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 Mon Combat

ADOLF HITLER

 

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Années d'études et de souffrances à Vienne

 

Quand ma mère mourut, j'avais déjà eu quelque lumière sur mon avenir.

Au cours de sa dernière maladie, j'étais allé à Vienne subir l'examen d'admission à l'Académie des beaux-arts. Muni d'une épaisse liasse de dessins, je m'étais mis en route persuadé que je serais reçu en me jouant. J'avais été de beaucoup le meilleur dessinateur de la Realschule, et depuis lors mes capacités s'étaient extraordinairement développées, en sorte que, passablement satisfait de moi-même, j'avais excellent espoir.

Un souci cependant : il me semblait que j'étais encore mieux doué pour le dessin que pour la peinture, surtout pour le dessin d'architecture. Et pareillement mon goût pour l'architecture elle-même croissait toujours. Cette évolution se précisa au cours d'un séjour de quinze jours que je fis à Vienne à l'âge de seize ans à peine. J'étais allé étudier la Galerie de peinture du Hofmuseum, mais je n'eus d'yeux que pour le bâtiment lui-même. Tous les jours, du matin à la nuit tombée, je courais d'une curiosité à l`autre, mais c'étaient surtout les édifices qui me captivaient. je demeurais des heures devant l'Opéra, des heures devant le Parlement ; toute la Ringstrasse me parut un miracle des mille et une nuits.

J'étais donc pour la deuxième fois dans cette belle ville et j'attendais, brûlant d'impatience, mais plein d'une orgueilleuse confiance dans le succès de mon examen d'admission. J'étais si persuadé du succès que l'annonce de mon échec me frappa comme un coup de foudre dans un ciel clair. Il fallut pourtant bien y croire. Lorsque je me fis présenter au recteur et que je sollicitai l'explication de ma non-

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admission à la section de peinture de l'Académie, il m'assura que les dessins que j'avais présentés révélaient indiscutablement mon manque de dispositions pour la peinture, mais laissaient apparaître par contre des possibilités dans le domaine de l'architecture. Il ne pouvait être question pour moi de la section de peinture de l'Académie, mais seulement de la section d'architecture. On ne pouvait de prime abord admettre que je n'aie jamais encore fréquenté une telle école, ni reçu d'enseignement correspondant.

Je quittai tout abattu le Palais Hansen sur la Schiller Platz, doutant de moi-même pour la première fois de ma vie. Car ce que je venais d'entendre dire de mes dispositions me révélait d'un seul coup, comme un éclair subit, une discordance dont je souffrais déjà depuis longtemps sans pouvoir me rendre compte exactement de sa nature et de ses causes.

Alors, en quelques jours, je me vis architecte.

En vérité, la route était pleine de difficultés, car ce que j'avais négligé jusqu'ici par défi à la Realschule allait se venger amèrement. Avant les cours de l'école d'architecture de l'Académie, il fallait suivre ceux du cours technique de construction et l'admission à ce dernier nécessitait des études complètes à une école primaire supérieure. Tout ceci me manquait complètement. Il semblait donc bien que l'accomplissement de mon rêve fût impossible.

Lorsque, après la mort de ma mère, je revins à Vienne pour la troisième fois - cette fois pour plusieurs années j'avais retrouvé du calme et de la décision. Ma fierté m'était revenue et je m'étais désigné définitivement le but à atteindre. Je voulais devenir architecte et les difficultés rencontrées étaient de celles que l'on brise et non pas de celles devant lesquelles on capitule. Et je voulais les briser, ayant toujours devant mes yeux l'image de mon père, modeste ouvrier cordonnier de village, devenu fonctionnaire. Ma base de départ était meilleure et le combat d'autant plus aisé ; dans ce qui me parut alors une dureté du destin, je vois aujourd'hui la sagesse de la Providence. La déesse de la nécessité me prit dans ses bras et menaça souvent de me briser : ma volonté grandit ainsi avec l'obstacle et finalement triompha.

Je remercie cette époque de m'avoir rendu dur et capable d'être dur. Plus encore, je lui suis reconnaissant de m'avoir détaché du néant de la vie facile, d'avoir extrait d'un nid

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délicat un enfant trop choyé, de lui avoir donné le souci pour nouvelle mère, de l'avoir jeté malgré lui dans le monde de la misère et de l'indigence et de lui avoir ainsi fait connaître ceux pour lesquels il devait plus tard combattre.

*

C'est à cette époque que mes yeux s'ouvrirent à deux dangers que je connaissais à peine de nom et dont je ne soupçonnais nullement l'effrayante portée pour l'existence du peuple allemand : le marxisme et le judaïsme.

Vienne, dont le nom évoque pour tant de gens gaieté et insouciance, lieu de fêtes d'heureux mortels, n'est 6élas 1 pour moi que le souvenir vivant de la plus triste période de mon existence.

Aujourd'hui encore, son nom n'éveille en moi que le souvenir pénible de cinq années de détresse. Cinq années pendant lesquelles je dus, comme manœuvre d'abord, ensuite comme petit peintre, gagner ma subsistance, maigre subsistance, qui ne pouvait même pas apaiser ma faim chronique. Car la faim était alors le gardien fidèle qui ne m'abandonna jamais, la compagne qui partagea tout avec moi. Chaque livre que j'achetai eut sa participation ; une représentation à l'Opéra me valait sa compagnie le jour suivant ; c'était une bataille continuelle avec mon amie impitoyable. J'ai appris cependant alors comme jamais avant. Hors mon architecture, hors les rares visites à l'Opéra, fruit de mes jeûnes, je n'avais d'autre joie que des livres toujours plus nombreux.

Je lisais alors énormément et à fond ; ce qui me restait de temps libre après mon travail était consacré exclusivement à l'étude. En quelques années, je me constituai ainsi des connaissances qui me servent aujourd'hui encore.

J'ajouterai que c'est à cette époque que prirent forme en moi les vues et les théories générales qui devinrent la base inébranlable de mon action d'alors. Depuis j'ai eu peu de choses à y ajouter, rien à y changer.

Au contraire.

Je suis aujourd'hui fermement convaincu que c'est en général dans la jeunesse qu'apparaît chez l'homme l'essentiel de ses pensées créatrices. Je distingue entre la sagesse du vieillard qui comporte une plus grande profondeur et une prévoyance résultant de l'expérience d'une longue vie, et

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le génie créateur de la jeunesse qui, avec une fécondité inépuisable, répand des pensées et des idées sans pouvoir immédiatement les mettre en valeur par suite de leur abondance même. Elle fournit les matériaux et les plans d'avenir où puisera l'âge mûr, dans la mesure où la prétendue sagesse des années n'aura pas étouffé le génie de la jeunesse

*

La vie que j'avais menée jusqu'alors à la maison était sensiblement celle de tous les jeunes gens de mon âge : j'ignorais le souci du lendemain et il n'y avait pas pour moi de problème social.

L'entourage de ma jeunesse se composait de petits bourgeois, c'est-à-dire d'un monde ayant fort peu de relations avec celui des véritables travailleurs manuels. Car, si étonnant que cela puisse paraître à première vue, le fossé qui sépare cette classe économiquement peu favorisée de celle des travailleurs manuels est souvent plus profond qu'on ne le pense. Il y a presque inimitié - et la raison en est que des gens qui se sont élevés de fraîche date au-dessus du niveau des travailleurs manuels, redoutent de retomber dans un ancien milieu qu'ils méprisent un peu, ou tout au moins de paraître encore en faire partie. Ajoutez à cela tout ce qu'il y a de repoussant dans le souvenir de la grossièreté des relations avec ces basses classes, et de leur absence de toute culture : pour les gens de condition même modeste qui ont une fois dépassé ce niveau social, c'est une obligation insupportable que d'y retomber pour quelques instants.

On constate également que, souvent, les gens d'un niveau social élevé descendent vers les plus humbles de leurs concitoyens, avec moins de prévention que les parvenus.

J'appelle parvenu quiconque s'est élevé par ses propres moyens d'une situation donnée à une situation supérieure.

A celui-là, l'âpre combat qu'il a livré fait perdre bien

souvent toute sensibilité et toute pitié pour les malheureux qui sont demeurés en arrière.

A ce point de vue mon destin me favorisa. Obligé de revenir dans le monde de misère et d'insécurité matérielle que mon père avait déjà connu, je perdis les œillères de ma trop étroite éducation de "petit bourgeois". J'appris alors à connaître les hommes et à distinguer entre une apparence creuse ou bien un dehors brutal, et leur véritable nature.

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Au début du siècle, Vienne était déjà une ville pleine d'iniquités sociales.

La richesse et l'indigence y voisinaient sans transition. Dans le centre et dans les quartiers avoisinants, on sentait battre le pouls d'un Empire de cinquante-deux millions d'habitants, paré de tout le charme de ses nationalités multiples. Une Cour magnifique attirait à elle comme un aimant la richesse et l'intelligence du reste de l'Etat. Ajoutez à cela les effets de la centralisation systématique de la monarchie des Habsbourg.

Cette centralisation s'imposait pour maintenir solidement liés des peuples si dissemblables ; mais elle avait pour conséquence une concentration extraordinaire des hautes et encore plus hautes autorités dans la capitale de l'Empire et résidence de l'empereur.

Vienne n'était pas seulement le centre politique et intellectuel de la vieille monarchie danubienne, mais aussi le centre économique du pays. A l'armée des militaires de haut rang, des fonctionnaires, des artistes et des intellectuels, s'opposait l'armée encore plus nombreuse des travailleurs. Face à la richesse de l'aristocratie et du commerce s'étalait la plus complète indigence. Devant les palais de la Ringstrasse traînaient des milliers de chômeurs, et au-des-sous de cette via triumphalis de l'ancienne Autriche, dans l'obscurité et la boue de ses égouts, gîtaient les sans logis.

Dans aucune ville allemande la question sociale ne pouvait mieux s'étudier qu'à Vienne ; mais qu'on ne s'illusionne pas. Cette étude ne peut pas avoir lieu d'en haut. Quiconque ne s'est pas trouvé réduit lui-même à une semblable misère ne la connaîtra jamais. Dans tout autre cas, il n'y aura chez lui que bavardage superficiel ou sentimentalité mensongère : les deux également nuisibles et n'allant pas au cœur du problème. Je ne sais le plus néfaste, de l'indifférence dont fait preuve chaque jour la majorité des favorisés du sort et même des parvenus vis-à-vis des misères sociales, ou bien de la, condescendance arrogante et souvent dénuée de tact, mais toujours si pleine de grâce, de certaines élégantes qui se piquent « d'aller au peuple n. Ces gens se trompent d'autant plus, qu'avec leur esprit dénué d'instinct, ils se bornent à essayer de comprendre en gros. Ils s'étonnent ensuite que les opinions qu'ils professent n'aient aucun

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succès ou qu'elles soient repoussées avec indignation ; on y voit volontiers une preuve de l'ingratitude du peuple.

Cela n'est pas vérité bien agréable pour ce genre de cervelles qu'une activité sociale n'ait rien à faire avec tout cela, surtout qu'elle ne puisse prétendre à aucune reconnaissance, étant donné qu'elle n'a pas à distribuer des faveurs, mais à rétablir des droits.

Je ne fus pas exposé à étudier de cette façon-là la question sociale. En m'enrôlant dans son armée maudite, la misère parut bien moins m'inviter à « l'étudier » de près qu'elle ne me prit moi-même pour sujet. Ce n'est pas à elle que revint le mérite que le cobaye ait survécu à l'opération.

*

Quand je cherche aujourd'hui à rassembler mes impressions de cette époque, je n'y puis parvenir tout à fait. Les plus essentielles, souvent celles qui me mettaient en cause de plus près, ont seules survécu dans mon esprit. Ce sont elles que l'on trouvera ici, avec les enseignements que j'en ai retirés alors.

*

Il ne me fut jamais très difficile de trouver du travail, puisque ce n'était pas comme ouvrier spécialisé, mais comme manœuvre ou travailleur auxiliaire, que je cherchais à gagner mon pain.

Je me trouvais ainsi dans la même situation que ceux qui secouaient de leurs p eds la poussière de l'Europe avec le dessein impitoyable de refaire leur existence dans un monde nouveau et de conquérir une nouvelle patrie.

Détachés de toutes les considérations paralysantes de devoir et de rang, d'entourage et de tradition, ils saisissent chaque gain qui s'offre et font toutes les besognes, pénétrés de l'idée qu'un travail honorable n'abaisse jamais, quel qu'il soit. J'avais de même décidé de sauter à pieds joints dans ce monde nouveau pour moi pour y faire mon chemin.

Je m'aperçus bientôt qu'il était moins difficile de trouver un travail quelconque que de le conserver.

L'insécurité du pain quotidien m'apparut comme un des côtés les plus sombres de cette vie nouvelle.

Je sais bien que le travailleur spécialisé n'est pas mis

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sur le pavé, aussi fréquemment que le manœuvre : il ne peut cependant compter sur aucune certitude. S'il risque moins la famine par manque de travail, il lui reste à redouter le lock out ou la grève.

L'insécurité des salaires quotidiens est une des plus graves plaies de l'économie sociale.

Le jeune cultivateur va à la ville, attiré par un travail qu'on lui dit plus facile - qui l'est peut-être réellement - et dont la durée est plus courte. Il est surtout tenté par la lumière éblouissante qui ne rayonne que dans les grandes villes. Habitué à une certaine sécurité de gain, il a coutume de ne quitter son ancienne place que lorsqu'il en a au moins une nouvelle en vue. Enfin, le manque de travailleurs agricoles est si grand qu'à la campagne un long chômage est invraisemblable. C'est une erreur de croire a priori que le jeune garçon qui se rend à la ville est taillé dans un plus mauvais bois que celui qui continue à travailler la terre. Au contraire : l'expérience montre que ce sont les natures les plus saines et les plus vigoureuses qui émigrent le plus volontiers. Par émigrant, je n'entends pas seulement celui qui part pour l'Amérique, mais aussi le jeune valet qui se décide à quitter le village natal pour aller à la grande ville inconnue. Lui aussi est prêt à courir les chances d'un destin incertain. Le plus souvent, il vient à la ville avec un peu d'argent et ne se décourage pas dès les premiers jours si le malheur veut qu'il ne trouve pas immédiatement du travail. Mais si la place trouvée se trouve perdue au bout de peu de temps, c'est plus grave ; en trouver une nouvelle est, surtout en hiver, très difficile sinon impossible. Cela va encore les premières semaines. Il reçoit l'indemnité de chômage des caisses de son syndicat et se débrouille tant bien que mal. Cependant, une fois le dernier denier et le dernier pfennig dépensés, quand la caisse de chômage, à la longue, cesse de payer le secours, la grande misère arrive. Il traîne maintenant çà et là, affamé ; il vend ou met en gage ce qui lui reste ; il arrive ainsi, dans son costume et dans ses fréquentations, à une déchéance complète du corps et de l'esprit. Qu'il n'ait plus maintenant de logement et que cela arrive en hiver, comme c'est souvent le cas, sa détresse est complète. Il trouve enfin quelque travail. Mais l'histoire recommence. Une seconde fois, ce sera pareil. Une troisième fois, ce sera pire, jusqu'à ce qu'il apprenne

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peu à peu à supporter avec indifférence cette destinée éternellement incertaine. La répétition a créé l'habitude.

Ainsi, l'homme jadis laborieux se relâche en toutes choses jusqu'à devenir un simple instrument aux mains de gens qui ne poursuivent que d'ignobles profits. Son chômage lui était si peu imputable à tort que, d'un seul coup, il lui est tout à fait égal de combattre pour des revendications économiques ou d'anéantir les valeurs de l'Etat, de la société ou de la civilisation. Il devient gréviste sinon avec joie, du moins avec indifférence.

J'ai pu suivre ce processus sur des milliers d'exemples. Et plus j'en observais, plus vive était ma réprobation contre ces villes de plusieurs millions d'habitants, qui attirent si avide ment les hommes pour les broyer ensuite de façon si effroyable.

A leur arrivée, ils appartenaient encore à leur peuple ; s'ils restent, ils sont perdus pour lui.

J'ai roulé, moi aussi, sur les pavés de la grande ville ; j'ai éprouvé tous les coups de sort et j'ai pu en juger les effets. Autre chose : de fréquentes alternances de travail et de chômage, en même temps qu'elles rendent irrégulières les recettes et les dépenses nécessaires à l'existence, détruisent à la longue chez la plupart des ouvriers tout sentiment d'économie et tout sens d'organisation de leur vie quotidienne. Visiblement, le corps s'habitue peu à peu à l'abondance dans les bonnes périodes et à la faim dans les mauvaises. Oui, la faim supprime tout projet d'une organisation meilleure â réaliser aux époques où le gain sera plus facile. Elle fait danser devant celui qu'elle torture, en un persistant mirage, les images d'une « bonne vie » facile ; elle donne à ce rêve une telle attirance qu'il devient un désir maladif qu'il faudra satisfaire à tout prix, dès que la paie le permettra tant soit peu. L'homme qui vient à peine de trouver du travail, perd alors tout bon sens et toute mesure, et se lance dans une vie large au jour le jour. Au lieu de régler intelligemment son petit train de vie pour toute la semaine, il le bouleverse de fond en comble. Son gain dure, au début, cinq jours sur sept, plus tard trois seulement, plus tard encore un seul jour ; finalement, il s'envole en une nuit de fête.

Et à la maison, il y a souvent femme et enfants. Il arrive qu'eux aussi sont gagnés par ce genre de vie, surtout quand le mari est bon pour eux, c'est-à-dire les aime à sa façon.

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La paie de la semaine est gaspillée en commun à la mai son ; elle dure deux ou trois jours : on boit, on mange tant qu'il y a de l'argent ; puis on souffre de la faim en commun. Alors la femme se glisse dans le voisinage, achète un peu à crédit, fait de petites dettes chez les boutiquiers et cherche ainsi à tenir les derniers mauvais jours de la semaine. A midi, tout le monde s'assied devant une maigre pitance - trop heureux qu'il y ait quelque chose - et on attend le jour de la paie. On en parle. On fait des plans et, le ventre vide, on rêve du bonheur qui va revenir.

Dès leur tendre jeunesse, les enfants se familiarisent avec cette misère.

Maïs cela finit mal, lorsque l'homme tire de son côté dès le début de la semaine et que la femme entre en conflit avec lui pour les enfants même. Les querelles commencent, et, à mesure que l'homme se détache de sa femme, il se rapproche de l'alcool. Chaque samedi il s'enivre ; luttant pour elle et pour ses enfants, la femme lui arrache quelques sous, le plus souvent en le poursuivant sur le chemin de l'usine à la taverne. Quand la nuit le ramène enfin à la maison, le dimanche ou le lundi, ivre et brutal, mais les poches vides, des scènes pitoyables se déroulent...

j'ai assisté cent fois à des histoires semblables. Hostile et révolté au début, j'ai fini par comprendre le côté tragique de ces douloureux épisodes et leur cause profonde. J'ai plaint les malheureuses victimes d'un milieu mauvais.

La question de l'habitation était pire encore et la misère des logements des manœuvres de Vienne était effroyable. Je frémis encore aujourd'hui quand je pense à ces antres misérables, à ces abris et à ces logements surpeuplés, pleins d'ordure et d'une repoussante saleté.

Que serait-il arrivé, qu'arriverait-il si de ces enfers de misère, un flot d'esclaves déchaînés se déversait sur le reste de l'humanité qui, dans une totale inconscience, laisse aller les événements sans même soupçonner que tôt ou tard le destin, s'il n'est pas conjuré, amènera de fatales représailles.

Combien je suis aujourd'hui reconnaissant à la Providence qui me mit à cette école : cette fois, je ne pouvais me désintéresser de ce qui ne me plaisait pas et je fus rapidement et profondément instruit.

Pour ne pas désespérer complètement des hommes qui m'entouraient alors, il me fallait faire abstraction de leurs

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façons et de leur vie, et ne retenir que les raisons de leur déchéance. Alors je pouvais supporter ce spectacle sans découragement, alors ce n'étaient plus les hommes qui ressortaient de tous ces tableaux du malheur et du désespoir, de l'ordure et de la dépravation, mais les tristes résultats de tristes lois. Cependant, ayant moi-même bien du mal à vivre, j'étais gardé de capituler en quelque pitoyable sentimentalité à la vue des produits, résultat final de ce processus de dégradation. Non, ce n'est pas ainsi qu'il fallait le concevoir. Et il m'apparaissait que, seul, un double chemin pouvait conduire à l'amélioration de cet état :

Etablir des ,bases meilleures de notre développement en s'inspirant d'un profond sentiment de responsabilité sociale. Anéantir avec une décision brutale les rejetons non améliorables.

La nature ne s'attache pas tant à la conservation de l'être qu'à la croissance de sa descendance, support de l'espèce. Il en est de même dans la vie. Il n'y a guère lieu d'améliorer artificiellement les mauvais côtés du présent - amélioration d'ailleurs pratiquement impossible - mais de préparer des voies plus saines au développement futur de l'homme en le prenant à ses débuts.

Dès mes années de lutte de Vienne, je m'étais persuadé que :

Le but de l'activité sociale ne devra jamais être d'entretenir une endormante prospérité, mais bien plutôt d'éviter ces carences essentielles de notre vie économique et culturelle, qui conduisent nécessairement à la dégénérescence de l'individu ou tout au moins peuvent l'entraîner.

La difficulté de corriger par tous les moyens, même les plus brutaux, une situation sociale criminelle, néfaste pour l'Etat, ne provient nullement de ce qu'on hésite sur ses causes.

L'hésitation de ceux qui n'entreprennent pas les mesures de salut qui seraient indispensables a sa source dans leur sentiment très fondé d'être eux-mêmes les responsables de la dépravation tragique de toute une classe. Ce sentiment paralyse en eux toute ferme résolution d'agir ; ils ne savent envisager que des réformes timides et insuffisantes, s'agirait il des mesures de conservation les plus indispensables.

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Ce n'est que lorsqu'une époque ne sera plus envoûtée par la propre conscience de sa responsabilité qu'elle recouvrera, avec le calme intérieur, la force extérieure de trancher brutalement et sans regret les pousses parasitaires, et d'arracher l'ivraie.

Mais il sautait aux yeux que l'Etat autrichien, ignorant toute justice et toute législation sociale, était impuissant à combattre les croissances néfastes.

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Je ne sais ce qui m'effrayait alors le plus : la misère économique de mes semblables, leur grossièreté morale, celle de leurs habitudes, ou bien le niveau si bas de leur culture intellectuelle.

Que de fois nos bourgeois ne sont-ils pas révoltés d'entendre quelque lamentable vagabond déclarer qu'il lui est profondément égal d'être Allemand ou non et que partout où il aura le nécessaire il se trouvera bien !

C'est à qui déplorera cette absence de fierté nationale et dénoncera avec force de tels sentiments.

Mais combien se sont demandés pourquoi ils en ont eux-mêmes de meilleurs ?

Combien se rendent compte que leur fierté bien naturelle d'appartenir â un peuple privilégié se rattache, par un nombre infini de liens, à tout ce qui a fait leur patrie si grande, dans tous les domaines de l'art et de l'esprit ?

Combien voient à quel point leur orgueil d'être Allemands découle de leur connaissance de la grandeur de l'Allemagne ?

Nos milieux bourgeois songent-ils aussi que de cet orgueil-là, le peuple se moque à peu près complètement ?

Que l'on ne m'objecte pas maintenant que c'est la même chose dans tous les pays et que les travailleurs y tiennent · tout de même » pour leur patrie. Quand cela serait, cela n'excuserait pas notre attitude négligente. Mais il n'en est rien, Ce que nous appelons, par exemple, l'éducation chauvine du peuple français n'est que l'exaltation excessive de la grandeur de la France dans tous les domaines de la culture ou, comme disent les Français, de la "civilisation". Un jeune Français n'est pas dressé à se rendre compte objectivement de la réalité des choses : son éducation lui montre, avec la vue subjective que l'on peut imaginer, tout ce qui a quelque importance pour la grandeur de son pays, en matière de politique et de civilisation.

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Une telle éducation doit toujours se borner à des notions d'ordre général très importantes. Et il est nécessaire qu'elles soient gravées dans le cœur et dans la mémoire du peuple par une constante répétition.

Chez nous, au contraire, su péché d'omission d'un caractère négatif, s'ajoute la destruction positive du peu que chacun a eu la chance d'apprendre à l'école. Les rats qui empoisonnent notre politique dévorent ces bribes dans le cœur et la mémoire des humbles, si tant est que la misère ne s'en soit pas déjà chargée.

Que l'on se représente donc ceci :

Dans deux pièces d'une cave habite une famille de sept travailleurs. Sur les cinq enfants, un marmot de trois ans. C'est l'âge où un enfant prend conscience. Les gens bien doués gardent jusqu'à l'âge le plus avancé des souvenirs de cette époque. L'étroitesse et l'encombrement du logement sont une gêne de tous les instants : des querelles en résultent. Ces gens ne vivent pas ensemble, mais sont tassés les uns sur les autres. Les minimes désaccords qui se résolvent d'eux-mêmes dans une maison spacieuse, occasionnent ici d'incessantes disputes. Passe encore entre enfants : un instant après ils n'y pensent plus. Mais quand il s'agit des parents, les conflits quotidiens deviennent souvent grossiers et brutaux à un point inimaginable. Et les résultats de ces leçons de choses se font sentir chez les enfants. Il faut connaître ces milieux pour savoir jusqu'où peuvent aller l'ivresse, les mauvais traitements. Un malheureux gamin de six ans n'ignore pas des détails qui feraient frémir un adulte. Empoisonné moralement, et physiquement sousalimenté, ce petit citoyen s'en va à l'école publique et y apprend tout juste à lire et à écrire. Il n'est pas question de travail à la maison, où on lui parle de sa classe et de ses professeurs avec la pire grossièreté. Aucune institution humaine n'y est d'ailleurs respectée, depuis l'école jusqu'aux plus hauts corps de l'Etat ; religion, morale, nation et société, tout est traîné dans la boue. Quand le garçonnet quitte l'école à quatorze ans, on ne sait ce qui domine en lui : ou une incroyable sottise, pour tout ce qui est d'une connaissance positive, ou insolence caustique et immoralité à faire dresser les cheveux.

Quelle attitude aura dans la vie où il va entrer, ce petit homme pour qui rien n'est sacré, et qui, par contre, pressent ou connaît toutes les bassesses de l'existence...

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L'enfant de treize ans devient, à quinze, un détracteur déclaré de toute autorité. Il n'a appris à connaître que la boue et l'ordure, à l'exclusion de tout ce qui aurait pu lui élever l'esprit.

Et voici ce que va être son éducation virile.

Il va suivre les exemples qu'il a eus dans sa jeunesse celui de son père. Il rentrera à la maison, Dieu sait quand, rossera lui-même, pour changer, la pauvre créature qui fut sa mère, blasphémera contre Dieu et contre l'univers jusqu'à ce qu'il soit accueilli par quelque maison de correction.

Là, il recevra le dernier poli.

Et nos bons bourgeois d'être tout étonnés du faible « enthousiasme national » de ce « jeune citoyen » !

Le monde bourgeois voit chaque jour au théâtre et su cinéma, dans de mauvais livres et dans des journaux immondes, comment on déverse le poison à pleins seaux sur le peuple, et il s'étonne ensuite de la faible « tenue morale n et de l' « indifférence nationale » de la masse ! Comme si l'écran, la presse douteuse et le reste s'attachaient â vulgariser la connaissance de notre grandeur nationale ! Sans parler de l'éducation antérieure...

J'appris et je compris bien à fond un principe que je n'avais encore pas soupçonné :

Transformer un peuple en nation présuppose la création d'un milieu social sain, plateforme nécessaire pour l'éducation de l'individu. Seul, celui qui aura appris, dans sa famille et à l'école, à apprécier !a grandeur intellectuelle, économique et surtout politique de son pays, pourra ressentir - et ressentira - l'orgueil de lui appartenir. On ne combat que pour ce que l'on aime; on n'aime que ce qu'on estime; et pour estimer, il faut au moins connaître.

Mon intérêt pour la question sociale ayant été éveillé, je commençai à l'étudier très sérieusement. Un monde nouveau, inconnu jusqu'alors, s'offrait à moi.

En 1909 et 1910, ma situation s'était modifiée et je n'avais plus à gagner ma vie comme manœuvre. Je m'étais établi pour mon compte petit dessinateur et aquarelliste. Ce métier ne rapportait guère, j'y gagnais à peine de quoi vivre, mais il était intéressant en vue de la profession à laquelle je me destinais. Désormais aussi je n'étais plus mort de fatigue le soir et incapable, en rentrant du chantier,

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de lire sans m'assoupir bientôt. Mon travail actuel ri était donc pas sans rapport avec mon futur métier et, en outre, j'étais le maître de mon temps et pouvais le répartir mieux qu'auparavant.

Je peignais par nécessité et j'étudiais par plaisir.

Cela me permettait de compléter par les connaissances théoriques indispensables ce que les leçons de choses de la réalité m'avaient appris du problème social. J'étudiais à peu près tous les livres qui me tombaient sous la main sur ce sujet et, au surplus, je réfléchissais beaucoup.

Je crois bien que mon entourage me tenait à l'époque pour un original.

Comme cela était bien naturel, je m'adonnais en outre avec passion à l'architecture. Je l'estimais, à l'égal de la musique, la reine des arts. M'en occuper n'était pas un travail, mais un vrai bonheur. Je pouvais lire ou dessiner tard dans la nuit sans ressentir aucune fatigue. Et ma croyance se fortifiait que mon beau rêve d'avenir se réaliserait, quand je devrais attendre de longues années. J'étais fermement convaincu de me faire un nom comme architecte.

A côté de cela le grand intérêt que je portais à la politique ne me paraissait pas signifier grand'chose. Au contraire : je ne croyais que satisfaire à une obligation élémentaire de tout être pensant. Quiconque ne possédait pas de lumières à ce sujet en perdait tout droit à la critique, ou à l'exercice d'une charge quelconque.

Dans ce domaine encore, je lisais et j'étudiais beaucoup. Pour moi, lire n'avait pas le même sens que pour la moyenne de nos prétendus intellectuels.

Je connais des gens qui lisent interminablement livre sur livre, une lettre après l'autre, sans que je puisse cependant dire qu'ils ont « de la lecture ». Ils possèdent un amas énorme de connaissances, mais leur esprit ne sait ni les cataloguer ni les répartir. Il leur manque l'art de distinguer dans un livre les valeurs à se mettre pour toujours dans la tête et les passages sans intérêt - à ne pas lire si possible, ou tout au moins à ne pas traîner comme un lest mutile. Lire n'est pas un but, mais le moyen pour chacun de remplir le cadre que lui tracent ses dons et ses aptitudes. Chacun reçoit ainsi les outils et les matériaux nécessaires à son métier, qu'ils l'aident seulement à gagner sa vie ou qu'ils servent à satisfaire à des aspirations plus élevées. Le second

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but de la lecture doit être d'acquérir une vue d'ensemble sur le monde où nous vivons. Mais dans les deux cas il est nécessaire, non pas que ces lectures prennent place dans la série des chapitres ou des livres que conserve la mémoire, mais viennent s'insérer à leur place comme le petit caillou d'une mosaïque et contribuent ainsi à constituer, dans l'esprit du lecteur, une image générale du monde. Sinon il se forme un mélange de notions désordonné et sans. grande valeur, malgré toute la fatuité qu'il peut inspirer à son malheureux propriétaire. Car celui-ci se figure très sérieusement être instruit, comprendre quelque chose à la vie et avoir des connaissances, alors que chaque accroissement d'une telle instruction l'éloigne encore des réalités ; il n'a plus, bien souvent, qu'à finir dans un sanatorium ou bien politicien.

jamais un tel cerveau ne réussira à extraire du fatras de ses connaissances celle qui pourra servir à un moment donné ; car ce lest intellectuel n'a pas été classé en vue des. besoins de la vie ; il s'est simplement tassé dans l'ordre des livres lus et tel que leur contenu a été assimilé. Et si les nécessités de la vie lui donnaient toujours l'idée d'une juste utilisation de ce qu'il a lu jadis, encore faudrait-il qu'elles mentionnent le livre et le numéro de la page, sinon le pauvre niais ne trouverait d'une éternité ce qui convient. Mais la page n'est pas mentionnée et à chaque instant critique, ces gens neuf fois avisés sont dans le plus terrible embarras ; ils cherchent convulsivement des cas analogues et comme de juste tombent sur une fausse recette.

Comment pourrait-on expliquer autrement que les plus grands pontifes du gouvernement réalisent tant de bévues malgré toute leur science ? Ou bien alors il faudrait voir en eux, non plus un fâcheux état pathologique, mais la plus vile coquinerie.

Au contraire, celui qui sait lire discerne instantanément dans un livre, un journal ou une brochure, ce qui mérite d'être conservé soit en vue de ses besoins personnels, soit comme matériaux d'intérêt général. Ce qu'il acquiert de la sorte s'incorpore à l'image qu'il se fait déjà de telle ou telle chose, tantôt la corrige, tantôt la complète, en augmente l'exactitude ou en précise le sens. Que soudain la vie pose un problème, la mémoire de celui qui a su lire lui fournit aussitôt une opinion basée sur l'apport de nombreuses

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années ; il la soumet à sa raison en regard du cas nouveau dont il s'agit, et arrive ainsi à éclairer ou à résoudre le problème.

La lecture n`a de sens et d'utilité qu'ainsi comprise.

Par exemple, un orateur qui ne fournit pas, sous une pareille forme, à sa raison les éléments qui lui sont nécessaires, est incapable de défendre son opinion en face d'un contradicteur, même si c'est lui qui est mille fois dans le vrai. Dans toute discussion, sa mémoire l'abandonne honteusement. Il ne trouve d'arguments ni pour appuyer ce qu'il affirme ni pour confondre son adversaire. Tant qu'il ne s'agit, comme chez l'orateur, que de la satisfaction personnelle, passe encore ; mais si la destinée a fait d'un pareil homme à la fois omniscient et impuissant le chef d'un Etat, cela devient beaucoup plus grave.

Dès ma jeunesse je me suis efforcé de bien lire et j'ai été heureusement servi par ma mémoire et mon intelligence. A ce point de vue, mon séjour à Vienne fut utile et fécond. Mes observations quotidiennes m'incitèrent à étudier incessamment les problèmes les plus divers. Etant en mesure de vérifier tour à tour la réalité par la théorie et la théorie par la réalité, je n'avais à craindre ni de me dessécher l'esprit à des considérations purement théoriques ni de m'en tenir à des réalités superficielles.

Mon expérience quotidienne fut alors déterminante pour deux sujets essentiels - outre les questions sociales - et m'incita à leur étude théorique approfondie.

Qui sait quand j'aurais approfondi les théories et l'essence même du marxisme, si je n'avais alors été lancé vraiment la tête la première, dans ce problème ?

*

Ce que je savais de la Social-Démocratie dans ma jeunesse était insignifiant et complètement faux.

Il m'était agréable qu'elle combattît pour le suffrage universel et secret, car ma raison me disait déjà que cela devait affaiblir le régime des Habsbourg que je détestais tant. J'étais persuadé que l'Etat danubien, s'il ne sacrifiait pas le germanisme, ne pourrait subsister, mais que même au prix d'une longue slavisation de l'élément allemand, il n'obtiendrait aucune garantie de vie durable, car il ne faut pas surestimer la force de cohésion que confère le slavisme

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à un Etat. Je saluais donc avec joie chaque mouvement susceptible d'amener l'écroulement de cet Etat inacceptable, qui condamnait à mort le germanisme en dix millions d'êtres humains. Et, plus le tohu-bohu des langues rongerait et dissoudrait jusqu'au Parlement; plus tôt sonnerait l'heure fatale de l'écroulement de cet empire babylonien. Elle serait aussi l'heure de la liberté pour mon peuple de l'Autriche allemande. Ensuite rien ne s'opposerait plus à sa réunion à la mère-patrie.

L'activité de la Social-Démocratie ne m'était donc nullement antipathique. Qu'elle se proposât enfin, comme j'étais alors assez sot pour le croire, d'élever le sort du travailleur, m'incitait encore à l'appuyer plutôt qu'à la dénigrer. Ce qui m'en éloignait le plus, c'était son hostilité à toute lutte pour la conservation du germanisme en Autriche, et sa plate courtisanerie vis-à-vis des "camarades" slaves ; ceux-ci accueillaient volontiers ses manifestations d'amour pour autant qu'elles étaient liées à des concessions pratiques, mais ils conservaient par ailleurs une arrogance hautaine, donnant ainsi leur juste récompense à ces mendiants obsédants.

Ainsi, à dix-sept ans, je n'avais pas encore grande notion du marxisme, et j'attribuais la même signification à Social Démocratie et à Socialisme. Là encore, la main rude du destin devait m'ouvrir les yeux sur cette duperie des peuples.

Je n'avais appris à connaître le parti social-démocrate que comme spectateur de quelques manifestations populaires, et je n avais pas la moindre idée de la doctrine en elle-même, ni de la mentalité de ses partisans. Mis en contact d'un seul coup avec les brillants résultats de leurs conceptions et de leur formation, quelques mois suffirent au lieu des dizaines d'années qui auraient pu être nécessaires, dans d'autres conditions - pour me faire comprendre quelle peste se dissimulait sous un masque de vertu sociale et d'amour du prochain, et combien l'humanité devrait sans tarder en débarrasser la terre, sans quoi la terre pourrait bien être débarrassée de l'humanité.

C'est sur le chantier qu'eut lieu mon premier contact avec les social-démocrates.

Dès le début, ce ne fut pas très réjouissant. Mes habits étaient encore corrects, mon langage châtié et mon attitude

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réservée. J'avais tellement de préoccupations d'avenir que je ne pouvais guère me soucier de mon entoura~e. Je cherchais seulement du travail pour ne pas mourir de faim, et afin de pouvoir même tardivement poursuivre mon instruction. Peut-être ne me serais-je nullement soucié de mes voisins, si, le troisième ou quatrième jour, un événement ne m'avait forcé à prendre position : on m'ordonna d'adhérer au syndicat.

Je ne connaissais alors rien de l'organisation syndicale et je n'avais pu me faire une opinion sur son utilité ou son inutilité. Invité formellement à y entrer, je déclinai la proposition en déclarant que je n'étais pas au courant de la question, et surtout que je ne voulais pas être obligé à quoi que ce fût. C'est sans doute à la première de ces raisons que je dus de n'être pas jeté dehors sur-le-champ. On pensait peut-être qu'en quelques jours je serais converti et deviendrais docile. Mais on se trompait complètement. Quinze jours après, même si mon adhésion avait été précédemment possible, elle ne l'était plus. Dans l'intervalle j'avais en effet appris à mieux connaître mon entourage, et aucune puissance au monde n'aurait pu me faire entrer dans une organisation dont les représentants m'étaient apparus sous un jour aussi défavorable.

Les premiers jours, je me repliai sur moi-même.

A midi, une partie des ouvriers se répandait dans les auberges voisines, pendant que le reste demeurait sur le chantier et y absorbait un repas souvent bien misérable. Ceux-ci étaient les gens mariés, à qui les femmes apportaient la soupe dans de pauvres ustensiles. Vers la fin de la semaine, leur nombre était toujours plus élevé ; je n'en compris la raison que plus tard : on parlait politique.

Je buvais ma bouteille de lait et mangeais mon morceau de pain n'importe où à l'écart, étudiant prudemment mon entourage, ou bien pensant à mon triste sort. J'en entendais cependant plus qu'il ne m'en fallait : il me semblait même que l'on me faisait parfois des avances exprès pour me fournir l'occasion de prendre position ; mais ce que j'apprenais ainsi était au plus haut point révoltant. J'entendais rejeter tout : la Nation, invention des classes "capitalistes" - que de fois n'allais-je pas entendre ce mot ! - la Patrie, instrument de la bourgeoisie pour l'exploitation de la classe ouvrière; l'autorité des lois, moyen d'opprimer le pro-

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létariat ; l'école, institution destinée à produire un matériel humain d'esclaves, et aussi de gardiens ; la religion, moyen d'affaiblir le peuple pour mieux l'exploiter ensuite ; la morale, principe de sotte patience à l'usage des moutons, etc. Il n'y avait rien de pur qui ne fût traîné dans la boue.

Au début j'arrivais à me taire, mais cela ne put pas durer. Je commençai à prendre parti et à répliquer. Mais je dus reconnaître que ce serait en vain tant que je n'aurais pas de connaissances précises sur les points discutés. Je commençai donc par recourir aux sources de la prétendue sagesse de mes interlocuteurs. J'absorbai livre sur livre, brochure sur brochure.

Maintenant, sur le chantier, cela chauffait souvent. Je bataillais, de jour en jour mieux informé que mes inter locuteurs sur leur propre science, jusqu'au jour où la raison eut affaire à ses adversaires les plus redoutables : la terreur et la force. Quelques-uns des discoureurs de l'opinion adverse me forcèrent à quitter le chantier, sous peine de dégringoler d'un échafaudage. Seul, ne pouvant envisager aucune résistance, j'optai pour la première alternative et je partis, plus riche d'une expérience.

Je m'en allai plein de dégoût, mais si empoigné qu'il m'aurait été désormais tout à fait impossible de tourner le dos à cette situation. Passée ma première indignation, mon opiniâtreté reprit le dessus. J'étais fermement décidé à revenir quand même sur un chantier. D'ailleurs, au bout de quelques semaines, mes maigres économies étant épuisées, la misère me saisit à nouveau. Je n'avais plus maintenant le choix. Et le jeu recommença, pour se terminer comme la première fois.

Alors je me demandai en moi-même : Sont-ce donc là des hommes dignes d'appartenir à un grand peuple ? Angoissante question : car si c'est oui, un tel peuple justifie t-il les peines et les sacrifices qu'exige des meilleurs la lutte qu'ils devront livrer ? Et si c'est non, notre peuple est vraiment bien pauvre en hommes.

En ces jours d'inquiétude, d'anxiété et de méditation profonde, je voyais grossir l'armée menaçante de ceux qui étaient perdus pour leur peuple.

C'est avec des sentiments tout différents que je regardais, à quelques jours de là, défiler interminablement, quatre par quatre, des ouvriers viennois prenant part à une mani-

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festation populaire. Je restai là pendant près de deux heures et, retenant mon souffle, je regardais se dérouler lentement le long serpent humain. Le cœur serré, je quittai finalement la place et rentrai chez moi. Chemin faisant j'aperçus dans un bureau de tabac l'Arbeiterzeitung, le principal organe de l'ancienne social-démocratie autrichienne. Je le trouvais aussi dans un café populaire à bon marché, où j'allais assez souvent lire les journaux ; mais jusqu'alors je n'arrivais pas à lire plus de deux minutes cette misérable feuille, dont le ton agissait sur mon esprit comme du vitriol. Sous le coup de la manifestation à laquelle je venais d'assister, j'obéis à une voix intérieure qui me poussa à acheter cette fois le journal et à le lire complètement. J'y consacrai ma soirée, malgré la violente colère que souleva en moi, à maintes reprises, ce tissu de mensonges.

Mieux que dans les livres des théoriciens, je pouvais désormais étudier dans la presse quotidienne des Socialistes Démocrates le développement de leur pensée intime.

Quelle différence ! D'une part, les livres où miroitent, sous le signe de la plus profonde sagesse, les paroles de liberté, d'honneur et de beauté - tout cela affirmé avec la voix d'airain des prophètes - ; d'autre part, agressive, ne reculant devant aucune bassesse, rompue à la pratique de toutes les calomnies : la presse quotidienne de cette doctrine de salut de l'humanité nouvelle.

Les livres sont pour les niais et les imbéciles des « classes intellectuelles » moyennes, et aussi naturellement des classes supérieures ; les journaux sont pour la masse.

Je retrouvai mon peuple en approfondissant, dans sa littérature et dans sa presse, la doctrine de la Social Démocratie.

Et ce qui m'avait paru jadis un abîme infranchissable, me devint l'occasion d'un plus grand amour.

Seul, en effet, un sot pourrait, connaissant cet énorme travail d'empoisonnement, en condamner la victime. Plus s'accusa mon indépendance dans les années qui suivirent, plus je pénétrai les causes profondes des succès de la Social-Démocratie. Je compris alors le sens de l'ordre brutal de ne lire que des journaux rouges et des livres rouges, de ne fréquenter que des réunions rouges, etc. Dans une clarté impitoyable, je voyais se révéler les résultats indiscutables de cette doctrine de l'intolérance.

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L'âme de la masse n'est accessible qu'à tout ce qui est entier et fort.

De même que la femme est peu touchée par des raisonnements abstraits, qu'elle éprouve une indéfinissable aspiration sentimentale pour une attitude entière et qu'elle se soumet au fort tandis qu'elle domine le faible, la masse préfère le maître au suppliant, et se sent plus rassurée par une doctrine qui n'en admet aucune autre près d'elle, que par une libérale tolérance. La tolérance lui donne un senti ment d'abandon ; elle n'en a que faire. Qu'on exerce sur elle un impudent terrorisme intellectuel, qu'on dispose de sa liberté humaine : cela lui échappe complètement, et elle ne pressent rien de toute l'erreur de la doctrine. Elle ne voit que les manifestations extérieures voulues d'une force déterminée et d'une brutalité auxquelles elle se soumet toujours.

Si à la Social-Démocratie s'oppose une doctrine mieux fondée, celle-ci vaincra même si la lutte est chaude, à condition cependant qu'elle agisse avec autant de brutalité.

En moins de deux ans, j'avais pénétré à la fois la doctrine et l'outil de la Social-Démocratie.

Je compris l'infâme terrorisme intellectuel qu'exerce ce mouvement surtout sur la bourgeoisie qui, ni moralement ni physiquement, n'est de taille à soutenir de semblables assauts. La tactique de la Social-Démocratie consiste à faire pleuvoir, à un signal donné, une véritable averse de men songes et de calomnies sur les adversaires qui lui semblent les plus redoutables, jusqu'à ce que leurs nerfs soient brisés, et qu'ils se soumettent à l'odieux dans le fol espoir de recouvrer la tranquillité.

Mais c'est bien là seulement un fol espoir.

Et le jeu recommence jusqu'à ce que les victimes se sentent paralysées par la peur du roquet furieux.

Comme, par expérience personnelle, la Social-Démocratie connaît admirablement la valeur de la force, elle s'acharne surtout contre ceux en qui elle flaire quelque étoffe. Inversement, elle décerne aux êtres faibles du parti adverse des louanges plus ou moins discrètes selon l'idée qu'elle se fait de leur valeur intellectuelle.

Elle craint moins un homme de génie dépourvu de volonté qu'une nature vigoureuse qui n'a qu'une intelligence moyenne.

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Quant à ceux qui n'ont ni intelligence ni volonté, elle ' les porte aux nues !

Elle s'entend à faire naître l'apparence qu'elle seule possède le moyen de faire régner la tranquillité ; cependant que, prudemment, mais sans perdre de vue ses fins, elle conquiert successivement ses objectifs : tantôt elle s'y installe furtivement ; tantôt elle saute dessus au grand jour, profitant alors de ce que l'attention générale est tournée vers d'autres sujets dont elle ne veut pas être distraite, ou de ce que le larcin est jugé trop minime pour provoquer un scandale et faire rendre gorge au détestable adversaire.

Cette tactique, qui est basée sur une juste évaluation des faiblesses humaines, doit conduire presque mathématiquement au succès, si le parti adverse n'apprend pas à combattre les gaz asphyxiants par les gaz asphyxiants.

Il faut dire aux natures faibles qu'il s'agit en cette occurrence d'être ou de ne pas être.

Je compris l'importance de la terreur corporelle que l'individu a de la masse.

Ici encore, juste psychologie !

La terreur sur le chantier, à l'usine, aux lieux de réunion et à l'occasion des meetings, aura toujours un plein succès tant qu'une terreur égale ne lui barrera pas la route.

Bien certainement alors, le parti poussera les hauts cris, et, tournant bride, fera appel à l'autorité de l'Etat qu'il dénigrait tout à l'heure. Le plus souvent d'ailleurs, il arriva à ses fins au milieu du désarroi général. Car il se trouvera bien quelque vache de haut fonctionnaire qui, dans l'espoir pusillanime de se concilier peut-être ainsi pour l'avenir les bonnes grâces de l'ennemi redouté, l'aidera à briser celui qui s'opposait à cette peste mondiale.

Quelle impression un tel succès produira-t-il sur l'esprit de la masse, tant chez ses partisans que chez ses adversaires ? Seul, quiconque connaît l'âme du peuple non d'après les livres, mais d'après la vie, peut s'en rendre compte. Tandis que dans les rangs des partisans, la victoire obtenue vaudra comme le triomphe du bon droit de leur cause, le plus souvent l'adversaire vaincu désespérera du succès de toute résistance future. Plus j'appris à connaître les méthodes de la terreur corporelle, plus grandit mon indulgence à l'égard de la multitude qui la subissait.

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Je bénis mes souffrances d'alors de m'avoir rendu â mon peuple, et de m'avoir appris â distinguer entre meneurs et victimes.

Car il faut bien se dire que ces hommes dévoyés ne sont que des victimes. Si, maintenant, je m'efforçais de dépeindre en quelques traits l'âme de ces classes « inférieures », mon tableau serait infidèle si je n'affirmais pas que, dans ces profondeurs, je retrouvais encore la lumière ; j'y ai rencontré de rares sentiments de sacrifice, de camaraderie fidèle, d'extraordinaire modération et de réserve pleine de modestie, surtout chez des ouvriers d'un certain âge. Et bien que ces vertus se perdent de plus en plus dans les nouvelles générations, surtout sous l'influence de la grande ville, il y reste encore beaucoup de jeunes gens chez qui une nature foncièrement saine l'emporte sur les vilenies ordinaires de la vie. Et si ces braves gens pleins de cœur apportent l'appui de leur activité politique aux ennemis mortels de notre peuple, c'est qu'ils ne comprennent pas et ne peuvent pas comprendre toute l'infamie de leur doctrine; c'est que personne n'a pris la peine de se soucier d'eux; c'est qu'enfin les entraînements sociaux ont été plus forts que leur première volonté d'y résister. C'est la misère qui, s'emparant d'eux un jour ou l'autre, les a poussés dans le camp de la Social-Démocratie.

La bourgeoisie ayant fait front un nombre incalculable de fois, de la façon la plus maladroite comme la plus immorale, contre les exigences des travailleurs même les plus légitimement humaines, sans d'ailleurs tirer ni pouvoir espérer un profit quelconque d'une telle attitude, le travailleur honnête s'est trouvé lui-même poussé de l'organisation syndicale vers la politique.

Au début, des millions de travailleurs étaient certainement su fond d'eux-mêmes ennemis de la Social-Démocratie, mais leur résistance fut vaincue â maintes reprises, dans des conditions insensées, tandis que les partis bourgeois prenaient position contre toute revendication sociale. Ce refus borné de rien tenter pour améliorer la condition des ouvriers : refus d'aménager des dispositifs de sécurité sur les machines, refus de réglementer le travail des enfants, et de la femme - au moins pendant les mois de grossesse de celle-ci - ce refus, dis-je, contribua â pousser les masses dans les filets de la Social-Démocratie, qui s'emparait avec

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reconnaissance de chacun de ces cas révélateurs d'une si pitoyable pensée (politique). Jamais les partis bourgeois ne pourront réparer leurs erreurs d'alors. Car, en s'opposant à toutes les réformes sociales, ils ont semé la haine ; et ils ont donné raison en apparence aux propres affirmations de l'ennemi mortel du peuple, â savoir que le parti social-démocrate défendait seul les intérêts du monde des travailleurs.

C'est ainsi que furent jetées les bases morales qui permirent aux syndicats de se constituer réellement. Cette organisation devait dès lors former le principal pourvoyeur du parti politique social-démocrate.

Au cours de mes années de formation à Vienne, je dus, bon gré mal gré, prendre position sur la question des syndicats.

N'y voyant qu'une partie constitutive inséparable du parti social-démocrate, ma décision fut rapide - et fausse !

J'eus naturellement vite changé d'avis.

Dans ces questions essentielles, le sort même devait m'ouvrir les yeux.

Et mon premier jugement en fut complètement retourné.

J'avais vingt ans, lorsque j'appris à distinguer entre les syndicats en tant que moyens pour le travailleur de défendre ses droits sociaux et de lutter pour de meilleures conditions d'existence, et les syndicats, en tant qu'instruments du parti de la lutte politique des classes.

La Social-Démocratie comprit l'énorme importance du mouvement syndical. L'annexant â sa propre cause, elle en assura le succès, tandis que la bourgeoisie, faute de s'en être rendu compte, y perdit sa position politique ; elle crut en effet que son veto impertinent suffirait â arrêter le développement logique de ce mouvement et. â le pousser dans l'illogisme. Or il est absurde et inexact de prétendre que le mouvement syndical est, par sa nature même, destructeur de l'idée de patrie. Bien au contraire. Si l'activité syndicale se donne comme but d'élever le niveau social d'une classe qui est un des piliers de la nation, non seulement elle n'agit pas contre la patrie et l'Etat, mais encore son action est nationale su meilleur sens de ce mot. Contribuant à créer les conditions sociales hors desquelles on ne saurait songer â une éducation nationale commune, elle mérite bien de la patrie. De même, lorsque s'attaquant aux causes

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physiques et morales de la misère du peuple, elle le guérit de ses plaies sociales et le ramène à la santé.

Il est donc superflu de se demander si l'activité syndicale est indispensable.

Tant qu'il y aura des employeurs dénués de compréhension sociale ou ri ayant pas le sentiment du droit et de la justice, leurs employés, partie intégrante de notre peuple, auront le droit et le devoir de défendre les intérêts de la communauté contre l'avidité ou la déraison d'un seul ; car sauvegarder la fidélité et la confiance chez le peuple, c'est agir dans l'intérêt de la nation, tout comme sauvegarder sa santé.

Lorsque d'indignes entrepreneurs se sentent étrangers â la communauté nationale et menacent la santé physique et morale d'une classe, leur avidité ou leur insouciance ont une action néfaste sur l'avenir du pays.

Eliminer les causes d'une telle évolution, c'est certainement bien mériter de la nation.

Que l'on ne dise pas â ce propos que chacun est libre de tirer les conséquences des injustices réelles ou imaginaires dont il se croit victime. Non : il n'y a là qu'une ruse de guerre pour détourner l'attention. Est-il, oui ou non, d'intérêt national de détruire tout ce qui vient se mettre en travers de la vie sociale ? Si c'est oui, il faut combattre avec les armes qui assureront le succès. Or, un ouvrier isolé ri est jamais en mesure de faire obstacle à la puissance d'un gros employeur ; la question n est pas, en effet, de faire triompher le bon droit, car si celui-ci était reconnu, il n'y aurait ni causes de conflit, ni conflit : le sentiment du droit y aurait déjà loyalement mis un terme, ou mieux encore, le conflit n aurait jamais pris naissance. Alors il n'y a plus qu'à être le plus fort. Lorsque des hommes sont traités indignement, ou en méconnaissance des lois sociales, et que la résistance apparaît de ce fait nécessaire, tant que des lois et des juges n'auront pas été institués pour mettre un terme aux injustices, la force seule décidera des conflits. Mais il est évident qu'une multitude d'employés doit se grouper et se donner comme représentant un individu déterminé, pour conserver quelques chances de succès contre l'individu qui incarne à lui seul la puissance de l'entreprise.

Ainsi l'organisation syndicale peut introduire dans la vie courante un surcroît de sens social avec toutes ses

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conséquences pratiques. Elle peut, par suite, supprimer les points de friction qui provoquent des sujets de mécontentement et des plaintes, toujours les mêmes.

S'il n'en est pas ainsi, il faut en attribuer en grande partie la responsabilité à ceux qui savent barrer la route aux lois de réforme sociale, ou qui les rendent inopérantes grâce à leur influence politique.

Et, plus la bourgeoisie politique ignorait ou voulait ignorer l'importance de l'organisation syndicale, plus elle se raidissait dans sa résistance, plus la Social-Démocratie fit sien le mouvement combattu.

Avec prévoyance, elle s'en fit une plateforme solide qui la soutint bien souvent aux heures critiques.

Toutefois, le but profond du mouvement disparut peu à peu pour faire place à de nouveaux objectifs. Car la Social-Démocratie ne s'attacha jamais à conserver le programme initial du mouvement corporatif qu'elle avait absorbé.

On peut même affirmer que ce fut toujours le moindre de ses soucis.

En quelques dizaines d'années, toutes les forces créées en vue de la défense de droits sociaux furent appliquées, dès qu'elles tombèrent entre les mains expertes de la Social-Démocratie, à consommer la ruine de l'économie nationale. Les intérêts des ouvriers, on ne s'en embarrassait plus : car l'emploi de moyens de coercition d'ordre économique permet toutes les exactions, même d'ordre politique, pourvu seulement qu'il y ait autant d'ignorance d'un côté, que de stupide résignation grégaire de l'autre.

Et c'était justement le cas.

*

C'est vers la fin du siècle dernier que le mouvement syndical a commencé à se détourner de ses buts primitifs. D'année en année, il s'était de plus en plus engagé dans le cercle maudit de la politique social-démocratique, pour ne plus servir, finalement, que de moyen de pression dans la lutte des classes. Une fois qu'il aurait ruiné, par ses coups répétés, tout l'édifice économique péniblement constitué, il deviendrait facile de réserver le même sort à l'édifice de l'Etat, désormais privé de ses fondations économiques. Le parti s'intéressait de moins en moins aux

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besoins réels de la classe ouvrière, lorsqu'un jour il lui apparut que, pour sa politique, il n'était en somme nullement souhaitable que les misères de la masse du peuple fussent soulagées : car, une fois ses désirs satisfaits, il se pourrait fort bien que cette masse cessât d'être une troupe de combat éternellement et aveuglément dévouée.

Cette perspective, qu'ils pressentaient lourde d'orages, inspira aux dirigeants de la lutte des classes une telle frayeur qu'ils en arrivaient à repousser en sous-main des améliorations sociales vraiment fécondes et même à prendre délibérément position contre elles.

Ils ne se mettaient d'ailleurs pas en peine de justifier une attitude aussi incompréhensible.

Plus le flot des revendications montait, plus leur chance d'être satisfaites devenait insigni6ante, mais on pouvait du moins expliquer à la classe ouvrière qu'en ne donnant satisfaction que d'une manière ridicule à ses droits les plus sacrés, on ne visait diaboliquement qu'à affaiblir sa puissance de combat et, si possible, à la paralyser. On ne s'étonnera pas du succès de ces allégations sur une masse incapable de toute sérieuse réflexion.

Le camp bourgeois s'indignait de la mauvaise foi manifeste de cette tactique social-démocratique, mais n'en déduisait pour lui-même aucune ligne de conduite. La peur même qu'avait la Social-Démocratie de soulager effectivement la classe ouvrière de sa misère profonde, aurait dû précisément décider la bourgeoisie aux efforts les plus énergiques dans ce sens, afin d'arracher aux partisans de la lutte des classes l'arme dont ils se servaient.

Mais elle n'en fit rien.

Au lieu d'attaquer les positions adverses, elle se laissa elle-même presser et enserrer ; elle appela ensuite à son aide des moyens si tardifs et si insignifiants qu'ils demeurèrent complètement inefficaces et purent être mis facilement hors de cause. Tout demeura comme avant ; seul le mécontentement avait augmenté.

Le « syndicat libre » pesa désormais ainsi qu'une menace d'orage sur l'horizon politique comme sur la vie de chacun. Il devint un des plus redoutables instruments de terreur

contre la sécurité et l'indépendance de l'économie nationale, contre la solidité de l'Etat et contre la liberté individuelle. C'était surtout le " syndicat libre u qui résumait la notion

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de démocratie en une phrase ridicule et odieuse, qui insultait à la liberté et stigmatisait la fraternité de cette inoubliable façon : « Si tu n'es pas un camarade, on te brisera le crâne. "

C'est ainsi que je fis alors la connaissance de cette amie de l'humanité. Dans les années qui suivirent, ma conception s'amplifia et s'approfondit, mais je n'eus rien à y changer.

*

Mieux j'arrivais à discerner les dehors de la Social-Démocratie, plus je souhaitais découvrir le fond de cette doctrine.

La littérature officielle du parti ne pouvait m'être à cet égard d'une grande utilité. Quand elle s'occupe de questions économiques, ses affirmations et les preuves qu'elle en donne sont fausses ; quand elle traite de buts politiques, elle manque de sincérité. En outre, son esprit de chicane, revêtu d'une forme moderne, et la façon dont les arguments étaient présentés m'inspiraient une profonde répugnance. Ses phrases d'un style bégayant, cousues de termes obscurs ou incompréhensibles, ont la prétention de renfermer des pensées profondes, mais n'en contiennent aucune. Il faut être un de ces bohêmes décadents de nos grandes villes pour se sentir à l'aise et comme chez soi dans ce labyrinthe où se perd la raison et pêcher dans ce fumier de dadaïsme littéraire des « impressions intimes » ; ces écrivains spéculent manifestement sur l'humilité proverbiale d'une partie de notre peuple, qui croit toujours découvrir dans ce qu'elle comprend le moins des vérités d'autant plus rares.

En confrontant la fausseté et l'absurdité de cette doctrine au point de vue théorique, et la réalité de ses manifestations, je me fis peu à peu une idée claire du but caché où elle tendait.

Alors des pressentiments inquiétants et une crainte pénible s'emparèrent de moi. Je me trouvais en présence d'une doctrine inspirée par l'égoïsme et la haine, calculée pour remporter mathématiquement la victoire, mais dont le triomphe devait porter à l'humanité un coup mortel.

J'avais entre temps découvert les rapports existant entre cette doctrine destructrice et le caractère spécifique d'un peuple qui m'était resté jusqu'alors pour ainsi dire inconnu.

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Seule, la connaissance de ce que sont les Juifs donne la clef des buts dissimulés, donc réellement poursuivis par la Social-Démocratie.

Connaître ce peuple, c'est ôter le bandeau d'idées fausses qui nous aveugle sur les buts et les intentions de ce parti ; à travers ses déclamations nébuleuses et embrouillées sur la question sociale, on voit poindre la figure grotesque et grimaçante du marxisme.

*

Il me serait difficile aujourd'hui, sinon impossible, de

dire à quelle époque le nom de Juif éveilla pour la première fois en moi des idées particulières. Je ne me souviens pas d'avoir entendu prononcer ce mot dans la maison paternelle du vivant de mon père. Je crois que ce digne homme aurait considéré comme arriérés des gens qui auraient prononcé ce nom sur un certain ton. II avait, au cours de sa vie, fini par incliner à un cosmopolitisme plus ou moins déclaré qui, non seulement avait pu s imposer à son esprit malgré ses convictions nationales très fermes, mais avait déteint sur moi.

A l'école, rien ne me conduisit à modifier les idées prises à la maison.

A la Realschule je fis bien la connaissance d'un jeune Juif avec lequel nous nous tenions tous sur nos gardes, mais simplement parce que différents incidents nous avaient amenés à n'avoir dans sa discrétion qu'une confiance très limitée. D'ailleurs, ni mes camarades, ni moi, nous ne tirâmes de ce fait des conclusions particulières.

Ce fut seulement quand j'eus quatorze ou quinze ans que je tombai fréquemment sur le mot de Juif, surtout quand on causait politique. Ces propos m'inspiraient une légère aversion et je ne pouvais m'empêcher d'éprouver le sentiment désagréable qu'éveillaient chez moi, lorsque j'en étais témoin, les querelles au sujet des confessions religieuses.

A cette époque, je ne voyais pas la question sous un autre aspect.

Il n'y avait que très peu de Juifs à Linz. Au cours des siècles ils s'étaient européanisés extérieurement et ils ressemblaient aux autres hommes ; je les tenais même pour des Allemands. Je n'apercevais pas l'absurdité de cette

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illusion, parce que leur religion étrangère me semblait la seule différence qui existât entre eux et nous. Persuadé qu'ils avaient été persécutés pour leurs croyances, les propos défavorables tenus sur leur compte m'inspiraient une antipathie qui, parfois, allait presque jusqu'à l'horreur.

Je ne soupçonnais pas encore qu'il pût y avoir des adversaires systématiques des Juifs.

J'arrivai ainsi à Vienne.

Tout saisi par l'abondance de mes sensations dans le domaine de l'architecture, pliant sous le fardeau de mon propre sort, je n'eus pas dans les premiers temps le moindre coup d'œil sur les différentes couches composant la population de cette énorme ville. Bien qu'alors Vienne comptât près de deux cent mille Juifs sur deux millions d'âmes, je ne les remarquais pas. Mes yeux et mon esprit ne furent pas pendant les premières semaines de taille à supporter l'assaut que leur livraient tant de valeurs et d'idées nouvelles. Ce n'est que lorsque peu à peu le calme se rétablit en moi et que ces images fiévreuses commencèrent à se clarifier que je songeai à regarder plus attentivement le monde nouveau qui m'entourait et qu'entre autres je me heurtai à la question juive.

Je ne veux pas prétendre que la façon dont je fis sa connaissance m'ait paru particulièrement agréable. Je ne voyais encore dans le Juif qu'un homme d'une confession différente et je continuais à réprouver, au nom de la tolérance et de l'humanité, toute hostilité issue de considérations religieuses. En particulier, le ton de la presse antisémite de Vienne me paraissait indigne des traditions d'un grand peuple civilisé. J'étais obsédé par le souvenir de certains événements remontant au moyen âge et que je n'aurais pas voulu voir se répéter. Les journaux dont je viens de parler n'étaient pas tenus pour des organes de premier ordre. Pourquoi ? Je ne le savais pas alors su juste moi-même. Aussi les considérais-je plutôt comme les fruits de la colère et de l'envie, que comme les résultats d'une position de principe arrêtée, fût-elle fausse.

Cette idée fut renforcée en moi par la forme infiniment plus convenable, à mon avis, sous laquelle la véritable grande presse répondait à ces attaques, ou bien, ce qui me paraissait encore plus méritoire, se contentait de les tuer par le silence, n'en faisant pas la moindre mention.

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Je lus assidûment ce qu'on appelait la presse mondiale (la Neue Freie Presse, le Wiener Tagblatt, etc.) ; je fus stupéfait de voir avec quelle abondance elle renseignait ses lecteurs et avec quelle impartialité elle traitait toutes les questions. J'appréciais son ton distingué ; seul, son style redondant ne me satisfaisait pas toujours ou même m'affectait désagréablement. Mais enfin ce travers pouvait être l'effet de la vie trépidante qui animait toute cette grande ville cosmopolite.

Comme je tenais alors Vienne pour une cité de ce genre, je pensais que l'explication que je me donnais à moi-même pouvait servir d'excuse.

Mais ce qui me choquait fréquemment, c'était la façon indécente dont cette presse faisait sa cour su gouvernement. Il ne se passait pas à la Hofburg le moindre événement qui ne fût rapporté aux lecteurs dans des termes manifestant soit un enthousiasme délirant, soit l'affliction et la consternation. C'était un chiqué qui, surtout lorsqu'il était question du « plus sage monarque u de tous les temps, rappelait presque la danse qu'exécute le coq de bruyère au temps du rut pour séduire sa femelle.

Il me parut que tout cela n'était que parade.

Cette constatation jeta quelques ombres sur l'idée que je me faisais de la démocratie libérale.

Rechercher la faveur de la cour, et sous une forme aussi indécente, c'était faire trop bon marché de la dignité de la nation.

Ce fut le premier nuage qui obscurcit mes relations morales avec la grande presse viennoise.

Comme je l'avais toujours fait auparavant, je suivais aussi à Vienne, et avec la plus grande passion, tout ce qui se passait en Allemagne, aussi bien en politique qu'en ce qui concernait la vie sociale. Avec fierté et admiration, je comparais l'ascension du Reich avec la maladie de langueur dont était atteint l'Etat autrichien. Mais, si les succès de la politique étrangère du Reich me causaient une joie la plupart du temps sans mélange, la vie politique â l'intérieur était moins réjouissante et me causait souvent de graves soucis. Je n'approuvais pas, â cette époque, la lutte menée contre Guillaume II. Je voyais en lui non seulement l'empereur d'Allemagne, mais surtout le créateur de la flotte allemande. L'interdiction que le Reichstag avait

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signifiée à l'empereur de prononcer des discours politiques, me révoltait au dernier degré comme émanant d'une assemblée qui, à mes yeux, n'était nullement qualifiée pour cela. En une seule session, ces oies mâles caquetaient dans leur Parlement plus d'absurdités que n'aurait pu le faire, pendant des siècles, toute une dynastie d'empereurs, y compris les numéros les plus faibles d'esprit de la série.

J'étais indigné de voir que, dans un Etat où tout demi-fou prétendait prendre la parole pour faire entendre ses commentaires et même avait la bride sur le cou au sein du Reichstag pour perdre la nation en qualité de " législateur ", celui qui portait la couronne impériale pût recevoir une " réprimande " de la plus misérable assemblée de bavards de tous les temps.

Ce qui me mettait encore plus hors de moi, c'était de constater que cette même presse de Vienne, qui saluait avec la plus grande humilité le moindre cheval des équipages de la cour et tombait en extase si l'animal remuait la queue en réponse, se permettait d'exprimer avec une malignité qui se dissimulait mal sous des airs soucieux, ses inquiétudes touchant l'empereur d'Allemagne.

A l'entendre, elle était bien loin de vouloir se mêler des affaires de l'empire d'Allemagne - non, Dieu l'en garde ! mais, en mettant d'une façon aussi amicale le doigt sur la plaie, elle remplissait le devoir que lui imposait l'alliance établie entre les deux empires et satisfaisait en même temps à l'obligation qu'ont les journaux de dire la vérité, etc. Et d'enfoncer à coeur joie son doigt dans la plaie !

Le sang m'en montait au cerveau. J'en vins à me méfier de plus en plus de la grande presse.

Il me fallut reconnaître qu'un des journaux antisémites, le Deutsches Volksblatt, avait beaucoup plus de tenue dans de pareilles occasions.

Ce qui, de plus, me donnait sur les nerfs, c'était le culte répugnant que la grande presse avait alors pour la France. On avait honte d'être allemand quand on lisait les hymnes douçâtres qu'elle entonnait à la louange de la u grande nation civilisée ». Cette misérable gallomanie me fit plus d'une fois lâcher quelqu'un de ces « journaux mondiaux ». Je me rejetais souvent sur le Volksblatt qui était d'un format beaucoup plus petit, mais qui traitait bien plus congrûment de pareils sujets. Je n'approuvais pas son antisémitisme

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agressif, mais j'y trouvais parfois des arguments qui me donnaient à réfléchir.

En tous cas, c'est en de pareilles occasions que je fis la connaissance de l'homme et du parti qui décidaient alors du sort de Vienne : le Dr Karl Lueger et le parti chrétien-social.

Je leur étais très hostile lorsque j'arrivai à Vienne.

L'homme et le parti étaient à mes yeux réactionnaires.

Mais un sentiment de justice élémentaire devait modifier ce jugement, lorsque j'eus l'occasion de connaître l'homme et son oeuvre et mon appréciation mieux fondée devint une admiration déclarée. Aujourd'hui plus encore qu'autrefois je tiens le Dr Lueger pour le plus éminent bourgmestre allemand de tous les temps.

Combien de mes préjugés furent balayés par un tel revirement d'opinion vis-à-vis du mouvement chrétien-social !

Mais si, de même, mon jugement sur l'antisémitisme se modifia avec le temps, ce fut bien là ma plus pénible conversion.

Elle m'a coûté les plus durs combats intérieurs et ce ne fut qu'après des mois de lutte où s'affrontaient la raison et le sentiment que la victoire commença à se déclarer en faveur de la première. Deux ans plus tard, le sentiment se rallia à la raison pour en devenir le fidèle gardien et conseiller.

Pendant cette lutte acharnée entre l'éducation qu'avait reçue mon esprit et la froide raison, les leçons de choses que donnait la rue â Vienne m'avaient rendu d'inappréciables services. Il vint un temps où je ri allais plus, comme pendant les premiers jours, en aveugle à travers les rues de l'énorme ville, mais où mes yeux s'ouvrirent pour voir, non plus seulement les édifices, mais aussi les hommes.

Un jour où je traversais la vieille ville, je rencontrai tout à coup un personnage en long kaftan avec des boucles de cheveux noirs.

Est-ce là aussi un Juif ? Telle fut ma première pensée. A Linz, ils n'avaient pas cet aspect-là. J'examinai l'homme â la dérobée et prudemment, mais plus j'observais ce visage étranger et scrutais chacun de ses traits, plus la première question que je tri étais posée prenait dans mon cerveau une autre forme :

Est-ce là aussi un Allemand ?

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Comme toujours en pareil cas, je cherchai dans les livres un moyen de lever mes doutes. J'achetai pour quelques hellers les premières brochures antisémites de ma vie. Elles partaient malheureusement toutes de l'hypothèse que leurs lecteurs connaissaient ou comprenaient déjà dans une certaine mesure la question juive, du moins en son principe. Enfin leur tan m'inspirait de nouveaux doutes, car les arguments qu'elles produisaient à l'appui de leurs affirmations étaient souvent superficiels et manquaient complètement de base scientifique.

Je retombai alors dans mes anciens préjugés. Cela dura des semaines et même des mois.

L'affaire me paraissait si monstrueuse, les accusations étaient si démesurées, que, torturé par la crainte de commettre une injustice, je recommençai à m'inquiéter et à hésiter.

Il est vrai que sur un point, celui de savoir qu'il ne pouvait pas être question d'Allemands appartenant à une confession particulière, mais bien d'un peuple à part, je ne pouvais plus avoir de doutes ; car, depuis que j'avais commencé à m'occuper de cette question, et que mon attention avait été appelée sur le Juif, je voyais Vienne sous un autre aspect. Partout où j'allais, je voyais des Juifs, et plus j'en voyais, plus mes yeux apprenaient à les. distinguer nettement des autres hommes. Le centre de la ville et les quartiers situés au nord du canal du Danube fourmillaient notamment d'une population dont l'extérieur n'avait déjà plus aucun trait de ressemblance avec celui des Allemands.

Mais, si j'avais encore eu le moindre doute sur ce point, toute hésitation aurait été définitivement levée par l'attitude d'une partie des Juifs eux-mêmes.

Un grand mouvement qui s'était dessiné parmi eux et qui avait pris à Vienne une certaine ampleur, mettait en relief d'une façon particulièrement frappante le caractère ethnique de la juiverie : je veux dire le sionisme.

Il semblait bien, en vérité, qu'une minorité seulement de Juifs approuvait la position ainsi prise, tandis que la majorité la condamnait et en rejetait le principe. Mais, en y regardant de plus près, cette apparence s'évanouissait et n'était plus qu'un brouillard de mauvaises raisons inventées pour les besoins de la cause, pour ne pas dire des mensonges. Ceux qu'on appelait Juifs libéraux ne désavouaient pas,

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en effet, les Juifs sionistes comme n'étant pas leurs frères de race, mais seulement parce qu'ils confessaient publiquement leur judaïsme, avec un manque de sens pratique qui pouvait même être dangereux.

Cela ne changeait rien à la solidarité qui les unissait tous. Ce combat fictif entre Juifs sionistes et Juifs libéraux me dégoûta bientôt ; il ne répondait à rien de réel, était donc un pur mensonge et cette supercherie était indigne de la noblesse et de la propreté morales dont se targuait sans cesse ce peuple.

D'ailleurs la propreté, morale ou autre, de ce peuple était quelque chose de bien particulier. Qu'ils n'eussent pour l'eau que très peu de goût, c'est ce dont on pouvait se rendre compte en les regardant et même, malheureusement, très souvent en fermant les yeux. Il m'arriva plus tard d'avoir des hauts-le-coeur en sentant l'odeur de ces porteurs de kaftans. En outre, leurs vêtements étaient malpropres et leur extérieur fort peu héroïque.

Tous ces détails n'étaient déjà guère attrayants ; mais c'était de la répugnance quand on découvrait subitement sous leur crasse la saleté morale du peuple élu.

Ce qui me donna bientôt le plus à réfléchir, ce fut le genre d'activité des Juifs dans certains domaines, dont j'arrivai peu à peu à pénétrer le mystère.

Car, était-il une saleté quelconque, une infamie sous quelque forme que ce fût, surtout dans la vie sociale, à laquelle un Juif au moins n'avait pas participé ?

Sitôt qu'on portait le scalpel dans un abcès de cette sorte, on découvrait, comme un ver dans un corps en putréfaction, un petit youtre tout ébloui par cette lumière subite.

Les faits à la charge de la juiverie s'accumulèrent à mes yeux quand j'observai son activité dans la presse, en art, en littérature et au théâtre. Les propos pleins d'onction et les serments ne servirent plus alors à grand'chose ; ils n'eurent même plus d'effet. Il suffisait déjà de regarder une colonne de spectacles, d'étudier les noms des auteurs de ces épouvantables fabrications pour le cinéma et le théâtre en faveur desquelles les af6ches faisaient de la réclame, et l'on se sentait devenir pour longtemps l'adversaire impitoyable des Juifs. C'était une peste, une peste morale, pire que la peste noire de jadis, qui, en ces endroits, infectait

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le peuple. Et en quelles doses massives ce poison était-il fabriqué et répandu ! Naturellement, plus le niveau moral et intellectuel des fabricants de ces œuvres artistiques est bas, plus inépuisable est leur fécondité, jusqu'à ce qu'un de ces gaillards arrive à lancer, comme le ferait une machine de jet, ses ordures su visage de l'humanité.

Que l'on considère encore que leur nombre est sans limite ; que l'on considère que, pour un seul Goethe, la nature infeste facilement leurs contemporains de dix mille de ces barbouilleurs, qui dès lors agissent comme les pires des bacilles et empoisonnent les âmes.

Il était épouvantable de penser, mais on ne pouvait se faire d'illusion sur ce point, que le Juif semblait avoir été spécialement destiné par la nature à jouer ce rôle honteux.

Etait-ce en cela qu'il était le peuple élu ?

J'entrepris alors d'examiner soigneusement les noms de tous les fabricants des productions malpropres que révélait la vie artistique. Le résultat de cette enquête fut de plus en plus défavorable à l'attitude que j'avais observée jusqu'alors à l'égard des Juifs. Le sentiment avait beau se cabrer, la raison n'en tirait pas moins ses conclusions.

Le fait est que les neuf dixièmes de toutes les ordures littéraires, du chiqué dans les arts, des stupidités théâtrales doivent être portés su débit d'un peuple qui représente à peine le centième de la population du pays. Il n'y a pas à le nier ; c'est ainsi.

Je me mis à examiner au même point de vue ma chère « presse mondiale ».

Plus je lançais la sonde profondément, plus diminuait le prestige qu'avait eu à mes yeux l'objet de mon ancienne admiration. Le style était toujours plus insupportable ; et il me fallait rejeter les idées, aussi superficielles que plates ; l'impartialité des exposés me paraissait maintenant plutôt mensonge que vérité : les collaborateurs étaient des Juifs.

Mille détails, que j'avais auparavant à peine remarqués, attirèrent mon attention et me parurent dignes d'être notés ; par contre, je commençai à saisir et à comprendre la portée de certains autres qui m'avaient déjà donné à penser autrefois.

Je voyais maintenant sous un autre aspect les opinions libérales de cette presse ; la distinction de son ton quand elle répondait aux attaques de ses adversaires ou son silence

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de mort à leur endroit se révélaient à moi comme des trucs aussi malins que méprisables ; ses critiques théâtrales élogieuses n'étaient jamais que pour les Juifs et jamais elle ne dénigrait d'autres que des Allemands. Les coups d'épingle sournois qu'elle portait à Guillaume II étaient si répétés qu'ils trahissaient un système ; de même les éloges prodigués à la culture et à la civilisation françaises ; le poncif des feuilletons dégénérait en pornographie et la langue de ces journaux avait, à mon oreille, un accent d'étranger ; mais l'inspiration générale des articles était si visiblement défavorable aux Allemands qu'il fallait que cela fût voulu.

Qui avait donc intérêt à cette façon de faire ?

Etait-ce seulement l'effet du hasard ? Je devins peu à peu perplexe.

Mais mon évolution fut hâtée par l'observation de toute une série d'autres phénomènes. Je veux parler de la conception qu'une grande partie des Juifs se fait des mœurs et de la morale et qu'elle met ouvertement en pratique.

A ce point de vue, la rue me donna des leçons de choses qui me furent souvent pénibles.

Le rôle que jouent les Juifs dans la prostitution et surtout dans la traite des blanches pouvait être étudié à Vienne plus aisément que dans toute autre ville de l'Europe occidentale, exception faite peut-être pour les ports du sud de la France. Quand on parcourait le soir les rues et ruelles de la Leopoldstadt, on était à chaque pas, qu'on le voulût ou non, témoin de scènes qui restèrent ignorées de la majorité du peuple allemand jusqu'à ce que la guerre eût fourni aux soldats combattant sur le front oriental l'occasion d'en voir ou plus exactement d'être forcés d'en voir de pareilles.

La première fois que je constatais que c'était le Juif impassible et sans vergogne qui dirigeait de la sorte, avec une expérience consommée, cette exploitation révoltante du vice dans la lie de la grande ville, un léger frisson me courut dans le dos. Puis la fureur s'empara de moi.

Maintenant, je n'avais plus peur d'élucider la question juive. Oui, je me donnerais cette tâche ! Mais tandis que j'apprenais à traquer le Juif dans toutes les manifestations de la vie civilisée et dans la pratique des différents arts, je me heurtai tout d'un coup à lui en un lieu où je ne m'attendais pas à le rencontrer.

Lorsque je découvris que le Juif était le chef de la Social-

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Démocratie, les écailles commencèrent à me tomber des yeux. Ce fut la fin du long combat intérieur que j'avais eu à soutenir.

Dans mon commerce journalier avec mes camarades travailleurs, j'avais déjà remarqué avec quelle étonnante facilité ils changeaient d'opinion sur la même question, parfois en quelques jours, souvent même en quelques heures. Il m'était difficile de comprendre comment des hommes qui avaient toujours des idées raisonnables, quand on leur parlait en tête-à-tête, les perdaient d'un coup sitôt qu'ils retombaient sous la domination de la masse. Cela me mettait souvent au désespoir. Quand j'étais persuadé, après les avoir chapitrés pendant des heures, que cette fois j'avais brisé la glace ou les avais éclairés sur l'absurdité d'un préjugé, et que je me réjouissais de mon succès, je m'apercevais le lendemain avec douleur qu'il me fallait recommencer par le commencement ; tous mes efforts avaient été vains. Comme un pendule en son perpétuel balancement, leurs opinions absurdes étaient encore revenues su point de départ.

Je pouvais comprendre bien des choses. Quand ils n'étaient pas satisfaits de leur sort, quand ils maudissaient le destin qui les frappait souvent si durement, quand ils haïssaient les patrons qui leur semblaient les exécuteurs brutaux de leur cruelle destinée, ou bien quand ils couvraient d'injures les autorités qui, à leur avis, n'avaient aucune compassion pour leur situation ; quand ils manifestaient contre les prix des vivres et défilaient dans la rue pour défendre leurs revendications, tout cela je pouvais encore le comprendre sans mettre leur raison en cause. Mais ce qui restait pour moi incompréhensible, c'était la haine sans limites qu'ils manifestaient à l'égard de leur propre peuple, avec laquelle ils dénigraient tout ce qui faisait sa grandeur, salissaient son histoire et traînaient ses grands hommes dans la boue.

Cette hostilité contre leur propre espèce, leur propre nid, leur propre pays natal était aussi absurde qu'incompréhensible. Elle était contraire à la nature.

On pouvait guérir passagèrement ces gens dévoyés, mais seulement pour quelques jours, tout au plus pour quelques semaines. Et quand on rencontrait ensuite celui qu'on pensait avoir converti, il était redevenu tel qu'autrefois.

Il était retombé dans son état contre nature.

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Je m'aperçus peu à peu que la presse social-démocrate était surtout dirigée par des Juifs ; mais je n'attribuai aucune signification particulière à ce fait, puisqu'il en était de même pour les autres journaux. Une seule chose pouvait peut-être attirer l'attention ; il n'y avait pas une seule feuille comptant des Juifs parmi ses rédacteurs qu'on pût considérer comme vraiment nationale au sens que mon éducation et mes convictions me faisaient donner à ce mot.

Je fis un effort sur moi-même et tentai de lire les productions de la presse marxiste, mais la répulsion qu'elles m'inspiraient finit par devenir si forte que je cherchai à mieux connaître ceux qui fabriquaient cette collection de canailleries.

C'étaient tous sans exception, à commencer par les éditeurs, des Juifs.

Je pris en main toutes les brochures social-démocrates que je pus me procurer et cherchai les signataires : des Juifs. Je notai le nom de presque tous les chefs : c'étaient également en énorme majorité des membres du « peuple élu », qu'il fût question de députés au Reichsrat ou de secrétaires des syndicats, de présidents des organismes du parti ou des agitateurs de la rue. C'était toujours le même tableau peu rassurant. Je n'oublierai jamais les noms des Austerlitz, David, Adler, Ellenbogen, etc.

Il devint alors clair pour moi que le parti, dont les simples comparses étaient mes adversaires depuis des mois du plus violent combat, se trouvait presque exclusivement, par ses chefs, dans les mains d'un peuple étranger ; car un Juif n'est pas un Allemand, je le savais définitivement pour le repos de mon esprit.

Je connaissais enfin le mauvais génie de notre peuple. Une seule année à Vienne m'avait convaincu qu'il n'y a pas d'ouvrier si enraciné dans ses préjugés, qui ne rende les armes devant des connaissances plus justes et des explications plus claires. Je m'étais peu à peu mis au fait de leur propre doctrine et elle était devenue mon arme dans le combat que je menais pour mes convictions.

Presque toujours la victoire me restait.

Il fallait sauver la grande masse, même au prix des plus lourds sacrifices de temps et de patience.

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Mais jamais je ne pus délivrer un Juif de sa façon de voir.

J'étais alors encore assez naïf pour vouloir les éclairer sur l'absurdité de leur doctrine ; dans mon petit cercle, je parlais à en avoir la langue écorchée et la gorge enrouée, et je m'imaginais que je parviendrais à les convaincre du danger des folies marxistes. J'obtenais le résultat opposé. Il semblait que les effets désastreux, fruit évident des théories social-démocrates et de leur application, ne servaient qu'à renforcer leur détermination.

Plus je discutais avec eux, mieux j'apprenais à connaître leur dialectique. Ils comptaient d'abord sur la sottise de leur adversaire et, quand ils ne trouvaient plus d'échappatoire, ils se donnaient à eux-mêmes l'air d'être des sots. Etait-ce sans effet, ils ne comprenaient plus ou, mis su pied du mur, ils passaient d'un bond sur un autre terrain ; ils mettaient en ligne des truismes dont, sitôt admis, ils tiraient argument pour des questions entièrement différentes ; les acculait-on encore, ils vous glissaient des mains et on ne pouvait leur arracher de réponse précise. Quand on voulait saisir un de ces apôtres, la main ne prenait qu'une matière visqueuse et gluante qui vous filait entre les doigts pour se reformer le moment d'après. Si l'on portait à l'un d'entre eux un coup si décisif qu'il ne pouvait, en présence des assistants, que se ranger à votre avis et quand on croyait avoir au moins fait un pas en avant, on se trouvait bien étonné le jour suivant. Le Juif ne savait plus du tout ce qui s'était passé la veille ; il recommençait à divaguer comme auparavant, comme si de rien n'était, et lorsque, indigné, on le sommait de s'expliquer, il feignait l'étonnement, ne se souvenait absolument de rien, sinon qu'il avait déjà prouvé la veille le bien-fondé de ses dires.

J'en demeurai souvent pétrifié.

On ne savait pas ce qu'on devait le plus admirer : l'abondance de leur verbiage ou leur art du mensonge.

Je finis par les haïr.

Tout cela avait son bon côté : à mesure que je connaissais mieux les chefs, ou du moins les propagandistes de la social-démocratie, mon peuple me devenait plus cher. Qui aurait pu, en présence de l'habileté diabolique de ces séducteurs, maudire les malheureux qui en étaient victimes ? Quelle peine n'avais-je pas moi-même à triompher de la dialectique perfide de cette race ! Et combien vaine était

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une pareille victoire avec des hommes dont la bouche déforme la vérité, niant carrément le mot qu'elle vient de prononcer, pour s'en prévaloir dans la minute suivante.

Non, plus j'apprenais à connaître les Juifs, et plus j'étais porté à excuser les ouvriers.

Les plus coupables à mes yeux ce n'étaient pas eux, mais bien tous ceux qui estimaient que ce n'était pas la peine de s'apitoyer sur le peuple, de lui assurer son dû par des lois rigoureusement équitables, de clouer enfin au mur le séducteur et corrupteur.

Les expériences que je faisais chaque jour me portèrent à rechercher les sources de la doctrine marxiste. Son action m'était maintenant clairement connue dans tous ses détails ; mon œil attentif découvrait chaque jour la trace de ses progrès ; il suffisait d'avoir un peu d'imagination pour se figurer les conséquences qu'elle devait avoir. La question était maintenant de savoir si ses fondateurs avaient prévu ce que devait produire leur œuvre parvenue à sa dernière forme, ou s'ils avaient été eux-mêmes les victimes d'une erreur.

A mon sens, l'un et l'autre était possible.

Dans l'un des cas, c'était le devoir de tout homme capable de pensée de faire front à ce mouvement funeste, pour essayer d'empêcher le pire ; dans l'autre cas, il fallait admettre que les auteurs responsables de cette maladie qui avait infecté les peuples, avaient été de vrais démons : car seul le cerveau d'un monstre, non celui d'un homme, pouvait concevoir le plan d'une organisation dont l'action devait avoir pour résultat dernier l'effondrement de la civilisation et par suite la transformation du monde en un désert.

Dans ce cas, la seule ressource était la lutte, la lutte avec toutes les armes que peuvent fournir l'esprit humain, l'intelligence et la volonté, quel que dût être d'ailleurs celui des adversaires en faveur duquel le sort ferait pencher la balance.

Je commençai donc à étudier à fond les fondateurs de cette doctrine, afin de connaître les principes du mouvement. Je dus uniquement à ma connaissance de la question juive, bien qu'encore peu approfondie, de parvenir au but plus rapidement que je n'avais osé l'espérer. Elle seule me permit de comparer pratiquement la réalité avec les blagues contenues dans les théories des apôtres et fondateurs de la

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Social-Démocratie. J'avais appris, en effet, ce que parler veut dire chez le Juif : ce n'est jamais que pour dissimuler ou voiler sa pensée. Et il ne faut pas chercher à découvrir son véritable dessein dans le texte, mais entre les lignes où il est soigneusement caché.

Ce fut l'époque où se fit en moi la révolution la plus profonde que j aïe jamais eu à mener à son terme.

Le cosmopolite sans énergie que j'avais été jusqu'alors devint un antisémite fanatique.

Une fois encore - mais c'était la dernière - une angoisse pénible me serra le cœur.

Tandis que j'étudiais l'influence exercée par le peuple juif à travers de longues périodes de l'histoire, ae je demandai soudain avec anxiété si le destin, dont les vues sont insondables, ne voulait pas, pour des raisons inconnues de nous autres pauvres hommes, et en vertu d'une décision immuable, la victoire finale de ce petit peuple ?

Est-ce qu'à ce peuple, qui n'a toujours vécu que pour la terre, cette terre aurait été promise comme récompense ?

Le droit que nous estimons avoir de lutter pour notre conservation est-il réellement fondé, ou n'existe-t-il que dans notre esprit ?

Le destin me donna lui-même la réponse pendant que je m'absorbais dans l'étude de la doctrine marxiste et que j'observais impartialement et à loisir l'action du peuple juif.

La doctrine juive du marxisme rejette le principe aristocratique observé par la nature, et met à la place du privilège éternel de la force et de l'énergie, la prédominance du nombre et son poids mort. Elle nie la valeur individuelle de l'homme, conteste l'importance de l'entité ethnique et de la race, et prive ainsi l'humanité de la condition préalable mise à son existence et à sa civilisation. Admise comme base de la vie universelle, elle entraînerait la fin de tout ordre humainement concevable. Et de même qu'une pareille loi ne pourrait qu'aboutir au chaos dans cet univers au delà duquel s'arrêtent nos conceptions, de même elle signifierait ici-bas la disparition des habitants de notre planète.

Si le Juif, à l'aide de sa profession de foi marxiste, remporte la victoire sur les peuples de ce monde, son diadème sera la couronne mortuaire de l'humanité. Alors notre planète recommencera à parcourir l'éther comme elle l'a fait il y a des millions d'années : il n'y aura plus d'hommes à sa surface.

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La nature éternelle se venge impitoyablement quand on transgresse ses commandements.

C'est pourquoi je crois agir selon l'esprit du Tout-Puissant, notre créateur, car :

En me défendant contre le Juif, je combats pour défendre l'œuvre du Seigneur.

 

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