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Prologue
"Laissez
dire; laissez-vous blâmer, condamner,
emprisonner; laissez-vous pendre, mais publiez
votre pensée. Ce n'est pas un droit,
c'est un devoir. La vérité est
toute à tous... Parler est bien,
écrire est mieux; imprimer est excellente
chose Si votre pensée est bonne, on en
profite; mauvaise, on la corrige et l'on en
profite encore. Mais l'abus? Sottise que ce mot;
ceux qui l'ont inventé, ce sont eux
vraiment qui abusent de la presse, en imprimant
ce qu'ils veulent, trompant, calomniant et
empêchant de
répondre"
Paul-Louis
Courier.
Ecris
comme si tu étais seul dans l'Univers et
que tu n'aies rien à craindre des
préjugés des
hommes.
La
Mettrie
A
Albert LONDRES
Hommage posthume
et
à JEAN-PAUL
pour qu'il sache que son père n'eut point
de haine
Avec une
grande abondance de détails et plus ou
moins de bonheur ou de talent, un certain nombre
de témoins ont fait, depuis la
Libération, le tableau des horreurs des
camps de concentration. II ne peut avoir
échappé à l'opinion que
l,imagination du romancier, Les excès de
lyrisme du poète, la partialité
intéressée du politicien ou les
relents de haine de la victime, servent tour
à tour ou de concert, de toile de fond
aux récits jusqu'ici publiés. J'ai
pensé, pour ma part, que le moment
était venu d'expliquer ces horreurs avec
la plume froide,
désintéressée, objective,
à la fois impartiale et impitoyable, du
chroniqueur -- témoin, lui aussi,
hélas! -- uniquement
préoccupé de rétablir la
vérité à l'intention des
historiens et des sociologues de
l'avenir.
P.R.
***
PROLOGUE
[
Partie intégrante de la première
édition de Passage de la Ligne
(1918).]
Bâle,
19 juillet. -- Buchenwald, que l'on croyait
relégué au rang des mauvais
souvenirs laissés par la pègre
nazie, est redevenu un camp de la mort lente,
où s'éteignent les individus
jugés dangereux pour le régime.
Avec sept autres camps -- dont les plus
tristement fameux sont ceux d'Orianenburg et de
Torgau -- il abriterait environ 10.000
déportés.
Deux
journalistes danois qui, au risque de leur vie,
ont pu entrer en contact avec les prisonniers,
rapportent des scènes effarantes. A
Torgau, par exemple, dans des cases de 25
mètres carrés, sont
entassées, comme des bêtes, de 10
à 18 personnes, dans des conditions
d'hygiène pitoyables. Pour tout repas, on
sert à ces malheureux une soupe et un
morceau de pain sec. Plusieurs rescapés
ont expliqué qu'ils avaient
été arrêtés en pleine
nuit par des militaires russes qui
opéraient en collaboration avec la police
allemande, et soumis, pendant des heures, sous
la lumière intense des projecteurs, aux
violences dont on pensait que les Allemands
détenaient seuls le
secret.
Militaires,
anciens fonctionnaires, nazis, gros
propriétaires terriens, directeurs
d'usines et intellectuels, sont
particulièrement
visés.
(Les
Journaux, 20 juillet 1947.)
Londres,
21 juillet (Reuter). -- Le Comité central
de l'E.A.M. a informé les gouvernements
américain, russe, britannique et
français, ainsi que le Conseil de
Sécurité de la
Fédération syndicale mondiale, que
les quinze mille personnes récemment
arrêtées et déportées
par le Gouvernement central de Grèce, se
trouvaient actuellement dans différentes
îles, sans abris et sans
nourriture.
Le
message de l'E.A.M. dit notamment: Nous prenons
à témoin le monde civilisé
en lui demandant de nous prêter son appui
pour mettre un terme aux souffrances du peuple
grec. La situation qui existe dans ce pays est
une honte pour la civilisation."
(Les
Journaux, 22 juillet 1947.)
Washington,
20 août. -- Des rapports récemment
parvenus de Roumanie au Département de
l'Etat ont révélé que
près de 2000 victimes de la
récente rafle des dirigeants des partis
de l'opposition, qui s'est étendue
à tout le pays et a été
dirigée par le régime Groza,
contrôlé par les communistes, se
trouvent actuellement dans des prisons ou dans
des camps de concentration où ils sont
soumis à des traitements cruels et
inhumains, apparemment "dans un but
d'extermination".
(Les
Journaux, 22 août 1947.)
"Désireux
de jeter un coup d'oeil sur les prisonniers qui
se rendaient à leur travail, je me levai
de bonne heure. Une pluie froide tombait. Un peu
après six heures, je vis arriver un
contingent d'environ quatre cents prisonniers
des deux sexes, ils marchaient en colonne par
dix, sous bonne garde, et se dirigeaient vers
les ateliers secrets.
"Il y
avait des années que je voyais des
malheureux de cet acabit et je ne pensais pas
qu'il m'était réservé de
contempler un jour des créatures d'un
aspect plus tragique encore que celles que j'ai
vues dans l'Oural ou en Sibérie.
L'horreur avait ici quelque chose de proprement
diabolique et dépassait tout ce qu'on
pouvait imaginer. Les visages exsangues et d'une
horrible couleur jaunâtre des
détenus ressemblaient à des
masques mortuaires. On eût dit des
cadavres ambulants, empoisonnés par les
produits chimiques qu'ils manipulaient dans leur
affreux purgatoire souterrain.
"Parmi
eux, il y avait des hommes et des femmes qui
pouvaient bien avoir cinquante ans et plus, mais
aussi des jeunes ayant à peine
dépassé leur vingtième
année. Ils allaient dans un silence
accablé, comme des automates, sans
regarder autour d'eux, ils étaient
vêtus d'une façon effarante.
Plusieurs d'entre eux portaient des galoches de
caoutchouc attachées avec des ficelles,
d'autres avaient les pieds enveloppés de
chiffons. Certains étaient
affublés de vêtements de paysans;
quelques femmes portaient des manteaux
d'astrakan déchirés, et je
reconnus sur certains prisonniers les vestiges
de vêtements de bonne qualité et de
provenance étrangère. Au moment
où la sinistre colonne passait devant
l'immeuble d'où je l'observais, une femme
s'affaissa soudain. Deux gardes la
tirèrent hors des rangs, mais pas un des
prisonniers n'eut l'air de s'en apercevoir.
Toute sympathie, toute réaction humaine
étaient mortes en eux.
"Mais
peut-être des hommes de bonne foi se
demanderont-ils s'il ne s'agit pas là de
situations exceptionnelles, de faits atroces
mais isolés. Jusque dans les milieux
ouvriers les plus sincères, des hommes
ont cru voir à être ainsi
persécutés en Russie, uniquement
une minorité de mécontents,
minorité qui serait très
restreinte. Or, il est impossible à tout
esprit se refusant au parti-pris, de ne pas
apercevoir le caractère d'extension, de
tendance vers la généralisation du
travail forcé qui s'affirme en
Russie."
Voici les
données de Kravchenko quant à la
masse humaine qui est l'objet de ce travail
forcé:
"D'autres
contingents, arrivant de différentes
directions, se rendaient a l'enfer souterrain.
Ils venaient des colonies du N.K.V.D.,
cachées au loin, dans les forêts,
à plusieurs kilomètres de
distance. Le soir, je vis une colonne deux fois
plus longue que celle du matin, qui pataugeait
dans la boue et sous la pluie, en route pour le
travail de nuit.
Je ne
fus pas autorisé à descendre sous
terre et, en vérité, je n'en avais
guère envie, mais les conversations que
j'eus pendant les deux journées que je
passai là, me permirent de me faire une
idée assez précise de toute la
misère qui régnait dans cet
endroit. L'usine souterraine était mal
aérée, ayant été
construite en plein affolement et sans qu'on se
souciât le moins du monde de la
santé des ouvriers. Après quelques
semaines passées à respirer ses
vapeurs nocives et sa puanteur, l'organisme
humain était empoisonné à
jamais. Le taux de la mortalité
était extrêmement
élevé. L'usine consommait la
"matière humaine" presque aussi vite que
les matières premières qu'elle
transformait.
"Le
directeur de l'entreprise était un
communiste au visage rébarbatif, qui
portait sur sa tunique je ne sais quel ordre et
toute une rangée de décorations.
Lorsque j'en vins à l'interroger sur ses
ouvriers, il me regarda d'une façon
étrange, comme si je lui eusse
demandé des nouvelles d'un lot de mules
destinées à
l'équarrissage."
(V.
A. Kravchenko, J'ai choisi la
Liberté)
Lyon,
15 juin. -- Le Commissaire Jovin a
été écroué,
l'enquête menée à son sujet
ayant établi que le prévenu Y
était mort de coups reçus pendant
son interrogatoire.
(Les
Journaux, 16 juin 1947.)
Paris,
31 juillet. -- Vingt-deux femmes détenues
pour des peines légères ont
trouvé la mort hier soir, vers 23 heures,
dans un incendie qui, pour des causes encore
indéterminées, s'est
déclaré dans le dortoir-atelier 12
de la prison des Tourelles.
L'ex-caserne
des Tourelles, située boulevard Mortier,
à la Porte des Lilas, n'était pas
faite pour abriter des détenus.
Construction lamentable, elle avait
été depuis longtemps
abandonnée par la troupe, et ce n'est
qu'aux Allemands qu'elle dut son utilisation.
Construction lépreuse et pratiquement
dépourvue de toute installation
sanitaire, l'ennemi y entassa pendant des
années les patriotes qu'il allait
déférer aux cours
spéciales. Puis, à la
Libération, les coupables étaient
incarcérés par milliers: aux
premiers jours de l'épuration, les
autorités françaises
expédièrent là de nombreux
collaborateurs. Les geôles étaient
trop peu nombreuses alors. Mais cela remonte
à trois ans.
Depuis,
avait-on apporté quelque changement
à la détention des jeunes, hommes
et femmes, inacceptables par Fresnes ou la
Petite Roquette? Aucune. Les détenues
vivaient là dans des dortoirs (comportant
des lits à étages identiques
à ceux des P.G. en Allemagne),
séparés par des cloisons en
planches, le bois étant le
matériau principal de la
construction.
Cette
prison, qui occupe le bâtiment central de
la caserne, abrite actuellement 380
détenus, employés dans la
journée à des travaux manuels
consistant à confectionner des colliers
de paillettes de celluloïd et de
matière plastique.
Par
groupes de 25 ou 30, ces femmes, il faut le
souligner, toutes prévenues de menus
délits, sont enfermées de 7 heures
du soir à 9 heures du
matin.
Or,
hier soir, vers 22 h 15, un passant
aperçut dans la rue de longues flammes
qui apparurent immédiatement après
une courte explosion et donna l'alarme,
cependant que les détenues
affolées se cramponnaient aux barreaux
des fenêtres en appelant au
secours.
Les
gardiens, par veulerie, lâcheté, ou
afin de se conformer aux ordres qu'ils avaient
reçus, refusèrent d'ouvrir les
portes, et ce furent les soldats du centre de
rassemblement du personnel 202 (C.R.A.P.) qui
durent enfoncer les portes du dortoir-atelier
n· 12, situé au premier
étage, pour se porter au secours des
malheureuses.
Mais
cette manoeuvre prit du temps, et lorsque les
soldats purent entrer, ils ne trouvèrent
que 21 cadavres. Seule une 22e détenue,
atrocement brûlée, vivait encore,
mais, transportée à
l'hôpital Tenon, elle ne tarda pas
à succomber à son
tour.
(Les
Journaux, 1er août 1947.)
Ceux
de l'Exodus,
jetés d'une cage à l'autre,
roulent dans les camps -- Quelle détresse
et quelle rage se peignent sur les visages de
ces émigrants crispés aux barreaux
de leurs cages, cependant que, sur la passerelle
du navire, les soldats assomment ceux qui
résistent. Dans une bagarre furieuse, les
soldats assomment les émigrants du"
Runnymede-Park" qui se refusaient à
débarquer à Hambourg A coups de
matraque, on persuade les émigrants de
descendre des bateaux-cages, etc.,
etc.
(Les
Journaux, 9 et 10 septembre 1947.)
Après
la mutinerie du camp de La Noë. -- Au cours
de son évasion du camp de détenus
politiques de La Noë, a 30 km de Toulouse,
Roger Labat, ex-capitaine de corvette,
interné pour faits de collaboration, a
été tué d'une balle en
plein coeur par un gardien M. Amor, directeur de
l'administration pénitentiaire, a
déclaré: "Le détenu
s'était déjà rendu aux
gardiens lorsqu'il fut abattu. Il y a donc eu
meurtre."
(Les
Journaux, 18 septembre 1947).
La
Rochelle, 18 octobre 1948. -- Instruit de faits
scandaleux dont il s'était rendu coupable
l'ancien officier Max-Georges Roux, 36 ans, qui
fut adjoint au commandant du camp de prisonniers
allemands de Châtelaillon-Plage, le juge
d'instruction de La Rochelle en a saisi le
tribunal militaire de Bordeaux où Roux a
été transféré.
L'ancien officier purge actuellement une peine
de 8 mois de prison, qui lui fut.
infligée en août dernier à
La Rochelle, pour abus de confiance et
escroqueries au préjudice de diverses
associations.
Infiniment
plus graves sont les délits commis par
Roux au camp de prisonniers. Il s'agit de crimes
authentiques et d'une telle ampleur qu'il
apparaît difficile que Roux en porte seul
la responsabilité devant les juges. A
Chatelaillon, l'ignoble personnage avait fait
notamment dévêtir plusieurs P.G. et
les avait battus à coups de cravache
plombée. Deux des malheureux
succombèrent à ces séances
de knout.
Un
témoignage accablant est celui du
médecin allemand Clauss Steen, qui fut
interné à Chatelaillon.
Interrogé à Kiel, où il
habite, M. Steen a déclaré que, de
mai à septembre 1945, il avait
constaté au camp de P.G. les
décès de cinquante de ses
compatriotes. Leur mort avait été
provoquée par une alimentation
insuffisante, par des travaux pénibles et
par la crainte perpétuelle dans laquelle
les malheureux vivaient d'être
torturés.
Le
régime alimentaire du camp, qui
était placé sous les ordres du
commandant Texier, consistait, en effet, en une
assiette de soupe claire, avec un peu de pain.
Le reste des rations allait au marché
noir. Il y eut une période où le
pourcentage de dysentériques atteignit 80
p. 100.
Texier et
Roux, avec leurs subordonnés,
procédaient, en outre, à des
fouilles sur leurs prisonniers, leur enlevant
tous leurs objets de valeur. On évalue
à cent millions le montant des vols et
des bénéfices effectués par
les gangsters à galons, qui avaient si
bien organisé leur affaire que les
billets de banque et les bijoux étaient
envoyés directement en Belgique, par
automobile.
On veut
espérer qu'avec Roux les autres coupables
seront bientôt incarcérés au
fort du Hâ et qu'une sanction exemplaire
sera prise contre ces véritables
criminels de guerre.
(Les
Journaux, 19 octobre 1948.)
Au cours
de l'année 1944, une jeune femme de
nationalité serbe, Yella
Mouchkaterovitch, née le 11 janvier 1921,
a Lyon, avait été abattue par la
Résistance pour avoir
dénoncé par lettre onze personnes
de Pont-de-Veyle. Quelques jours plus tard, son
bébé de 8 mois était abattu
à son tour dans l'écurie d'une
ferme, au hameau de Mons, à
Grièges.
La police
mobile de Lyon appréhenda, au mois de
mars, deux des auteurs de ce meurtre: Gaston
Convert, 31 ans, rue du Tonkin, à Lyon,
et Louis Chambon, 37 ans, originaire de
Grand-Croix (Loire), propriétaire de
l'Hôtel de la Gare, à
Pont-de-Veyle.
Le
Parquet de Bourg vient d'être dessaisi de
cette affaire au bénéfice du
Tribunal militaire. Les deux prévenus ont
été transférés
à la prison de Montluc.
(Les
Journaux, 28 avril 1948.)
Se
rendant parfaitement compte que tout le parti
communiste est compromis par l'affaire Gastaud,
ses dirigeants marseillais ont essayé
avec violence de justifier l'assassinat du
commissaire de l'Estaque. Non sans quelque
maladresse d'ailleurs.
Ils ont
organisé en faveur de Marchetti un
meeting de "masses", au cours duquel un orateur
a eu le front de déclarer:
--
Gastaud était "impopulaire", et la
population lui aurait fait un mauvais parti si
on le lui avait livré
Marchetti
s'est contenté de lui tirer une balle
dans la nuque après lui avoir fait couper
la langue et brûler les organes sexuels
avec la flamme d'une bougie.
(Les
Journaux, 27 octobre 1948.)
Le camp
de concentration de Buchenwald, en zone
soviétique, reçoit, depuis le 14
septembre, de nouveaux
détenus.
Les
nouveaux prisonniers sont arrivés
à la gare de Weimar dans trente-six
wagons de marchandises. Chaque wagon contenait
de 40 à 50 hommes et femmes de tous
âges, ainsi que des enfants et des
vieillards, les prisonniers se sont rendus
à pied de Weimar au camp de
concentration.
Bien que
les rues aient été
évacuées sur l'ordre de la police
soviétique, les détenus
cherchaient à ameuter la population en
criant qu'ils étaient membres de partis
démocratiques de Berlin.
Les jours
qui suivirent, quatorze trains, comprenant 30
à 40 wagons, ont conduit directement les
détenus de Weimar au camp de
Buchenwald.
(A.
F. P., 11 novembre 1948.)
Treize
cents personnes déplacées, vivant
dans le camp de Dachau (zone américaine),
ont demandé aujourd'hui au gouvernement
de Bavière de les asphyxier dans les
chambres à gaz utilisées par les
nazis "pour que leurs misères prennent
fin".
Pour
attirer l'attention sur leur sort et protester
contre leurs conditions d'existence, les
réfugiés ont déjà
hier fait la grève de la faim.
(Reuter,
14 novembre 1948.)
Il existe
dans le Sud-Algérien, exactement à
Aïn-Sefra, un camp où l'on a
parqué, pêle-mêle, des
condamnés de droit commun et de jeunes
condamnés des Cours de justice qui, ayant
purgé leur peine, doivent accomplir leur
service militaire. Ce n'est pas, bien sûr,
un camp de "déportés". C'est un
camp d'"exclus". Nuance!
(Carrefour,
2 décembre 1948.)
Etc.,
etc.
Voici
maintenant deux opinions:
Après
la Libération, les détenus
politiques se sont comptés par dizaine de
milliers, voire, au début, par centaines
de milliers. Ils ont été
entassés dans des camps dont
l'organisation est déplorable, dans des
conditions qu'on a le droit de dire
insupportables. Si le public connaissait ces
conditions, il sortirait sans doute de son
indifférence, qu'on lui reproche souvent,
qui est en effet blâmable mais qui, le
plus souvent, tient à son manque
d'information Le nombre et la condition de ces
détenus posent un problème
angoissant du quadruple point de vue du
christianisme, de la justice, de la concorde
nationale et du relèvement du
pays.
(Journal
de Genève, 19 février
1949.)
Puisque
les camps demeurent, gris et grouillants
abattoirs, nous sommes encore dans les
camps.
La
pensée que d'autres hommes, en ce
présent instant, rampent sous les
mêmes fouets, tremblent sous les
mêmes froids, meurent sous les mêmes
faims, est-ce pour nous une pensée
supportable, pour nous qui savons?
Léon
MAZAUD (Bulletin de la
Fédération des
Déportés de la
Résistance, mars 1949.)
****
Première
partie
L'EXPERIENCE
VECUE *
* Paru en
1948 sous le titre Passage de la
ligne.]
- La
vérité, c'est que la victime
comme le bourreau étaient ignobles:
que la leçon des camps, c'est la
fraternité dans l'abjection; que si
toi, tu ne t'es pas conduit avec
ignominie, c'est que seulement le temps a
manqué et que les conditions n'ont
pas été tout à fait
au point; qu'il n'existe qu'une
différence de rythme dans la
décomposition des êtres; que
la lenteur du rythme est l'apanage des
grands caractères; mais que le
terreau, ce qu'il y a dessous et qui
monte, monte, monte, c'est absolument,
affreusement, la même chose. Qui le
croira? D'autant que les rescapés
ne sauront plus. Ils inventeront, eux
aussi, de fades images d ' Epinal. De
fades héros de carton-pâte.
La misère de centaine de milliers
de morts servira de tabou à ces
estampes,
|