vue de l’occupation de la
Pologne après la guerre). Mis à part les membres dela
générationdont la loyauté était tenue pour
certaine et qui en formaient le noyau dirigeant, les Juifs
étaient dissuadés de rejoindre cet organisme, de peur qu’il
n’apparût comme trop juif. Toutefois, on le permettait aux Juifs
qui pouvaient passer physiquement pour des Polonais.
On les invitait à s’enregistrer en tant que Polonais ethniques
et à changer leurs noms. « On ne le demandait pas
systématiquement, car avec certains d’entre eux, il n’y avait
rien à faire : ils avaient l’air vraiment trop juifs. » (ibidemp.
185)
Quand ce groupe accéda au pouvoir après la guerre, il servit les
intérêts politiques, économiques et culturels des Soviétiques,
tout en promouvant avec véhémence les intérêts spécifiquement
juifs, par exemple en détruisant l’opposition politique
nationaliste qui professait un antisémitisme ouvert, en partie
motivé par l’idée que le groupe juif favorisait la domination
soviétique. La purge du groupe de Wladyslaw Gomulka après la
guerre fut l’occasion de la promotion des Juifs et du
bannissement total de l’antisémitisme. Qui plus est, la
polarisation entre le gouvernement communiste polonais sous
domination juive et soutenu par les Soviétiques d’une part, et
la clandestinité nationaliste et antisémite d’autre part, permit
au pouvoir communiste d’obtenir l’allégeance de la grande
majorité de la population juive, alors que le gros des Polonais
non-juifs était en faveur des partis anti-soviétiques.
Il en ressortit un antisémitisme encore plus marqué. A l’été
1947, environ 1500 Juifs avaient été tués dans des incidents
enregistrés dans 155 localités. Le cardinal Hlond, au sujet d’un
incident où 41 Juifs furent tués en 1946, remarquait que le
pogrom s’expliquait par le fait que « les Juifs occupaient des
positions dominantes dans le gouvernement polonais et
s’efforçaient d’implanter un type d’État dont les Polonais, dans
leur majorité, ne voulaient pas » (id.p.
107).
Le pouvoir communiste sous domination juive s’évertuait à
maintenir et à ressusciter la vie juive en Pologne de façon à ce
que, comme en URSS, on n’eût pas à craindre un quelconque
dépérissement du judaïsme en régime communiste. Dans la « vision
ethno-politique » de ces militants juifs, la culture juive
laïque devait se perpétuer en Pologne avec l’aval et le soutien
de l’État. Dans ces conditions, tandis que le pouvoir faisait
campagne contre le pouvoir politique et culturel de l’Église
catholique, la vie collective juive s’épanouit dans
l’après-guerre. Des écoles et des publications en yiddish et en
hébreux furent lancées, toute une variété d’organisations
culturelles et d’entraide sociale pour Juifs furent mises sur
pied. Une partie non-négligeable de la population juive trouva
un emploi dans les entreprises coopératives juives.
Ajoutons à cela que le gouvernement sous domination juive voyait
la population juive, où l’on trouvait beaucoup de gens qui
n’avaient jamais été communistes, comme
un réservoir de gens fiables à rallier au projet de
reconstruction du pays. Même s’il ne s’agissait pas de vieux
camarades éprouvés, ils avaient l’avantage de ne pas avoir
de racines dans les rapports sociaux de la société
anti-communiste. Ils étaient étrangers à ses traditions
historiques, n’avaient aucun lien à l’Église catholique et
étaient détestés par les ennemis du régime. Par conséquent,
on pouvait compter sur eux et leur attribuer des postes. (id.p.
212-13)
Avoir des origines juives étaient un avantage dans le
recrutement des agents des services de sécurité intérieure. Lagénérationdes
communistes juifs avait bien vu que son pouvoir dérivait
entièrement de l’Union Soviétique et qu’elle allait devoir
employer la coercition pour se faire obéir d’une société
non-communiste foncièrement hostile. Le noyau dur des services
de sécurité était formé de Juifs qui étaient déjà communistes
avant l’établissement du pouvoir communiste polonais, mais il
s’adjoignit l’assistance d’autres Juifs sympathisants du régime
et détachés de la société au sens large. Ce genre de faits
accentua d’autant plus l’image populaire du Juif en tant
qu’agent de l’étranger et ennemi des Polonais ethniques.
Les agents juifs des forces de sécurité intérieure semblent
avoir été motivés par une haine personnelle et par le désir de
vengeance, lié à leur identité juive :
Leurs familles avaient été assassinées et la clandestinité
anti-communiste leur apparaissait comme la continuation de
cette même tradition antisémite et anti-communiste. Ils
haïssaient autant ceux qui avaient collaboré avec les nazis
que ceux qui s’opposaient au nouvel ordre des choses,
sachant qu’en tant que communistes, ou en tant que
communistes et que Juifs, on les haïssait au moins autant. A
leurs yeux, l’ennemi était fondamentalement le même. Les
vieilles calamités devaient être punies et les nouvelles
empêchées, une lutte sans merci devait être menée pour
ouvrir la voie à un monde meilleur. (id.
p. 226)
Boleslaw Bierut et ses agents patibulaires, mais presque
A l’image de ce qui eut lieu en Hongrie au sortir de la Deuxième
Guerre mondiale, la Pologne se polarisa de telle sorte qu’une
classe dirigeante et administrative à dominante juive – soutenue
par le reste de la population juive et par le pouvoir militaire
soviétique – se rangea en ordre de bataille contre la grande
majorité de la gentilité indigène.
Leur rôle d’intermédiaire transforma ces anciensoutsidersen
élite de fait de la Pologne, et ces anciens hérauts de la
justice sociale allèrent très loin pour protéger leurs
prérogatives, à grands renforts de rationalisation et
d’auto-tromperie. Par exemple, quand un transfuge révéla en 1954
le style de vie luxueux des membres de l’élite (Boleslaw Bierut
avait quatre résidences secondaires et les clés de cinq autres [inTorenska,op.cit.p.
28]), leur corruption et leur rôle d’agents soviétiques, il y
eut des ondes de choc aux niveaux inférieurs du parti. D’où l’on
peut voir clairement le rôle joué par les revendications de
supériorité morale et d’altruisme dans l’élaboration de la
fausse conscience de ce groupe.
Les efforts déployés pour donner un air polonais à ce pouvoir
dominé par les Juifs, n’eurent pas le succès escompté, compte
tenu du trop faible nombre de Polonais fiables et capables
d’occuper des positions dans le parti, la haute administration,
l’armée et les services. On favorisa donc les Juifs qui avaient
coupé les ponts officiels avec la communauté, ceux qui avaient
changé leur nom ou ceux qui pouvaient passer pour Polonais par
leur aspect physique ou leur manque d’accent juif. Quelles que
fussent les définitions que ces individus se donnaient à titre
personnel, ceux qui les recrutaient à des postes de pouvoir
prenaient comme critère leur extraction ethnique perçue, clé de
leur fiabilité. La situation qui s’ensuivit ressemblait à
beaucoup d’égards à celle des sociétés traditionnelles, où Juifs
avoués et Juifs cachés entretenaient entre-soi leurs réseaux
économiques et politiques.
A côté du groupe des hommes politiques influents, trop
restreint pour être qualifié de catégorie sociale, on
trouvait les soldats, les apparatchiks et les
administratifs, les intellectuels et les publicistes, les
policiers, les diplomates et enfin les militants du secteur
juif. Il y avait aussi la masse des gens ordinaires –
employés, artisans et ouvriers – qui partageaient une même
vision idéologique, une même expérience historique et les
mêmes aspirations ethniques. (Shatz,op.
cit.p. 226)
Il faut remarquer que lorsque la domination politique et
économique juive diminua graduellement dans la deuxième moitié
des années 1950, un certain nombre d’entre eux retrouva un
emploi dans les entreprises coopératives juives. Les Juifs
purgés des services de sécurité intérieure reçurent l’assistance
d’organisations juives financées par des Juifs américains. Peu
de doutes subsistent au sujet du maintien de leur identité juive
et de la perpétuation du séparatisme économique et culturel
juif. A ce titre, après l’implosion du régime communiste
polonais, « de nombreux Juifs, y compris des enfants et
petits-enfants d’anciens communistes, sortirent du bois » (Anti-Semitism
Worldwide 1994p. 115). Ils revendiquèrent leur
identité juive et renforcèrent d’autant plus l’idée que beaucoup
de communistes juifs étaient en fait des crypto-Juifs.
Quand le mouvement anti-sioniste et antisémite d’Union
Soviétique passa en Pologne, après le changement de ligne
vis-à-vis d’Israël à la fin des années 1940, il y eut une
nouvelle crise d’identité, issue de la croyance en
l’incompatibilité entre communisme et antisémitisme. On y
répondit soit par l’ « abnégation ethnique » – en faisant des
déclarations niant l’existence de l’identité juive – soit tout
simplement en faisant profil bas. Mais en vertu de la très forte
identification au système parmi les Juifs, la tendance générale
était à la rationalisation, y compris au moment où les Juifs
étaient évincés des positions de pouvoir.
Même quand les méthodes devenaient plus dures et
douloureuses, quand on était forcé d’avouer des crimes
non-commis et à dénoncer les autres, et quand on se rendait
compte des torts commis par des moyens qui violaient la
morale communiste, les convictions idéologiques de base
demeuraient inchangées. Par conséquent, la folie sacrée
triompha, même dans les cellules de prison. (ibidemp.
260)
Pour finir, la campagne anti-juive des années 1960 s’alimenta de
l’affirmation que les Juifs communistes dela
générations’opposaient à la ligne politique de
l’Union Soviétique pro-Arabe au Proche-Orient.
A l’image de ce qui est arrivé aux autres groupes juifs au
travers des âges, les purges anti-juives ne les firent pas
abandonner leur engagement envers le groupe, même si le prix à
payer était une persécution supplémentaire. Au contraire, cet
engagement se fit plus fort encore :
Discipline idéologique inébranlable et obéissance jusqu’à la
mauvaise foi… Ils voyaient le parti comme la
personnification collective des forces de l’histoire et se
voyaient eux-mêmes comme leurs servants. Ils l’exprimaient
par du dogmatisme téléologico-déductif, de l’arrogance
révolutionnaire et de l’ambiguïté morale. (ibid.p.
260-61)
En effet, on constate que la cohésion du groupe dela
générationaugmenta en même temps que ses
revers de fortune. Comme leurs positions étaient érodées par le
nationalisme polonais et l’antisémitisme naissant, ils
devenaient de plus en plus conscients de leur appartenance au
même groupe. Après leur défaite finale, ils perdirent très vite
toute identité polonaise et assumèrent ouvertement des identités
juives, en particulier en Israël, destination de la plupart des
Juifs polonais. Ils auto-critiquèrent leur anti-sionisme et se
firent les ardents partisans d’Israël.
Pour conclure, nous nous appuierons sur Schatz qui montre quela
générationdes Juifs communistes et de leurs
partisans ethniquement juifs doit être considérée comme un
groupe et un agent historique juif. Les preuves indiquent que ce
groupe a servi des intérêts spécifiquement juifs, en particulier
la continuation de groupe juif en Pologne, alors même qu’ils
tâchaient de détruire des institutions comme l’Église catholique
et d’autres expressions du nationalisme polonais au service de
la cohésion sociale des Polonais. Le pouvoir communiste
combattit l’antisémitisme et promut les intérêts économiques et
politiques des Juifs. Même si la reconnaissance subjective de
l’identité juive était certainement variable au sein de ce
groupe, les preuves indiquent une forte teneur d’identité juive
submergée de fausse conscience, même chez les plus assimilés
d’entre eux. La séquence tout entière illustre la complexité de
l’identification juive et l’importance de la fausse conscience
et de la rationalisation au cœur du judaïsme en tant que
stratégie évolutionnaire de groupe.
La mauvaise foi et la rationalisation étaient massives quand il
s’agissait, pour le pouvoir sous domination juive et ses
partisans juifs, d’éliminer les élites nationalistes gentilles,
de s’opposer à la culture nationale polonaise et à l’Église
catholique tout en édifiant une culture juive sécularisée, de
servir d’agent de la domination soviétique en Pologne et de
bâtir ses propres succès économiques, tout en administrant une
économie qui imposait privations et sacrifices au reste du
peuple pour l’atteler au char soviétique.
"Si j'étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord
avec Israël. C'est normal; nous avons pris leur pays. [...] Ils ne voient qu'une seule chose : nous sommes venus et nous
avons volé leurs terres. Pourquoi devraient-ils accepter cela ?"
- David Ben-Gourion, premier ministre israélien, cité par Nahum Goldmann dans
"Le Paradoxe Juif", page 121.