Maître Eric DELCROIX
Le public a perçu confusément la singulière condamnation, en la personne de Robert Faurisson, d'un universitaire français pour "falsification de l'Histoire". Mais cette condamnation est elle-même quasi mythique, n'étant qu'une création de la désinformation, ordinaire quand les media traitent de sujets qui impliquent malheureusement une partialité unilatérale; ce "conformisme de fer" contre lequel le professeur Faurisson, justement, s'élève.
Et pourtant il y eut condamnation.
Le procès ayant abouti au jugement dont on trouvera le contenu intégral en annexe a été intenté par la L.I.C.R.A., ainsi que par huit autres associations coalisées en remorque. Ces associations ayant prétendument subi un préjudice du fait des falsifications de l'Histoire dont se serait rendu responsable celui que l'on a appelé le "saint Thomas de la chambre à gaz". Ce procès a suscité divers "incidents" formels sur la recevabilité des demandes et la qualité des demanderesses à agir; incidents sur lesquels nous ne ferons qu'une brève digression, pour éviter des développements qui n'intéressent que les férus de procédure. On ne peut cependant les éluder totalement, à peine d'altérer la bonne intelligence de la question.
Il faut savoir, tout d'abord, que les juges du tribunal ont admis qu'une association quelconque pouvait librement ester en justice, non seulement pour la préservation de son intérêt personnel (protection de sa dénomination, de son patrimoine, etc.), mais encore pour assurer "l'accomplissement de la défense de l'objet statutaire dont chacun de ses membres ou adhérents lui a confié la charge collective et ce indépendamment du préjudice social subi par chacun d'eaux." Jusqu'ici, la jurisprudence était restée très rétive, l'objet statutaire étant resté à la libre fantaisie des fondateurs d'associations, rarement à cours d'imagination. Aussi le législateur avait-il été conduit à instituer des habilitations spéciales (par exemple pour permettre aux syndicats professionnels de défendre les intérêts collectifs d'une profession, ou pour qualifier certaines associations à agir pour poursuivre les manifestations délictuelles du "racisme"). Si le jugement rendu le 8 juillet par le tribunal de grande instance de Paris devait faire jurisprudence, les associations de libres-penseurs ou les associations religieuses pourraient plaider les unes contre les autres pour faire trancher par la justice du mort de Dieu, de sa vie, de son oeuvre!
Deux autres incidents de procédure doivent être également mentionnés. Le premier a trait à l'intervention dans l'instance de l'Union des déportés, internés et victimes de guerre (U.N.D.I.V.G.). Cette intervention a été faite par voie de "conclusions" en date du 6 novembre 1980, conclusions qui ne précisaient pas à laquelle des sept procédures parallèles, alors pendantes, l'U.N.D.I.V.G. entendait s'adjoindre (la "jonction" des instances n'étant intervenue qu'avec le jugement). C'est pourquoi la défense n'a jamais répondu à ces conclusions. En effet, selon les règles de la procédure applicables au tribunal de grande instance, en préalable à toute contre-argumentation, l'avocat du défendeur doit déposer un formulaire de "constitution", formulaire qui doit être retourné par l'avocat demandeur à son confrère avec l'indication du numéro de la procédure. En l'espèce, cette indication faisait défaut et n'a été faite que postérieurement à la clôture de la procédure. Les conclusions de l'U.N.D.I.V.G. étaient donc hors procédure, formellement inexistantes, ce qui ne les a pas empêchées d'être satisfaites! Pleurez pauvre plaideur. Enfin, et avant d'en venir au fond élu procès qui nous intéresse, mentionnons qu'a été admise l'intervention de l'Association Fils et Filles des déportés juifs de Frange, association créée après les faits reprochés à Robert Faurisson, et dont la demande a été jugée comme en effet dépourvue d'objet (préjudice allégué), mais non de cause légitime; ce qui peut laisser perplexe, l'association intéressée étant: ainsi admise à plaider pour ne rien demander. En revanche, l'intervention de l'éditeur de M. Faurisson a été, elle, jugée irrecevable, tout comme les interventions des responsables, autour de Serge Thion, de la publication du livre de celui-ci en faveur du professeur, Vérité historique ou vérité politique?.. Les intervenants, si l'on comprend bien le tribunal, ne sauraient avoir un intérêt personnel à sauvegarder dans cette affaire, en dépit de l'engagement positif qu'ils ont pris publiquement pour se porter garant du sérieux et de l`honnêteté de Robert Faurisson. Ils ont cherché en vain une cause qu'a pourtant trouvé sans peine "Fils et Filles", par la seule vertu de l'objet social ad hoc que cette association s'est donné après qu'ont été publiés les écrits ayant fondé lies poursuites.
Avant d'en venir à la question de fond traitée dans le jugement du 8 juillet, il convient également de souligner que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance est une procédure écrite. Voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue pour comprendre ce qui va suivre. Quelques précisions: une telle procédure est introduite par une "assignation" motivée, acte d'huissier délivré au défendeur qui, pour se défendre, doit constituer un avocat (on a déjà vu plus haut ce qu'il en était de l'acte formel de constitution). Ensuite, de part et d'autre, les arguments sont concrétisés par des "conclusions" écrites signifiées par l'avocat d'une partie à l'avocat de l'autre, dans les formes particulières édictées par le Code de procédure civile. Dans ce cadre, les plaidoiries, pour spectaculaires qu'elles puissent être (deux journées entières dans le cas qui nous intéresse, avec la prestation remarquée de l'avocat Badinter, devenu garde des Sceaux avant le prononcé du jugement) ne peuvent qu'illustrer des arguments figés par les "écritures" qui seules fournissent aux juges la substance de leur décision
Dès lors, nous appuyant sur les écritures de justice de la L.I.C.R.A., association pilote en l'espèce, quel est le débat? Il est reproché au professeur Faurisson d'avoir:
1. "volontairement faussé la présentation de l'histoire" (assignation de la L.I.C.R.A., en sa page 2);
2. "volontairement tronqué certains témoignages, tels que celui de Johann Paul Kremer" (même assignation, en sa page 3);
3. écarté "sans justification sérieuse un certain nombre de preuves retenues jusqu'alors par des instances judiciaires nationales et internationales" (même assignation, en sa page 3).
Il s'agit donc d'un procès en "falsification de l'Histoire", ou du moins compris comme tel par les parties en présence. On observera, avant de continuer, que l'argument mentionné plus haut n'est que l'annonce des deux autres. La responsabilité du professeur Faurisson serait donc mise en cause à raison des arguments numéros 2 et 3, arguments qu'on aurait pu croire liés. Voilà le procès, cet étrange procès en responsabilité universitaire, ou plutôt para-universitaire, puisque mettant en cause des travaux effectués par un maître de conférences en dehors des cours qu'il assurait à la satisfaction de ses étudiants, cours auxquels il a dû renoncer à la suite de manifestations violentes et dans des conditions étrangères à la légalité. Et à la lecture du jugement le tribunal paraît, dans un premier temps, donner raison au défendeur. Ainsi lit-on que les tribunaux "n'ont ni qualité ni compétence pour juger l'Histoire" (page 11, cinquième alinéa), et qu'échappe auxdits tribunaux la faculté "d'imposer une thèse historique qui aurait valeur d'histoire officielle ou, même simplement, de marquer une préférence en tentant de départager les tenants de telle ou telle thèse" (page 11, dernier alinéa, et suite page 12). Ensuite de quoi, acte est donné à Robert Faurisson que le chercheur n'est tenu à aucun conformisme, qu'il est libre de faire de l'histoire engagée et qu'il n'appartient pas au tribunal de rechercher si son "discours constitue ou non une falsification de l'Histoire" (page 14, deuxième alinéa) et c'est arrivé à ce point, donnant apparemment raison à la défense, que le tribunal bascule paradoxalement en faveur de l'association demanderesse, motif pris qu'en rejetant dans "le néant des mythes" les chambres à gaz, "M. Faurisson, universitaire français, manque aux obligations de prudence, de circonspection objective et de neutralité intellectuelle qui s'imposent au chercheur qu'il veut être" (on est loin du chercheur "engagé" qui a reçu précédemment quitus!). Toute licence est donc laissée à la recherche historique, pourvu qu'elle contourne prudemment la chambre à gaz, c'est-à-dire la sensibilité dogmatique de la religion officieuse sur laquelle s'est construit l'"Etat laique" depuis 1944. La responsabilité du chercheur étant finalement, deus ex machina, après tant de précautions verbales, admise. Mais comment le "manque", la faute commise par le professeur se caractérise-t-elle, puisqu'il ne saurait y avoir de sanction de supposée et introuvable falsification?
Le tribunal nous dit que M. Faurisson a, avec "une légèreté insigne" (?) paru vouloir faire admettre que "les victimes du régime concentrationnaire auraient, de près ou de loin [?], été les auteurs et les bénéficiaires volontaires ou involontaires d'une "gigantesque escroquerie politico-financière" (jugement page 14, quatrième alinéa). Il y a là une allusion directe à la fameuse phrase de soixante mots prononcée par le professeur sur les ondes d'Europe 1, le 17 décembre 1980. Phrase surprenante ici, puisque étrangère à la cause concernant des écrits remontant aux mois de janvier et février précédents. Phrase que la première chambre du tribunal a été pêcher dans le procès pénal (jugé le 2 juillet 1981 par la dix-septième chambre correctionnelle); et qu'elle taxe d'"apologie du crime de guerre" et d'"incitation à la haine raciale", oubliant que la condamnation pénale pour ce propos et visant d'ailleurs la seule "incitation" n'étant pas devenue définitive, toute appréciation lui en est interdite au nom du principe "le criminel tient le civil en état", principe de procédure qui défend aux juges civils de se prononcer sur un point concurremment soumis aux juges du pénal; la suprématie étant conférée à la décision de ces derniers pour pallier les éventuelles contradictions de jugement.
Et tout cela parce que, voici la faute, la très grande faute, le délit civil, le professeur Faurisson tend "à écarter par principe tous les témoignages rapportant l'existence des chambres à gaz et à leur refuser toute valeur probante pour avoir été recueillis sous la contrainte ou grâce à des promesses" (jugement, page 13, quatrième alinéa). C'est donc à l'argument 3, subtilement dissocié du numéro 2, que le tribunal, en fin de compte, s'est rattrapé, en termes très généraux, et non sans caricaturer outrancièrement la position du professeur à cet égard. Et le jugement se dispense de donner la moindre précision, précisions qui, du reste, ne lui ont jamais été fournies dans l'assignation, ni dans les conclusions subséquentes de la L.I.C.R.A., laquelle s'est bornée à affirmer gratuitement: "attendu qu'il a été amplement satisfait à la demande de M. Faurisson de fournir les preuves des allégations de la L.I.C.R.A." (conclusions du 9 octobre 1980). L'association demanderesse n'a donc rien démontré, gagnant ainsi sans combat, en s'abritant derrière une muraille de papiers constituée par les pièces qu'elle a versées au débat. Pièces à l'appui d'une démonstration toujours attendue mais jamais seulement esquissée. Alors pourquoi ces dizaines de kilogrammes de pièces hétéroclites, allant du document justifiant d'intéressantes controverses à la feuille invérifiable, en passant par la littérature de gare (tel Au nom de tous les miens, de Martin Gray, best-seller rédigé par le "nègre" Max Gallo, et relatant notamment un séjour que l'"auteur" n'a jamais fait à Treblinka)? De son côté, la défense a déposé des conclusions de plusieurs pages pour critiquer ces pièces, dont certaines traductions tendancieusement tronquées, ce qui ne ressort pas malheureusement de la lecture du jugement.
Aucune démonstration particulière n'étant faite, la défense était impossible, et donc la demande inepte. C'est là, et là seulement, que réside la preuve impossible, la probatio diabolica. Est traditionnellement désignée par cette expression latine l'inversion de la charge de la preuve qui aboutit à l'impossible preuve négative: si l'on peut prouver qu'Untel a commis un meurtre défini, en revanche nul homme adulte valide ne peut prouver qu'il n'a jamais commis de meurtre! Ici le professeur Faurisson ne saurait, pas plus que quiconque, prouver qu'il n'y avait aucune insuffisance, erreur, voire "légèreté" dans les nombreux travaux qui l'ont conduit à ses positions. Mais jamais la démonstration de ces insuffisances, erreurs, voire "légèretés", n'a été apportée. De façon surprenante le tribunal, déplaçant le sens des mots, a utilisé l'expression probatio diabolica pour estimer, par essence, impossible la preuve par un "unique témoignage" résistant à la critique (jugement, page 13, sixième alinéa). Pourtant, chaque jour, et depuis la nuit des temps, des juges voient emporter leur intime conviction, y compris sur un unique témoignage. Alors? Que devait faire la défense? Ce qu'elle a fait sous mon impulsion (je crois pouvoir le dire sans fatuité, ni modestie déplacée), c'est-à-dire se fonder sur la seule contre-démonstration possible; donc en fonction de la seule imputation précise, argument numéro 2 de la demande qui paraissait l'axe essentiel de celle-ci ("avoir volontairement tronqué certains témoignages, tels que celui de Johann Paul Kremer"). Vous avez dit Kremer? Pour se justifier sur son analyse du Journal du Dr Kremer, médecin à Auschwitz, le professeur a fourni au tribunal une étude complète, avec documents à l'appui. Et ce, en dépit de la faiblesse de la simple affirmation gratuite de la demanderesse. Cette étude extrêmement sérieuse attend toujours sa réfutation et, sur elle, le tribunal fait désagréablement silence, un silence complet. C'était bien la peine, cher professeur.
Le tribunal, nonobstant les principes de la procédure écrite, me paraît s'être laissé influencer par la marée des plaidoiries, riches en effets oratoires et en affirmations irresponsables comme par les dizaines de kilogrammes de papiers versés au débat par la L.I.C.R.A. (dont toute la procédure de justice militaire concernant le camp de concentration du Struthof, dont il n'a pas été en définitive question).
Il demeure que le professeur Faurisson a été condamné non pour falsification de l'histoire, quoi que puisse faire accroire la désinformation qui se répand par les media. Passe que Le Droit de vivre, organe de la L.I.C.R.A. ait titré en première page: "Faurisson condamné pour falsification de l'histoire" (numéro de juillet 1981); mais Le Monde, lui-même, n'a-t-il pas publié une fausse "publication judiciaire" étrangement entachée d'une erreur inversant le sens de l'attendu traitant de la question des prétendues falsifications (Le Monde daté du 18 juillet 1981)
Non, mais Robert Faurisson faute de pouvoir être condamné de ce fait (objectivable) l'a été pour impiété. En effet il a été sanctionné pour avoir, dit-on, écarté "tous les témoignages"; c'est-à-dire à raison de son intime conviction (non objectivable). Ce, alors même, comme nous l'avons vu précédemment, que les juges devant des témoignages demeurent par principe libres de leur accorder le crédit qu'ils veulent. Il est donc reproché à M. Faurisson de ne pas croire. Pour justifier un tel reproche on remarque qu'il refuse et critique des "témoignages" (lesquels au fait?) de gens au-dessus de tout soupçon. Et quand on aura dit que l'Eglise catholique elle-même n'a pas fait de Fatima une vérité de foi, en dépit de multiples témoignages, on pourra se demander où aujourd'hui s'est réfugiée la société cléricale, et si certains procès ne sont pas les messes rituelles nouvelles (ici on a eu recours à la preuve ontologique: "Le national-socialisme est le mal parfait, or la marque du mal parfait est le génocide, donc le national-socialisme a nécessairement commis le génocide").
On ne sort pas de la culture du paradoxe. Le tribunal civil a admis, là encore, l'argument plaidé par la défense qui prétendait que, faute de pouvoir s'en prendre aux méthodes du professeur, on s'en prenait aux seuls résultats de celle-ci, résultats idéologiquement inacceptables. Il l'a néanmoins condamné
Robert Faurisson est notre dissident, et à travers lui a été condamnée la "propagande" anti-holocauste, comme en U.R.S.S. est condamnée la propagande anti-soviétique. Certes ici c'est le conformisme qui le plus souvent sert de police de la pensée, mais on voit que les institutions judiciaires peuvent y prêter la main.
Comme tout dissident, M. Faurisson ne peut pas s'exprimer. De jurisprudence constante on lui refuse le droit de réponse légal dans la presse, et lorsqu'il a pu obtenir devant le tribunal et la cour de Paris la condamnation du Matin, le quotidien de M. Perdriel, le franc symbolique a été assorti d'une façon extraordinaire du refus de publication judiciaire "en raison des circonstances" (!?).
Le professeur Faurisson a interjeté appel du jugement du 8 juillet, qui apparaît, à l'analyse, aussi comme un jugement de valeur.
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