"Le roi des pauvres"
Le jeune monarque, Mohammad VI, jouit d'un capital-sympathie
évident auprès de la jeunesse marocaine.
Celle-ci semble découvrir en lui un copain, un
symbole de délivrance et une promesse fraîche
d'un avenir meilleur. Pendant les premières semaines
de son règne, et partout où sa campagne
d'inauguration le conduisit, le jeune roi est salué
avec un enthousiasme juvénile réel et
débordant.
L'appareil makhzenien qui a organisé les
funérailles de feu Hassan II joue à plein pour
présenter à la foule, éperdue
d'acclamations, un jeune homme de belle prestance, tout
sourire et qui n'économise pas les gestes
bienveillants en réponse à l'accueil
chaleureux de son public.
Féerie du carrosse antique et des chevaux aux sabots
dorés. Euphorie des réjouissances
encadrées par les motards modernes. Bel entrain que
manifeste la liesse des foules alignées tout au long
des avenues badigeonnées à neuf pour
l'occasion. Cela est du moins d'un bel effet sur les
écrans de télévision.
C'est beau ! C'est émouvant ! Mise en scène
réussie ; l'Etat spectacle à la marocaine
n'est pas novice, lui, dans l'art de jouer avec les
attributs et les symboles dans l'apparat et la munificence
d'une vieille tradition.
Le symbole a pris un coup de jeune et l'élan est
sincère. Tout porte à penser qu'après
une nuit de cauchemar, le scintillement d'un rayon de soleil
pointe enfin à l'horizon. L'ombre pesante d'une
époque de plomb semble se dégager pour faire
place au rayonnement d'une aube naissante. C'est l'aurore
magique annonçant un printemps longuement
attendu.
La promesse généreusement distribuée
est enivrante. Mais gare au désabusement si,
après le dégrisement, la grisaille des
perspectives bouchées rappelle la jeunesse,
enchantée un moment et bercée par le grand
espoir, à son sort peu enviable. Les parades et les
cavalcades passées, la poésie ailée
fera place à la terrienne prose du chômage et
de la misère. Les effluves de l'enivrement
passés, la béatitude fera place à la
gueule de bois.
L'image soignée et la bonne volonté de la
nouvelle autorité emblématique risquent
d'être trahies par des résistances, des
contraintes socio-économiques et des rapaces qui
guettent le moment propice pour défendre leurs
privilèges et perpétuer les circonstances
politiques favorables au blocage et à la stagnation.
Tapis dans l'ombre, les tireurs de ficelles, agents
corrompus et corrupteurs habiles dans l'art de camoufler la
vérité et de promouvoir le mensonge,
chercheront à contrer les jeunes volontés
inexpérimentées.
L'on ne peut faire contrepoids aux vieux renards avec la
bonne intention épanouie. L'on ne peut
prétendre ouvrir une nouvelle page et fleurir un
nouveau parterre en cultivant avec candeur les
public-relations avec une génération
accablée de désespoir. On ne peut continuer
à jeter la poudre aux yeux du monde quand le Maroc
est sur le fil du rasoir. On ne peut agir de la sorte quand
le compte à rebours est déclenché.
Premières manoeuvres
On ne peut se payer d'images et de mots pour oublier et
faire oublier par l'exposé avenant et optimiste du
verso la désespérante grisaille du recto.
Les jeunes conseillers du jeune roi semblent vouloir
conjurer le mal-être marocain avec les incantations
médiatiques. A défaut de pouvoir leur donner
du pain et de l'emploi, donnons-leur du spectacle et
distribuons-leur des sourires! Même Néron
faisait mieux en assurant le pain quotidien. Le spectacle
venait après le pain. Les jeunes technocrates ne
s'intéressent-ils pas aux leçons de
l'histoire?
Le jeune entourage semble vouloir gommer l'image sinistre
d'une époque où régnaient la main
lourde des tortionnaires de Tazmamart et l'hypocrisie d'une
démocratie de façade garantie par les
attestations de foi publiques que les élections n'ont
jamais été falsifiées, que l'honneur et
la vérité ont toujours présidé
à la conduite des affaires et que l'"alternance
consensuelle" est un ajout appréciable et original
à la démocratie.
La jeunesse qui acclame Mohammad VI se détourne
définitivement d'une classe politique complice, bon
gré mal gré, du vieux makhzen menteur et
traître aux principes de l'Islam affiché, comme
elle se détourne de la démocratie hassanienne
vidée de toute substance et adultérée
au goût d'un despotisme sans foi ni loi.
Conscients du manque de repères et du déficit
identitaire dont souffre la génération
boat-people qui fuit le Maroc de la misère au risque
que l'on sait, les jeunes conseillers marient les
fétiches surannés et modernes pour faire
accroître et pour faire adopter une foi de
remplacement à ceux ou à celles qui n'ont plus
foi en personne. L'hymne national et le drapeau rouge
à l'école implanteraient semble-t-il le
sentiment de loyauté dans les coeurs tendres. Les
campagnes de solidarité et les badges à cinq
dirhams consacreront la nouvelle "culture de l'aumône
publique".
S'abîmer en salutations matinales devant le drapeau
national, la main sur le coeur, et s'égosiller en
chantant au vent l'hymne national finiront, la misère
aidant, par discréditer le nouveau fétichisme.
Changer l'attirail idéologique ne pourra jamais
insuffler aux Marocains le nouvel esprit qui les mettra en
branle et qui les rassurera sur leur avenir. Les sessions
annuelles de la main tendue à l'aumône
constituent désormais une tradition qui trouve une
page d'honneur dans l'agenda makhzenien pour normaliser nos
rapports avec la mendicité.
Qui leurre qui? Qui essaie-t-on de mener en bateau dans
cette vague publicitaire? Les jeunes desperados qui vendent
les maigres avoirs de leur famille pour acheter un billet
à destination de la mort en s'embarquant sur les
felouques de fortune à Tanger?
Qui manque de principes solides et d'une robuste
volonté va chercher ses certitudes sur le
marché du prêt-à-porter des slogans bon
marché. Allez raconter des histoires d'abondance aux
affamés! Faites miroiter le mirage de l'oasis
hospitalière à la horde assoiffée dans
le désert des promesses non tenues. La
désillusion n'en sera que plus grande et les
conséquences plus catastrophiques quand, les mirages
évanouis, les dures vérités
démentiront le grand mensonge.
Un héritage très lourd
Nous voilà bien partis en focalisant tous les
espoirs sur un nouveau visage apparu soudain sur la
scène. Sur les épaules frêles du prince
héritier, innocent des crimes d'antan, viennent tout
d'un coup s'amonceler de lourdes responsabilités:
celles d'abord de balayer les écuries d'Augias et
d'assainir le paysage politique et administratif
infesté d'âmes vautrées dans le vice et
vendues à Satan. Victime parmi les victimes hier, le
voilà aujourd'hui appelé à endosser la
responsabilité de sauver le Maroc du naufrage au bord
duquel il se trouve.
Personne parmi les observateurs, un tant soit peu avertis,
n'ignore que le système tout entier est en
déliquescence. Les " signaux forts " par lesquels le
Palais essaie d'affirmer sa volonté et
d'entériner son autorité en rendant justice
à un opprimé par-ci et en prononçant un
discours bien ficelé par-là ne suffisent pas
à remédier à une situation
désastreuse.
Passé le temps o la répression
policière et le bon plaisir du Prince tenaient lieu
de politique. Passée l'époque où les
superlatifs dithyrambiques et les discours grandiloquents
envoûtaient un parterre de courtisans domestiques et
complaisants, complices de l'opération criminelle du
détournement de mineurs. Le peuple
analphabète, berné un temps par l'unanimisme
consensuel d'une classe de politicards, attend aujourd'hui
des actes. La jeunesse désoeuvrée et
livrée à la drogue pour fuir une
société ingrate et éviter du regard la
perspective d'un avenir sans horizon réclame
aujourd'hui du travail et une place au soleil.
Que doit faire le jeune Mohammad VI qui jouit aujourd'hui
auprès de sa génération d'une grande et
généreuse vogue? Que peut faire le prince
charmant pour répondre en actes décisifs aux
attentes fébriles et aux espoirs du petit peuple et
du peuple pauvre?
Que doit-il faire, que peut-il faire pour asseoir son
autorité et affermir sa position?
Pour effectuer, pour entamer le changement profond que le
pays appelle de ses voeux, il faut que le "roi des pauvres",
titre ô combien vénérable, se
définisse en rupture totale avec un passé qui
n'a de majestueux que le nom et la trique. Il a besoin
d'acquérir par des actes virils et loyaux la stature
d'un chef qui soit à la mesure du grand espoir que
son accession au trône a suscité parmi la
jeunesse et dont l'exubérance des accueils, à
lui réservés partout, témoigne.
Doit-il agir pour mériter l'auréole morale et
imposer son autorité?
Peut-il agir?
Que faire?
Soit que le souverain prenne son courage à deux mains
et fonce, avec la volonté intrépide d'un chef,
sur les obstacles, soit il végétera dans les
velléités des pusillanimes.
Soit qu'il fasse preuve d'audace et de détermination,
soit la routine du makhzen et les solutions faciles
constitueront un handicap qui tiédira l'enthousiasme
des inaugurations chaleureuses. Le pur-sang franchira-t-il
d'un trait tous les obstacles ou bronchera-t-il devant
ceux-ci? De reculade en reculade, l'exécrable destin
des rendez-vous manqués avec l'histoire serait alors
celui de notre poulain.
Un devoir sacré
Toi, lecteur, mon ami ! Toi, homme de foi, mon
frère! Toi, ma soeur! Vous qui partagez ma douleur de
voir notre pays au bord du précipice alors que la
gent obséquieuse des thuriféraires pavoise et
brûle l'encens devant l'autel des totems
sacrés! Vous tous, peuple sincère et
honnête, vous intellectuels intègres et
courageux qui mâchez vos mots à l'unisson avec
le discours mielleux des flatteurs! Passez outre mon style
escarpé et prêtez votre oreille et votre
conscience à mes mots endoloris!
La prostration devant ce qui se passe, le silence
retentissant des statistiques calamiteuses qui placent le
Maroc à la traîne des nations sont trop
parlants! Ces réalités traduites en chiffres
ne peuvent être dénoncées et mises en
évidence avec des mots émoussés, des
phrases banalisées, des expressions fades et froides
et un style anesthésié de conformisme. Mes
mots sont exacerbés, malhabiles peut-être,
choquants sans doute au goût de la pléiade des
bien-pensants ! Qu'importe ! La cause noble pour laquelle
milite tout citoyen libre et habité par un haut
idéal exige de nous tous un minimum de franchise et
de simple honnêteté intellectuelle pour
révéler les vérités
occultées et éveiller les consciences en
léthargie.
Oui ou non, notre devoir comme citoyens soucieux de l'avenir
de notre pays est de dénoncer la fraude et les
fraudeurs? Oui ou non, ce jeune roi a droit à
entendre des voix non mercantiles avant que la propension
à la suffisance et à la superbe propre au
Prince courtisé n'en fasse un tyran abominable? Oui
ou non, ce bateau ivre à la dérive, cette
nation arriérée qu'est devenu le Maroc a droit
à notre sollicitude?
Avalez vos langues, vous les lymphatiques de la
volonté! Applaudissez le manège, vous les
badauds du cirque! Quant à vous, hommes et femmes de
foi, jeunes et moins jeunes de bonne foi, vous avez votre
mot à dire et votre message à faire passer.
Dites votre mot et proclamez votre message en faisant fi de
la médiocrité politicienne qui crie à
l'outrecuidance et à l'insolence chaque fois qu'un
musulman barbu ou une musulmane voilée profère
un mot en dehors de l'enceinte sacrée de la
complaisance consensuelle et à contre-poil des
certitudes avachies.
Questions brûlantes
Pauvre du jeune roi, son héritage est trop lourd!
Trop de questions se posent à son sujet. Trop
d'attentes écrasantes l'attendent au tournant.
Que veut faire le jeune roi nouveau venu au pouvoir?
Que peut-il faire? Qu'osera-t-il entreprendre? Se
laissera-t-il obnubiler par les flatteries des arrivistes?
Se laissera-t-il envoûter par le chant des
sirènes du pouvoir? Le pouvoir corrompt, on le sait,
et le pouvoir absolu, auquel tendent naturellement les rois
héritiers, corrompt absolument.
Les forces centrifuges et la ségrégation
sociale approfondiront-elles le fossé séparant
les Marocains en plusieurs catégories? La
méfiance du peuple à l'égard de
l'élite politicienne gagnera-t-elle les esprits
concernant la jeune figure apparue aux yeux de la jeunesse
désemparée comme celle d'un sauveur
inattendu?
Que peut faire un roi novice accablé de tant de
soucis et portant le fardeau d'un système bâti
sur l'idée que le roi peut tout faire et doit tout
faire?
Rien s'il se laisse bercer par l'antienne rassurante de
jeunes courtisans qui ne manqueront pas d'accourir et qui
voudront se tailler un morceau de ce que leurs
prédécesseurs repus auront laissé! Rien
s'il confie au hasard des alternances calculatrices le soin
de changer le cours des événements!
Beaucoup s'il fait preuve d'audace et de
détermination et s'il va toujours plus loin dans les
faits et les actes. Beaucoup s'il fait tout pour prouver que
celui qui conduit le train n'est pas un personnage fluide et
moux, jouet docile entre les mains des puissances
astucieuses et intrigantes du Palais.
Il est temps d'oublier les mégalomanies aiguës,
filles scandaleuses du mariage malheureux entre une
démagogie moderne et la fameuse nakhoua
(munificence) de Dar El Makhzen.
Parlons vrai. Parlons chiffres, parlons ménage,
parlons concret, parlons clair!
Le Maroc est réputé être une famille
bienheureuse que baigneraient les bienfaits d'un roi-soleil,
père attentionné des Marocains et sage entre
les sages. Longtemps la propagande makhzenienne bien
orchestrée a présenté chaque jour sur
le théâtre de la fausseté les arguments
fallacieux et les images fardées, comme quoi tout est
excellent dans le meilleur des Maroc possibles. Aux membres
crève-la-faim de la famille marocaine, on a, pendant
quatre décades, promis le pays de cocagne. Devant le
peuple paisible et tranquille on a fait comparaître
les trublions, diables maléfiques et fauteurs de
troubles, comme ennemis du peuple; jadis c'était les
gens de gauche, aujourd'hui les barbus et les voilées
de l'Islam.
Quel beau cocon familial pour le Marocain que celui qu'a
produit une époque où se sont
succédés la poigne infernale des Oufkir, les
Tazmamart d'après Oufkir, les disparitions dont
personne ne sait rien et les procès iniques dont
l'issue et la sentence sont connues d'avance!
De mal en pis, le Maroc des "tontons macoutes" s'est
détérioré sur le plan des droits de
l'homme jusqu'à ce que la situation nationale et les
pressions internationales ne puissent plus supporter les
passe-droits et l'affreux destin réservé aux
fils et aux filles (à la tête chaude) de la
famille marocaine unie sous la bienveillance du père
de la nation.
Sous la poigne policière, et profitant de l'absence
de tout contrôle, les pillards s'en sont donné
à coeur joie et ont amassé des fortunes
colossales, tout cela sous l'aile protectrice du Sceptre.
L'ami du pouvoir est à l'abri de toute poursuite
comme il est à l'abri de tout. Il a de plus tous les
droits.
A l'intention des membres (bien-aimés) de la famille,
les sans-soutien et les laissés pour compte, les
prestidigitateurs de service avaient plusieurs tours dans
leur sac et étaient prompts à sortir de leur
manche un lapin pour éblouir la galerie et
éconduire un problème.
La machine a excellé à produire la
misère pour tous et la richesse insolente pour les
favoris, l'indemnité pour les proches et la casse
pour les récalcitrants.
Urgences
La toile de fond qu'hérite le sympathique
souverain (que l'engouement du moment ne doit pas leurrer)
est la gabegie générale, la misère pour
beaucoup, le confort criard pour quelques-uns, la corruption
comme moyen d'administrer et de gouverner, le tripatouillage
des élections comme institution et pratiques
démocratiques. Bref, la ratatouille makhzenienne.
Le système qu'il aura à gérer est
englué dans le magma de ses sécrétions.
Le roi doit chercher une issue pour sauver la situation.
L'"alternance consensuelle" et le "pacte d'honneur" ont
été longuement négociés,
concoctés et enfin conclus. L'on sait bien combien en
vaut l'aune. N'insistons pas!
Le jeune roi, promesse souriante, n'est pas responsable des
méfaits et des crimes des autres. Il est
pénétré de compassion pour les
déshérités, à preuve sa
simplicité et l'accueil qu'il réserve à
la foule des quémandeurs qui assaillaient sa demeure
du temps où il n'était que prince
héritier et qui continuent de l'assaillir chaque jour
de misère que l'injustice sociale et l'absence de
justice tout court font.
Il s'agit maintenant pour le prince au bon coeur, devenu roi
courtisé et jalousé, d'impulser une nouvelle
dynamique à la machine et de réorganiser les
rapports sociaux en vue d'un nouveau départ.
Le roi doit se dépasser, se surpasser, autrement il
sera vain d'attendre des résultats profonds et
durables d'actions marginales improvisées coup par
coup. Il faut un acte fondateur, un acte qui
légitimerait une nouvelle conduite de l'Etat, une
autre méthode de gouvernance, une justice autre, un
enseignement sensé, une justice sociale qui abolirait
les privilèges et qui rapprocherait les deux rives de
la fracture béante entre les va-nu-pieds et ceux qui
roulent sur l'or.
Il faudra faire prospérer l'économie et
favoriser l'investissement productif créateur
d'emplois.
Il faudra imprimer aux événements un nouveau
tour. Le nouveau style marqué par le courage certain
du jeune Mohammad VI constitue déjà une amorce
dans ce sens, mais il faudra au bras qui veut activer un
Maroc traînard une force toujours plus grande. Il
faudra un grand bond en avant. Il faudra à cette
ambition naissante et innocente des crimes du passé
une visée haute et un levier spirituel.
Il faudra entreprendre une remise en cause de tout le
système. Il faudra mettre le train sur de nouveaux
rails, et, pour ce faire, il faudra disposer d'une
locomotive et d'un levier vigoureux.
Il faudra tout remettre en cause car, derrière les
palissades décorées, la bâtisse est
fissurée et menace ruine. D'où l'ardente
nécessité d'intervenir et de marquer un grand
coup.
Il y a une urgence cuisante de frapper un grand coup, car la
construction branlante en soi va bientôt entrer en
choc frontal avec deux grandes et effrayantes
échéances: la question du Sahara et le
marché mondial ouvert dans dix ans.
L'hypothèque du Sahara est un legs envenimé du
règne révolu et de la politique de prestige
dédaigneuse des hommes. Nos frères Sahraouis
sont partagés entre deux choix :
-- Celui d'une royauté rigide sur son trône qui
les somme de se prosterner devant elle conformément
à la grand-messe rituelle de la bai'â
makhzenienne, cérémonie caricaturale qui n'a
rien à voir avec le pacte islamique solennel en vertu
duquel un peuple libre s'engage et engage la
responsabilité d'une autorité librement
acceptée.
De contrat synallagmatique mutuellement engageant, la
bai'â s'est transformée au cours de
l'histoire musulmane mouvementée et tourmentée
en une parodie ridicule.
Les Sahraouis, hommes fiers et indépendants, ont
été soumis brusquement au
cérémonial makhzenien, et l'on a vu sur les
écrans les nobles figures des chefs tribaux courber
l'échine devant la majesté péremptoire
et hautaine. Quelle humiliation! Quelle blessure de l'amour
propre d'une population très attachée à
l'Islam et qui se voit avilie!
-- Celui qu'exprime la voix des bandes armées et
idéologisantes et qui leur parle le langage de la
dignité. Vont-ils voter un jour prochain pour un
Maroc unifié et vraiment musulman, Maroc à
repenser et à reconstruire ou bien vont-ils tirer la
conclusion de l'humiliation passée et de la
répression sauvage dont ils ont été
victimes tout récemment et choisir la dignité
et la liberté sous une autre bannière?
Les milliards qui ont été
dépensés pour des cités modernes
flambant neufs bâties sur les sables du désert
n'auront servi qu'à appauvrir le Maroc et à
aggraver son endettement. La politique du prestige
conquérant aura servie à consacrer la rupture
entre deux fractions d'un même peuple.
Urgence cuisante et nécessité ardente de
revoir et de remettre en cause notre islamité,
hautement proclamée mais sournoisement trahie.
Quant à nous, notre option est claire et sans
équivoque: l'unité des peuples musulmans au
travers des frontières scélérates
héritées de notre histoire ancienne et
récente.
Quant à l'urgence de prévenir la descente du
couperet du marché ouvert, elle nous apparaîtra
en parcourant un peu les statistiques de la place du Maroc
sur la scène mondiale.
Parlant de principes, on reste dans le vague. On ne cerne la
réalité qu'en serrant de près les
données. S'ils ne sont pas attelés à
une tâche bien déterminée par une
conscience honnête, les principes ont tendance
à être volatiles. C'est pourquoi nous
évoquerons quelques chiffres pour nous rendre compte
de la gravité extrême de la situation et de
l'effort exceptionnel qu'il faudra déployer pour
résister aux difficultés qui ne manqueront pas
de barrer le chemin devant toute tentative de
changement.
Je ne joue pas ici les Cassandre par crainte excessive
devant les menaces présentes et prévisibles.
Ce qui m'anime c'est le devoir d'exhortation au bien que
l'Islam exige de tout musulman et le devoir d'avertir contre
le mal.
Depuis longtemps, nous avons dénoncé les
méthodes dictatoriales qui veulent que l'homme au
sommet du pouvoir s'arroge le droit de tout régir
selon son bon vouloir, tout dicter, tout savoir, tout avoir,
tout posséder.
La constitution octroyée, et périodiquement
remise au goût du jour, est l'expression moderne du
firman impérial: le sang qui coule dans mes veines et
la peine que je me suis donnée de naître me
garantissent le droit d'être le maître absolu du
destin de tous! De mes mains ils doivent tout attendre!
Statistiques alarmantes
Et voilà en chiffres le résultat de
l'héritage de cette gouvernance géniale:
Les statistiques des Nations unies sériant les Etats
du globe selon leur indice de développement humain
classent le Maroc à la 125ème place
derrière, et de loin, les pays voisins tels la
Tunisie et l'Algérie. Belle performance et brillants
résultats!
12 millions de Marocains vivent en deçà du
seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de
10 dirhams par jour.
Prés des trois quarts des Marocains gagnent moins que
le SMIC marocain, c'est-à-dire 1600 dirhams par
mois.
Le bidonville tend à être l'habitat habituel et
accepté comme une banalité pour un nombre de
Marocains en recrudescence.
Le rapport des salaires au Maroc varie de 1 à 1000,
avec trois zéros; de 1 à 10 et moins en
Europe.
23% des Marocains à la force de l'âge sont
inactifs et en chômage. Sans parler du chômage
déguisé qui porterait le pourcentage à
une barre effrayante.
Une jeunesse qui se drogue pour oublier ou qui "bulle" pour
fuir la misère insupportable. "Buller" est le mot
employé pour signifier qu'on s'en va et qu'on
brûle la seule carte qui reste: la vie. On joue avec
cette ultime propriété un jeu
brûlant.
Plus de 100.000 diplômés du supérieur,
médecins, ingénieurs, professeurs, techniciens
de qualité, ruminent leur désarroi et leurs
déceptions dans les cafés du coin ou
manifestent dans les rues de la capitale.
53% des Marocains (chiffre avoué) sont
analphabètes et bons pour être menés en
bateau par la propagande officielle ou la surenchère
partisane. Il est édifiant à ce sujet
d'observer comment les élections se déroulent
chez nous, comment la misère des uns, la
malhonnêteté des autres et la complicité
criminelle d'une administration policière et
corrompue participent à faire de nos élections
une mascarade dramatique.
De la corruption à la mondialisation
De la corruption, il n'est plus de conscience qui ne
soit scandalisée. La corruption est devenue un mode
de vie. Du plus humble (serviteur) de l'administration au
personnage haut perché de la haute sphère,
tout le monde tend la main. Tous les services ont un tarif
allant du billet rouge à l'enveloppe bien garnie. Le
chèque viré au compte en banque suisse est le
moyen adéquat d'acheter l'autorité de la
"haute", clean et discret.
Cela étant, comment s'étonner si les
investisseurs étrangers hésitent à
s'aventurer au Maroc. Surtout que l'appareil judiciaire de
chez nous est, de notoriété publique,
vénal. Devant les tribunaux, les courtiers
négocient impudemment l'issue d'un procès,
comme s'il s'agissait d'un banal achat de bétail au
souk.
Si l'on ajoute à tant de maux qui gangrènent
notre administration la lenteur bureaucratique et
l'atermoiement du préposé ou du chef de
service qui attend qu'on lui graisse la patte pour bouger,
l'on comprendra pourquoi l'investisseur tant
nécessaire boude le Maroc. En Europe occidentale,
trois ou quatre heures suffisent pour faire signer votre
dossier. Au Maroc, il faut attendre des mois, sinon des
années.
Il s'agit d'encourager et d'épauler un essor
économique, de sorte que notre présence sur le
marché mondial soit compétitive. Question de
vie ou de mort. Comment y parvenir dans les conditions
abominables de nos institutions, de notre appareil
judiciaire et de notre administration?
Comment convaincre les investisseurs de venir chez nous
quand la moindre petite paperasse demande des mois sinon des
années pour être obtenue! Il faudra se
morfondre en attendant sagement que l'intermédiaire
proche du pouvoir soit satisfait de sa part en actions de
votre société ou que votre niaiserie et votre
bonne foi soient désabusées. Pour investir au
Maroc, il faut soit respecter le droit au "café" du
moindre petit fonctionnaire, soit avoir la vocation d'un Don
Quichotte qui aime courir après les moulins à
vent. Il faut toujours faire son choix administratif: le
"café" ou le marathon de bureau en bureau sans
être sûr du résultat.
De la drogue
Comment affronter une mondialisation qui frappe aux
portes (si elle n'est déjà-là) avec une
jeunesse droguée? Voilà un autre dossier
brûlant qui n'est pas à ignorer. Parler de la
drogue au Maroc revient à évoquer un dilemme
auquel on n'est pas près de trouver une solution tant
que le système corrompu est perpétué
par l'âpreté au gain des caïds de la
drogue et la dépendance des provinces du nord de la
culture du cannabis. Les uns et les autres sont
poussés à produire et à écouler
cette marchandise qui trouve de plus en plus
acquéreur chez nous comme ailleurs. Naguère,
les médias européens ont dénoncé
la participation éhontée au trafic de la
drogue de personnages proches, très proches du
régime.
Je me vois ici contraint de me référer
à des données et à des statistiques
glanées dans les médias occidentaux. Etant
donné la "transparence" prétendue chez nous,
nous en sommes réduits à nous mettre à
l'écoute de ce que disent de nous les autres; ces
nations libres et bien informées. Comment
vérifier? Comment contrôler? Comment savoir
avec l'expression libre muselée et la propagande
officielle mensongère et hypocrite de chez nous?
Les faits scandaleux et abjects rapportés par des
organes sérieux qui ne sont pas de simples feuilles
de chou achetées et mercenaires soulèvent le
dégoût. En rapportant ces données et ces
statistiques, mon intention n'est pas de jeter en
pâture au public des actes pervers et des chiffres
ahurissants. Les morts sont morts et c'est à Dieu de
les juger, mais les vivants pâtissent, et pour des
générations, des méfaits des
disparus.
Le peuple qui n'a pas accès aux sources d'information
libres et véridiques doit tout savoir pour
guérir une fois pour toutes de son attachement
à la dictature. Un peuple informé, mis au
courant et conscientisé sur ce que la tyrannie peut
commettre de crimes doit rejeter les tyrans et
s'émanciper de leur joug conformément aux
principes sacrés de l'Islam.
Le Saint Prophète nous a prévenus et mis en
garde contre la tyrannie mordante. Le mot â'ad
(mordant) exprime parfaitement la rage qu'a le despotisme de
vous croquer.
Répercuter les informations peu reluisantes sur nos
gouvernants en les appuyant de traits acérés
ne relève pas d'un règlement de compte
quelconque dicté à un esprit chagrin par une
froide rancune. Lâche et irresponsable qui vise
à tirer vengeance posthume de cadavres refroidis. Des
morts, on tire leçon pour les vivants. Les petits
sentiments puent la médiocrité et
l'insignifiance. Mais la vérité doit
être recherchée et proclamée.
Tristes vérités
Avis aux âmes sans crainte de Dieu, tremblant de
peur devant la créature: voilez-vous la face,
bouchez-vous les oreilles!
Aux âmes racées, dont Mohammad VI semble faire
partie, il faut servir la vérité crue au lieu
de leur présenter les mets apprêtés du
mensonge. Les menteurs et les hypocrites, les gens sans
crainte de Dieu, sans foi en Dieu et en la Vie
Dernière sont autant d'insectes humains pris dans la
toile de leurs préoccupations mesquines. Ils sont
embobinés autour de leur néant existentiel par
la spirale des jours et des nuits qui égrènent
des vies sans objet et sans honneur.
Hassan II sera jugé! Mohammad VI aussi! Ils rendront
compte, comme nous tous, au Juge Suprême qui les
questionnera sur le mur de la honte qui
s'élève plus haut chaque jour entre un peuple
miséreux et une poignée de profiteurs. Qui l'a
bâti ce mur? Qui l'a entretenu?
Tout finit par se savoir. Seul le peuple analphabète
préoccupé par le pain quotidien ignore ce qui
se passe au Maroc. Les journaux et les publications
étrangères ne cessent d'étaler la honte
du pillage systématique des richesses marocaines par
les autorités marocaines.
Qui ignore encore parmi les intellectuels, grands lecteurs
de la presse étrangère, que l'ONA, cette
pieuvre tentaculaire que contrôlait le défunt
roi que Dieu l'ait en Sa grande Miséricorde (il en a
bien besoin, le pauvre, là où il est
maintenant) était et reste une parcelle importante de
la fortune hassanienne? L'accaparement, le monopole et les
privilèges dont jouissait sous le règne
révolu et dont continue de bénéficier
l'ONA ont fait de cet empire colonial une hydre à
têtes multiples, une sangsue qui pompait et qui
continue de pomper des profits scandaleux aux comptes
faramineux de la majesté disparue.
Tout au Maroc appartenait, peu ou prou, à l'ONA, ce
monstre intouchable, donc au roi. Cette parcelle importante
des richesses accumulées pendant quatre
décennies est revenue avec le reste de l'avoir
colossal du défunt aux héritiers royaux.
L'énormité du magot (excusez la
vulgarité du mot) mettra dans l'embarras ceux-ci,
à commencer par Mohammad VI, le jour ou le peuple,
dégrisé et ne supportant plus la morsure de
l'indigence, ne se contentera plus de chuchoter et
réclamera des vivants les comptes des morts.
Iceberg apparent des possessions royales
évaluées à plusieurs milliards de
dollars selon certaines publications, l'ONA dominait et
continue de dominer l'économie du pays. Le roi
défunt, que Dieu lui pardonne, se targuait
d'être un fellah parmi les fellahs. Dérision
des mots ou cynisme dérisoire!
Rien n'échappait à la boulimie de l'ONA qui
engloutissait tout ce qui se présentait comme un
domaine lucratif. Le domaine agricole comme celui de
l'agro-alimentaire était annexé par
l'organisation. Le tourisme et les hôtels de luxe, de
grand luxe où les invités de "notre ami le
roi" étaient reçus, comptaient pour de maigres
bagatelles devant la fortune colossale qui comprenait les
banques, l'assurance, les sucreries, le pétrole,
l'ingénierie financière, les entreprises
publiques, les sociétés minières, un
conglomérat financier bénéficiant de
privilèges inouïs, la pêche, l'industrie
chimique, l'impression, le transport, le textile. Et la
liste est longue.
Les bénéfices fabuleux (à
l'échelle locale, car l'essentiel des revenus et des
avoirs royaux choisissent résidence et siègent
ailleurs) du roi étaient occultés et
soustraits aux regards indiscrets des indigènes.
Quand la mégalomanie rêve de construire l'une
des mosquées les plus grandes et les plus opulentes
du monde, elle mobilisera les agents d'autorité pour
dépouiller les fellahs (les vrais) de leurs sous.
L'arbitraire et l'archaïque autorité
makhzenienne opèrent en plein jour. Le pouvoir d'Etat
moderne jette la poudre aux yeux en parlant de
démocratie et de constitution pour mieux agir, en
sous-main ou à la lumière tamisée,
selon des procédés barbares.
Les jardins démoniaques
Le roi défunt (que Dieu le prenne au sein de Sa
Miséricorde) avait, selon sa propre expression, son
"jardin secret" qu'il se réservait le droit de
cultiver en privé. En fait, il disposait en guise de
jardin, de cimetières privés où sont
enterrés les "mauvais sujets" parmi ses serviteurs.
Il disposait de sinistres mouroirs où sont
emmurés vifs les rescapés des assassinats pas
si mystérieux que ça et les
épargnés des pelotons d'exécution.
Macabres jardins qu'on cache soigneusement pour pouvoir
présenter visage humain au monde. D'autres
cachotteries touchent aux comptes royaux dans les banques
étrangères ouverts sous des numéros
secrets ou des pseudonymes. Les investissements royaux
à l'Etranger sont innombrables et leur contrôle
échappait au propriétaire lui-même qui
ne savait plus combien d'entreprises ou de châteaux il
possédait. Sont-ce les allégations fausses
d'une presse étrangère calomnieuse, ou bien
est-ce la vérité qu'on nous cache? Il faut
nous la dire, la vérité.
L'accumulation de tant de richesses échappe à
l'entendement. En 1994, l'Observatoire géopolitique
des drogues avait publié un rapport confidentiel dans
lequel certains proches, très proches, du souverain
défunt étaient nommément cités.
Le roi lui-même n'était point
épargné.
Comment savoir? Comment contrôler? Pourquoi savoir?
Pourquoi parler de ces choses maintenant?
Les affaires ténébreuses demeurent
occultées dans ce pays qui subit le black-out total
tout en protestant contre les bribes de vérité
publiées à l'Etranger, assurant que la
démocratie hassanienne est l'exemple même de la
transparence. La chape de plomb et la main lourde
étouffèrent le pays jusqu'au jour ou
l'existence de Tazmamart, longtemps niée, est enfin
avouée. Les témoignages poignants des anciens
locataires de cette demeure cauchemardesque dévoilent
les secrets infernaux du "jardin secret du roi".
L'étendue du fossé qui sépare les
prétentions des faits, le mensonge de la
vérité, est à la mesure du fossé
social qui sépare le Maroc pauvre de l'élite
scandaleusement riche, élite qui tient ses
privilèges de la main prodigue du roi défunt
et d'un entourage ignominieusement corrompu et
corrupteur.
Le pillage de l'économie marocaine sinistrée
est un fait! Les palais royaux aussi; ces palais que le
jeune roi a fait courageusement évacuer, dit-on,
d'une horde de serviteurs toujours prêts à
recevoir le monarque défunt, toujours sur le pied de
guerre pour ne pas se faire surprendre par un patron si
cruel avec les petites gens, si avenant et si
généreux avec ses hôtes de marque.
Ames bien nées, amis lecteurs, frères et
soeurs qui lisez mes propos! Que l'aspérité de
mes mots et la véhémence de mon langage ne
vous laissent pas soupçonner que c'est l'amertume
longtemps rentrée qui dicte ma critique! C'est le
regret de voir l'Islam bafoué, la
vérité travestie et mon pays dupé qui
aiguisent ma plume.
Nulle hargne ne m'anime. Dieu m'est témoin que je
souhaite le Salut éternel au défunt autant que
je souhaite aux vivants longtemps brimés, longtemps
trompés, longtemps étouffés, de tirer
les choses au clair. Les survivants de l'ère
passée doivent chercher à voir clair dans une
situation brumeuse et glissante pour éviter au Maroc
des dérapages catastrophiques et pour tirer du
passé des leçons pour le futur.
Parlons de leçon et de sagesse au prince
héritier devenu subitement roi après la
disparition d'un pauvre musulman pécheur. Parlons-lui
d'hier et de demain et de l'éternité pour voir
s'il a l'étoffe d'un fondateur capable d'initier une
ère nouvelle ou s'il n'est que le fils de son
père, ombre passagère sur la scène et
personnage transitoire.
Mort d' "homme"
Hassan II aimait entretenir ses intimes de la
première grande leçon qu'il a reçue
après le décès de son père
Mohammad V, (que Dieu les ait tous les deux dans Sa
Miséricorde). Lors de la prière des morts, la
dépouille du roi défunt Mohammad V
étendue, corps inerte devant l'assistance, on
annonça la prière pour "un homme". Un homme
parmi des milliards d'autres qui comparaîtront devant
leur Créateur. Un homme! Aucun titre honorifique. Un
homme! Réduit à sa plus simple expression. Au
bout du parcours, la dépouille d'un roi égale
celle du dernier des roturiers au regard des vivants
émus de méditer devant "un homme" leur propre
devenir, le seul devenir certain de tous les mortels: la
mort.
Hassan II, touché un moment par le spectacle
émouvant de la mort d'un homme-héros
adulé de son vivant, a-t-il cessé d'y penser
le jour d'après? A-t-il oublié la leçon
et l'avertissement des funérailles
éplorées de son père? Pourquoi se
détourne-t-on de l'inéluctable et se
distrait-on de l'implacable et redoutable fin qui nous
attend tous, nous les voyageurs
éphémères sur cette terre, demain pour
sûr simples "hommes" enveloppés dans un
linceul?
Les mécréants ont résolu l'angoisse de
la mort en s'acceptant animal sans signification et en se
résignant au néant. Pour ceux-là, la
mort est la tragédie suprême et ultime qu'il
faut oublier pour pouvoir continuer à subir la vie,
à jouir des plaisirs que la vie nous offre, à
laper à pleine gueule les pâtées de la
vie, à s'abîmer éperdument dans les
distractions de la vie, à se droguer physiquement ou
moralement pour oublier l'absurdité de la vie,
à se survivre dans la mémoire des hommes en
accomplissant des oeuvres d'art, en réalisant des
projets grandioses, en léguant à ses
héritiers un patrimoine consistant, à
l'humanité une découverte scientifique,
à sa ville un monument ou une fondation de
charité.
Ils apaisent donc ce sentiment latent en chassant
l'idée de la mort et l'image insupportable de leur
cadavre en putréfaction après la mort.
Quant aux musulmans fidèles à Dieu et ayant
foi en le Message de Son Envoyé le Saint
Prophète Mohammad, (Salut et
Bénédiction sur lui), ils cultivent le
souvenir et le ressouvenir de la mort, en font une
réminiscence de tous les instants. L'image de
"l'homme" que nous serons tous un jour ou l'autre devrait
être présente à notre esprit depuis le
réveil jusqu'au coucher et particulièrement
lors de nos prières et de nos oraisons. Ceci pour
avoir toujours présentes à l'esprit les
réalités d'après la mort: la
Résurrection, les comptes à rendre devant Dieu
de notre comportement durant la vie
éphémère ici-bas, la sentence du Juge
Suprême, la marche des bienheureux à leur
demeure éternelle dans le Paradis, où
l'escorte conduisant les mécréants et les
hypocrites aux fosses de l'Enfer.
Pauvre de l'homme moderne, de culture ou acculturé,
pour lequel parler de la mort est un signe de
dérèglement, une psychose, une obsession
maladive justiciable de l'asile psychiatrique.
Pauvres des "hommes", qu'ils soient rois ou simples mortels,
qui ont oublié les grandes leçons qu'ils se
plaisaient à raconter aux autres!
Pauvres de nous tous, "musulmans" sans la foi,
détournés de la foi, escroqués de la
foi, oublieux de la foi, infidèles à la foi,
traîtres de la foi, ennemis de nous-mêmes quand
nous nous comportons dans la vie comme si nous étions
éternels sur cette terre!
Le pauvre Hassan II, ému un moment lors de l'oraison
funèbre de "l'homme" qu'était devenu son
père (que Dieu embrasse dans Sa Miséricorde
l'un et l'autre) a vite fait d'oublier. Au lieu d'agir en
mortel soucieux de son Devenir après la mort, il
céda à la tentation que peut offrir la vie
à un roi: jeunesse, richesse, santé, prestige,
culture. Il céda à toutes les tentations qu'il
courtisa avec le doigté d'un artiste. Son
"métier de roi", terme qu'il affectionnait parlant de
lui-même, lui offrait les moyens et les
opportunités d'assouvir ses désirs de grandeur
et de savourer les délicates et délicieuses
tromperies de la vie.
Leçon d'histoire, leçon de
piété
O âme candide! O roi héritier de roi! O
"homme" fils d'"homme" et donc promis à la mort
tôt ou tard!
Hassan II, s'il n'était qu'un particulier, un commun
des mortels, aurait eu droit à notre compassion et
à notre silence compréhensif, pécheurs
mortels que nous sommes tous, implorant la Clémence
et la Grâce de Dieu. Mais il était roi! La
leçon que son fils doit tirer du spectacle de Hassan
"l'homme" qu'il a porté jusqu'à sa demeure
dernière sur ses épaules abattues ne doit
surtout pas dépérir dans la mémoire de
Mohammad VI, devenu aujourd'hui roi, devenant un jour
certain "homme" à son tour.
Hassan II, celui-là même qui institua la devise
trinitaire: "Dieu, la patrie, le roi" est désormais
pauvre chose ensevelie dans un cercueil doré; pauvre
chose.
Le jeune monarque a marché dans le cortège du
prétendu prétendant demi-dieu infaillible et a
assisté à la scène annuelle de la
sacrilège cérémonie où ce n'est
point Dieu qu'on adore. Puisse Dieu pardonner à
l'"homme" le rituel makhzenien de la bai'â
makhzenienne qui veut que les dignitaires du royaume se
prosternent bas, et à cinq reprises, devant l'idole
humaine, au milieu du tumulte des pauvres serviteurs
à chéchias rouges affairés à
aligner les rangs des adorateurs.
Comment veut-on que les dignitaires annuellement
dressés à se prosterner bas devant les idoles
aient quelque dignité que ce soit? Marionnettes en
djellabas blanches et en burnous dûment
retroussés, les pauvres gens, ministres et hauts
fonctionnaires, doivent se sentir une âme de tapis aux
pieds du maître.
Que vont répondre à Dieu les initiateurs et
les serviteurs d'un makhzen qui, en guise de contrat de
loyauté, fait subir aux hommes l'humiliant rituel,
impie et païen?
Le jeune roi a aussi assisté aux conférences
du Ramadan et aux festivités du mausolée.
Grandioses assemblées pour l'organisation desquels un
budget fou est affecté. Bien de mainmorte, les
habous sont des legs de musulmans pieux passés
de l'autre côté qui ont fait confiance aux
générations leur succédant pour que
leurs donations soient consacrées aux dépenses
pour le culte et pour les pauvres. Quelle trahison que celle
d'un pouvoir qui, non content de détourner l'argent
des morts, le dépense pour célébrer des
fêtes idolâtres!
Le jeune roi devra choisir entre deux destinées: soit
que le sens dynastique et l'éblouissement par les
feux de la rampe le portent à rester loyal à
une tradition décadente et à une pompe de
mauvais aloi et de mauvaise foi, soit qu'il se décide
à faire le grand pas pour dépasser et racheter
les crimes et les impiétés auxquels il a
assisté, avec une gêne évidente.
Si le jeune roi choisit de rester sous la tutelle de la
tradition ancestrale, craintif de transgresser la
caïda, l'on saura que la situation critique dans
laquelle se trouve le pays est sans espoir, et que le
respect de l'Islam que professait Hassan et que professerait
le Mohammad du choix craintif n'est qu'un vain mot.
Si, par contre, la crainte de Dieu et un éveil
spirituel animent le deuxième Mohammad, repenti et
revenu à Dieu, humble mortel préparant son
Devenir, il doit se mettre à démanteler
"l'empire du mal".
Le jeune et sympathique souverain, en ce début du
mois de novembre 1999, vient de remporter la première
manche dans un combat glorieux contre ledit empire. Il vient
de renvoyer le ministre de tous les crimes, le
préposé aux basses oeuvres de feu Hassan
II.
Bon augure et grand défi
C'est, ma foi, un coup de pied formidable dans la
termitière makhzenienne qui suscite l'optimisme.
Reste pour le monarque à achever le travail de
nettoiement. Après avoir déboulonné un
gros bloc, il lui faudra dégager les décombres
pour reconstruire à nouveaux frais l'édifice
vermoulu qu'on lui a légué. Il n'est certes
pas aisé d'effacer les atteintes à l'honneur
du Maroc, aux droits des Marocains, à la
dignité humaine, sans déraciner en profondeur
l'arbre de la géhenne.
L'acte spectaculaire et fulgurant de démettre de ses
fonctions le pilier central du makhzen, le factotum de
Hassan, son confident et son homme de confiance, est un acte
courageux et méritoire. Un tournant décisif
peut-être.
Mais, un tournant de quoi vers quoi?
L'homme de paille de Hassan II n'est qu'un pauvre
hère, un exécutant, un fusible destiné
à isoler des hautes tentions. A quoi sert de faire
sauter le fusible si l'installation défectueuse est
vouée à se perpétuer? Une fois le bouc
émissaire sacrifié, les démons sont-ils
pour autant exorcisés?
Le nouveau roi parle dans ses discours d'un "nouveau concept
de l'autorité". Il vient d'administrer magistralement
la preuve qu'il entend agir en conséquence. Il vient
de passer avec succès le test de
crédibilité. Après les petits signaux,
il vient d'en donner un grand.
Mais entend-il vraiment rompre avec le passé? Peut-il
rompre avec le passé?
C'est sans doute une petite révolution, mais à
quand la grande?
Où va Mohammad VI? Où va le Maroc?
Nulle part sans se reconstruire et reconstruire sur des
bases solides, sur le roc inébranlable de la foi.
C'est un acte politique de grande envergure que de chasser
dans l'opprobre une figure abhorrée par le peuple
entier. Comment vont être gérés le vide
politique d'une alternance fictive et l'espace politique
gagné par la disparition d'une grosse tuile?
On peut toujours pencher pour une politique politicienne et
trouver des agents à visage humain pour combler les
espaces vides. Mais quid du vide moral dont le
méchant ministre n'est que le voyant? Quid du vide
spirituel? Quid de l'économie et de l'argent des
morts et des vivants au pillage desquels le ministre
tombé participait?
Quid?
Mohammad fils de Hassan, et le Maroc avec, ne vont nulle
part en avançant dans le flou des improvisations et
du coup-par-coup. Quelle que soit l'audace du jeune roi,
quelles que soient sa fougue et ses actions d'éclat,
quelles que soient les espérances mises en lui par le
peuple qui pousse des ouf de soulagement, le manque d'un
projet de société clairement défini,
profondément accepté par le peuple risque de
compromettre cruellement l'espoir d'échapper aux
affres d'un déluge qui s'annonce proche.
Rupture salvatrice
Les hommes forts du régime, tel Oufkir et Dlimi,
laisseront la place aux serviteurs sans états
d'âme comme le ministre déchu aimait à
se définir. Sans une remise en cause approfondie, le
fond pourri des choses restera le même. Après
un sursaut spectaculaire, viendra la déception et
l'échec.
Quand le fond est pourri, les hommes de basses inclinations,
s'ils se voient chargés de présider au destin
des nations, ne vont pas s'inspirer d'une haute visée
qui transcende la bêtise humaine, l'injustice humaine,
la turpitude humaine et la férocité
carnassière des tortionnaires.
Seule une échappée par le haut peut extraire
les souverains héritiers d'un pouvoir absolutiste, et
les peuples à eux assujettis et peuplant les
bidonvilles matériels, culturels, politiques et
moraux de la "mare au diable".
Le cas d'espèce qui nous intéresse ici, notre
marécage marocain en l'occurrence, pue et sent. Les
pincettes des "signaux", petits et grands, ne peuvent aller
au fond pour évacuer la boue accumulée couche
sur couche.
Tâhe ingrate que celle de retrousser ses manches pour
"aller au charbon". Noble entreprise que celle de vouer sa
vie et son énergie à assainir l'environnement
et à déblayer le terrain pour pouvoir
construire. Le peuple soutiendra l'effort d'assainissement
et de reconstruction s'il est associé loyalement
à l'entreprise, dans la transparence. Les
énergies, les compétences et le potentiel
économique et moral ne manquent pas. Mais si l'on
veut les mobiliser et les faire fructifier, il faut mettre
une génération saine au travail, lui ouvrant
les yeux sur ce qui s'est passé et sur ce qui se
passe. Il faut congédier avec les agents de la
ténèbre la tradition de l'opacité et du
camouflage des vérités.
Le règne "glorieux" de Hassan "le bâtisseur" du
Maroc moderne était une succession de capitulations
politiques et culturelles vis-à-vis de
l'extérieur concomitante et solidaire d'un
absolutisme conquérant et cruel vis-à-vis du
peuple.
Mohammad VI est le premier à connaître, pour
les avoir subies, les manières brutales et le langage
"châtié" du défunt roi dans ses
relations avec les Marocains, proches ou serviteurs. Il
était aussi premier témoin de la
différence quand il s'agissait
d'étrangers.
Les accointances du roi défunt, que dis-je, ses
connivences, ses complicités avec ses amis et ses
soutiens étrangers sont des secrets de polichinelle.
Qui ignore son affection et son intérêt
particulier pour le sionisme cosmopolite? Le peuple marocain
n'a-t-il pas assisté, surpris et ahuri, au spectacle
télévisé des rabbins bénissant
et priant pour le "prince des croyants"?
La presse américaine a révélé
comment la CIA américaine en collaboration avec le
Mossad sioniste organisaient la sécurité du
défunt roi, comment ses amis de confession juive et
d'idéologie sioniste bénéficient de ses
faveurs. Est-il de plus grande preuve à cela que
celle de l'Etat sioniste usurpateur qui baptise 70 avenues
et rues en Israël du nom de Hassan après sa
disparition! Le gouvernement et les organisations sionistes,
animés par des juifs d'origine marocaine et qui
savent être reconnaissants envers leur bienfaiteur,
ont participé aux cérémonies
israéliennes en souvenir de "l'inoubliable ami".
Ami avoué des juifs sionistes, notre Hassan a tant
fait pour plaire et complaire à la gent cosmopolite.
Ce qui fait dire aux mauvaises langues que le système
hassanien est une judéocratie.
De cette lointaine perdition, de ce profond
égarement, il faudra au jeune et courageux Mohammad
VI revenir. Ce serait un repentir et un retour à Dieu
exemplaires si en plus de se désolidariser clairement
et sincèrement des aberrations du père et de
ses graves atteintes à l'Islam et à la morale,
il joignait une rupture avec ses propres erreurs de jeunesse
et ses péchés véniels.
Se désolidariser de cette politique exécrable
qui consiste à trahir le peuple palestinien
frère et musulman ne sera pas une vaine t,che. Les
complices du père jouent ouvertement pour
protéger le roi "regretté" et sécuriser
le roi novice. Par exemple quand l'Observatoire des fortunes
internationales publie que Hassan est l'un des hommes les
plus riches de la planète, la nouvelle et les titres
des journaux sont vite escamotés. L'on sait qui
détient les grands média et qui contrôle
la grande presse en Amérique et ailleurs.
Un changement de fond
La fortune fabuleuse du défunt roi (que Dieu
l'ait dans Sa Miséricorde) est échue en
héritage empoisonné à Mohammad VI et
à ses cohéritiers. La convoitise humaine
va-t-elle inciter les héritiers, musulmans et
descendants du Saint Prophète, à conserver
chacun sa part des biens que leur père a
amassés par les moyens que l'on sait?
Le roi jeune et les princes et princesses vont-ils,
peuvent-ils, interroger leur conscience sur la
disparité monstrueuse entre un peuple
végétant dans la misère noire et des
héritiers subitement ensevelis sous le poids d'une
richesse à peine croyable?
La psychologie des princes élevés dans les
palais d'une opulence inouïe est-elle apte à se
laisser effleurer seulement par la simple pensée de
comparer leur situation à celle des autres?
La conscience des princes éduqués et
élevés à l'européenne est-elle
susceptible d'être touchée par le sort de la
multitude qui végète dans le manque, le
besoin, l'analphabétisme, le désespoir, la
misère noire?
Le jeune monarque semble appartenir à la
catégorie des coeurs sensibles à la
misère des humbles. Tout incite à le penser et
à le croire: ses gestes attendris pour embrasser le
petit garçon handicapé, sa sollicitude envers
les démunis qui font la queue devant sa demeure et
auxquels il accorde son attention.
Signes de magnanimité et de
générosité. A la bonne heure!
Mais le jeune roi, le roi généreux et au bon
coeur peut-il aller plus loin sur cette voie louable?
Peut-il se convaincre, peut-on le convaincre que la
situation est tellement sérieuse, le besoin d'une
grande partie du peuple est tellement grand, que seul un
grand changement de fond peut mettre fin à
l'exclusion sociale, à l'indigence sans nom et
à la stagnation économique?
La condition de la femme, l'exploitation
éhontée de l'enfance, la jeunesse
droguée et en chômage semant la panique dans
les ruelles des quartiers sont autant de plaies sociales qui
crient la détresse du Maroc pauvre. La
criminalité juvénile est l'autre face, hideuse
celle-là, de la jeunesse souriante et optimiste qui
acclame le cortège royal.
Pour mettre en équation le Maroc afin de pronostiquer
sérieusement son avenir, il faut tenir compte de deux
données. La première est que le poids
énorme de la dette extérieure pèse sur
le budget du pays et handicape toute tentative de
redressement. Ceci en plus de l'immoralité de
l'administration, de sa lourdeur et de sa corruption qui
constituent la tare du Maroc agissant et la
malédiction du Maroc qui subit.
La deuxième donnée est que le jeune roi et les
princes et princesses sont les cohéritiers de la
colossale richesse laissée par l'homme disparu.
Mettez les deux données côte à
côte et l'évidence d'une solution radicale au
problème de la pauvreté des Marocains saute
aux yeux: affecter cette grande fortune au payement et
à l'effacement de cette lourde dette. Et voilà
que le roi nouveau se hisse au rang des héros.
Voilà que le jeune monarque accomplit l'acte
fondateur qui le lancera sur la trajectoire des
destinées humaines glorieuses.
Proposition simpliste! Naïveté enfantine!
Insanité et folie!
Le jeune roi au coeur tendre a-t-il l'étoffe d'un
héros pour tenter l'impossible? A-t-il l'imagination
"naïve" et supérieure de transcender toutes les
logiques de l'abandon et de la capitulation pour penser et
imposer cette politique d'une autre trempe?
Il y a maintenant plus d'un quart de siècle, j'avais
proposé au roi défunt l'exemple et le
modèle d'un saint-homme, luminaire brillant dans le
firmament de l'histoire musulmane, qui osa défier
toutes les logiques de son temps et de son clan pour
bouleverser l'ordre reçu, les idées
reçues et les traditions reçues de sa
lignée et imposer aux événements un
tour nouveau.
Lueur incomparable dans l'histoire post-califienne des
musulmans, Omar fils de Abdelaziz fut proclamé roi
après le décès de son oncle le roi
Soulaiman. Il s'avéra être un pur parmi les
purs en commençant son règne par la
restitution de tous les biens de la nation à la
nation. Il exigea de la famille royale de faire de
même. Sa femme, voyant la rigueur et la droiture d'un
époux hors du commun, consentit et déposa aux
pieds du roi jusqu'au dernier de ses bijoux.
C'est l'exemple et le modèle que j'ai proposé
au roi défunt dans mon incurable naïveté
et que je propose aujourd'hui, sans trop d'optimisme, je
l'avoue, au fils mortel d'un roi déjà
parti.
L'exemple de Omar Ibn Abdelaziz est le plus connu dans notre
histoire, mais il n'est pas unique. D'autres grands hommes
ont laissé dans l'histoire des musulmans des traces
indélébiles. Youssouf Ibn Tachfine en est un,
et des plus illustres.
C'est un jeu d'enfant que d'écrire et de
décrire pareille proposition. Sur le terrain des
réalités vécues, c'est
l'impensable.
C'est l'impensable, à moins que le dynamique Mohammad
VI n'élève son regard vers les cimes et
n'entreprenne la seule solution capable de libérer le
pays de la lourde hypothèque qui grève notre
présent et compromet tout espoir de
développement durable et profond. Ce n'est point
là une mince affaire.
Ce grand coup, si jamais la conscience royale le
conçoit et que l'audace souveraine ose l'envisager et
l'exécuter, permettra au jeune roi
inexpérimenté et entouré d'une
couvée de vipères éclose et
entourée de soins dans le nid du makhzen hassanien,
de prendre la stature d'un héros sauveur qui tatouera
la mémoire de l'histoire et rentrera par la grande
porte dans la Grâce de Dieu.
Le makhzen hassanien n'est pas près de rendre
l'âme. Quand on a pris le pli et contracté le
virus de la corruption et de la fourberie propres à
l'administration makhzen, haute et basse, on ne renonce pas
facilement aux prébendes, aux intrigues et aux
complots.
L'épuration d'une administration corrompue sera
possible une fois le "grand acte" accompli, la
régénération d'un système
vieilli envisageable, l'organisation d'une solidarité
sociale basée sur le développement et l'emploi
et non sur la seule charité publique et
privée. Le geste décisif et la geste
héroïque accomplis, le roi pourra faire appel
à l'abnégation de tous, à la
responsabilité et à la droiture de tous,
à l'implication et au dévouement de tous, pour
reconstruire un Maroc nouveau, un Maroc de rêve, un
Maroc rêvé.
Résistances
Utopie chimérique?
Non, simplement une solution de bon sens. Solution difficile
certes, car le monde où nous vivons n'est pas une
planète sans pesanteur, et les résistances
seront multiples.
Résistance extérieure quand les instances
financières, les banques et les
sociétés de placement verront leurs
intérêts lésés par un
déplacement subit et important de fonds aussi
importants.
Résistance tenant à l'atavique attachement aux
possessions de la terre, cet attachement propre aux hommes
toutes conditions confondues.
Le rapatriement de la fortune amassée injustement
après réalisation des biens immobiliers est
une solution de haute volée politique. Mais c'est
avant tout un devoir religieux. Rendre au peuple marocain ce
que le défunt "père de la grande famille
marocaine" a amassé n'est que rendre justice. Le
jeune roi au coeur tendre et à la dynamique
entreprenante devra se décider à envisager une
solution radicale au sujet de ce legs pesant, sinon ce sera
la stagnation du Maroc et son enfoncement encore plus bas
dans le sous-développement.
Cette proposition osée qui paraît à
première vue un indice de douce folie, le propos
d'une imagination ailée ou la divagation d'un
détraqué persécuté par une
idée fixe, paraîtra un jour comme le bon sens
et la solution de sagesse.
N'est-il pas ridicule et mesquin de faire tant de tapage
autour de la fondation Hassan II, cet organisme dont
l'idée a germé dans quelque tête
écervelée ou dans celle d'un fieffé
hypocrite. Quelle trivialité lorsqu'on veut attacher
au nom d'un homme réputé être l'une des
plus grandes fortunes de la planète (fortune
estimée par certains à 40 ou 50 milliards de
dollars, sans compter l'immobilier et les autres avoirs)
l'administration et la gestion du minable petit milliard du
deuxième GSM!
Sont-ce des racontars de mauvaises langues pendues que ceux
qui attribuent à un homme absent parce que mort des
richesses inexistantes?
D'odieuses calomnies colportées par des média
irresponsables?
Qu'on publie un démenti! Qu'on dise au peuple la
vérité et le chiffre exact ou approximatif des
biens spoliés!
Les nouveaux concepts
Le jeune "père de la nation" sait maintenant qui
détient les secrets et les clefs du vrai changement.
Puisqu'il propose un nouveau concept de l'autorité,
qu'il agisse conformément à un nouveau concept
de la justice et du partage équitable entre les
membres de la même famille.
Une nouvelle conception de l'économie et du
développement, jusqu'ici hors de portée,
s'impose à lui s'il veut faire sortir le pays de
l'ornière. L'équation qui aligne la dette
extérieure du Maroc avec les avoirs du roi du Maroc
crie au scandale. La dette extérieure absorbe,
maintenant après les gains de l'ajustement
structurel, quelque 36% du PNB du Maroc.
Parallèlement, le taux raisonnable de
l'épargne nationale qu'il faut pour un départ
sérieux de l'économie est de l'ordre de 36%.
Autre équation dont l'intérêt, s'il
échappe à l'entendement des petits comptables
réalistes et près de leurs chiffres
n'échappera pas aux imaginations
intrépides.
L'acte décisif, le geste historique proposé au
jeune roi émanciperait le Maroc du joug de la Banque
mondiale. Il mettrait le Maroc à l'abri des diktats
de cette institution carnassière qui a contraint le
pays à se soumettre aux restrictions impitoyables de
l'ajustement structurel avec le coût social qui a
terrassé le Maroc.
Devant la dévastation sociale qu'a provoquée,
et que menace d'aggraver, la main-mise de ladite banque sur
les économies endettées, l'on parle de
l'entreprise citoyenne. On fait appel à la
solidarité sociale pour adoucir la vie des couches
pauvres de la société.
Mohammad VI peut-il pousser ses sollicitudes envers les
pauvres au-delà de la bienfaisance
organisée?
Peut-on voir un jour le roi se métamorphoser en
roi-citoyen? Il conduit lui-même sa voiture et
s'arrête au feu rouge. Mais ce n'est pas cela qui fera
régner dans le pays la paix sociale tant
valorisée.
La liquidation du dossier dette/fortune royale dans le sens
que nous souhaitons aurait pour le Maroc d'immenses
avantages. L'investissement repartirait, l'argent
affecté aujourd'hui à l'amortissement de la
dette serait destiné à l'investissement
public. L'enseignement et l'éducation, dont l'ineptie
et les hésitations ont ravalé le pays au
125ème rang dans le monde, seraient sauvés du
désastre. L'infrastructure, déficiente ou
inexistante dans les zones rurales serait nettement
améliorée. Le désenclavement social et
géographique des zones défavorisées
permettrait un recul sensible de la pauvreté. Le
chômage pourrait être résorbé par
des procédés plus efficients que le
recrutement d'un millier de travailleurs par-ci ou
l'engagement d'une centaine de docteurs et
d'ingénieurs par-là.
Le grand acte accompli, le souverain pourrait s'attaquer,
avec une autorité indiscutable et une stature morale
hors-pair, à la corruption et à
l'immoralité que diffusent les médias
marocains. Il ne peut y avoir de départ
sérieux sans moraliser la politique, l'administration
et la société. On ne peut moraliser les autres
sans commencer par soi-même. Le grand acte est avant
tout une action morale.
Equipés alors de moyens économiques et
financiers, l'on pourrait envisager le salut public et
rentrer de plain-pied dans une aire nouvelle de transparence
et de vraie démocratie.
Je viens d'écrire le mot magique, le mot
fétiche, le mot passe-partout.
Je n'ai pas l'espace de discuter ici des principes et du
progrès que constituerait l'avènement d'une
démocratie propre dans un pays comme le nôtre.
La règle démocratique, c'est-à-dire en
résumé la liberté et le droit du peuple
de choisir son gouvernement est pour nous la seule issue de
la ténèbre absolutiste. Ce n'est ni le moment
ni le lieu de faire le procès de la démocratie
qui souffre même chez elle de maux incurables.
Je parle de la règle démocratique pour faire
le distinguo entre l'organisation procédurière
et le corollaire inhérent à la
démocratie moderne : la laïcité, la
sécularisation et l'indifférence aux valeurs
spirituelles et morales.
Si nous sommes preneurs de la règle et de la
procédure démocratiques, nous rejetons tout ce
qui risque de nous éloigner de notre raison
d'être: l'Islam.
Longtemps exclus de la scène politique, qu'on nous
permette de rester sceptiques quant aux possibilités
d'un rachat global par le jeune monarque. Cependant, en
accord avec la logique d'ensemble de l'Islam qui n'exclut
pas la démarche progressive d'un repentir et d'un
rétablissement, nous ne sommes pas
pressés.
Et toujours en accord avec cette logique, nous maintenons
cette "tranquille" proposition. Qu'on montre aux yeux du
monde de quel bois l'on se chauffe, qu'il y a quelqu'un
derrière la barre qui dirige le navire avec sagesse
et droiture après le limogeage des ministres pirates.
Qu'on administre au peuple endolori, par des actes virils et
décisifs, la preuve que la tradition tyrannique et
impie ne va pas se répéter à
l'identique, que la bouffée d'espoir que la jeunesse
respire au contact du roi jeune n'est pas l'annonce d'une
bourrasque, que les héritiers de la fortune colossale
vont lâcher prise.
La fortune héritée pourrait couvrir plusieurs
fois la dette du Maroc et financer les besoins urgents du
Maroc. En proposant au roi et aux princes et princesses le
repentir et la restitution au peuple des biens du peuple, je
ne leur demande pas d'évacuer leurs villas et de
partager avec les Marocains démunis l'habitat
sinistre des bidonvilles. Le roi, représentant de
l'Etat, doit avoir à sa disposition les moyens
matériels de son rang. Les princes et princesses ont
droit, une fois qu'ils se seraient montrés solidaires
avec l'entreprise exemplaire et historique que nous
proposons, auraient droit à la reconnaissance du
peuple et à ses égards. Ils auraient droit
avant tout et surtout à l'agrément de
Dieu.
Que le roi lise et fasse lire aux siens le Coran et le
Hadith du prophète. Les versets du Coran et
l'enseignement du Hadith détaillent le
châtiment réservé aux potentats iniques
et maudissent l'injustice et les injustes. Le Kitab al
madhalim dans le recueil de Boukhari serait une lecture
édifiante pour tous.
Je souhaite beaucoup de cran et de courage au jeune roi tout
en lui répétant en guise d'adieu:
Rachetez votre pauvre père de la tourmente en
restituant au peuple les biens qui reviennent de droit au
peuple. Rachetez-vous! Repentez-vous! Craignez le Roi des
rois!
Salé, le 05 châabane 1420,
correspondant au dimanche 14 novembre 1999.
Abd Assalam Yassine
P.S.: J'ai rédigé ces pages en français
pour des raisons faciles à deviner; outre que seul ce
qui est écrit dans une langue européenne est
lisible dans les instances diplomatiques et
politico-médiatiques, ces messieurs-dames
"francophonisés" tiennent pour bavardage insipide ce
qui se publie en arabe, langue devenue pour eux un simple
moyen vernaculaire pour communiquer avec le peuple
analphabète.
Quel que soit votre effort de communiquer avec
l'élite occidentalisée, votre discours est un
charabia confus si vous vous exprimer en arabe, surtout si
vous portez barbe et que vous ne pratiquez pas l'idiome
journalistique courant et les formules toutes-faites faciles
à déchiffrer.
[Fin
du ducument de Mr Yassine]