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Question de principe

Par Jean-Gabriel COHN-BENDIT

Je plaide non coupable...



Comment écrire ou tenter d'écrire rationnellement sur un sujet quand jusqu'ici ceux à qui s'adresse ce texte refusent une discussion rationnelle?

Pour que l'on accepte ce texte, il faudrait que l'idée même de réexaminer l'histoire de la "solution finale" apparaisse comme pertinente, or c'est cette pertinence même qui est mise en cause, c'est le fait de penser que l'histoire telle qu'elle nous est présentée pose d'énormes problèmes qui est nié... Comment peut-on, à moins d'être un fou, un salaud, un aveugle ou un ignorant, se poser non pas tel ou tel problème de détail, mais bel et bien la question:

"L'Allemagne nazie a-t-elle réellement décidé au plus haut niveau l'extermination concertée de tous les Juifs vivant sous sa domination? Y a-t-elle quasiment réussi en exterminant six millions sur neuf au moyen du garage à l'aide du cyclon-B?"

Je sais que j'en ai déjà trop dit, que certains refuseront d'aller plus loin, ces dernières lignes suffisent à me discréditer d'une façon ou d'une autre.

Il serait absurde de m'en indigner car j'aurais réagi de la même façon il y a encore deux ans passés.

Pourquoi ce conditionnel puisque j'ai réagi ainsi pendant près de dix ans vis-à-vis d'un ami qui me pressait de lire Rassinier. Ce qu'il m'en disait me paraissait tellement aberrant que je ne voyais pas pourquoi je perdrais une seule minute avec de telles inepties. Je lui ai fait à peu près toutes les réponses qu'on me fait aujourd'hui:

1. Tout cela est absurde, tant de faits massifs sont là pour attester du génocide, des chambres à gaz et des millions de morts.
2. La discussion sur les chiffres est non seulement macabre mais ne change rien au fond du problème.
3. Cela changerait-il d'ailleurs quelque chose que le nazisme resterait une abomination comme l'humanité n'en a point connue. Alors quel intérêt cette discussion peut-elle avoir?
4. L'unique avantage qu'elle pourrait avoir serait de réjouir quelques néo-nazis...
5. Conclusion: j'ai vraiment autre chose à faire et à penser.
Cet ami m'agaçait avec son Rassinier, je le soupçonnais même, malgré son passé et son présent politique, d'être un peu antisémite... Et me voilà aujourd'hui confronté au même scepticisme, aux mêmes suspicions... Je demande donc à ceux qui aujourd'hui ont l'attitude que j'avais hier et qui sont la quasi-totalité de l'intelligentsia française, historiens ou non, d'essayer de comprendre comment j'ai pu passer des certitudes qui sont les leurs aux doutes qui sont les miens à présent.

Je dis comprendre et non accepter, car il est toujours possible que je me trompe; mais si je ne suis devenu ni fou, ni salaud, ni stupide, ni fanatique, il faudra bien tenter de me démontrer mon erreur par la discussion, par le débat et non par l'injure, la suspicion ou le procès d'intention.

Mais pourquoi ai-je ce désir de discussion, pourquoi ne pas accepter de m'en tenir à un travail de recherche et de réflexion solitaires? Parce que je ne crois pas à la réflexion et encore moins à la science solitaires. L'échange est pour moi une donnée fondamentale de l'élaboration de toute vérité dans quelque domaine que ce soit.

La solitude, parfois inévitable de fait, est toujours dangereuse, le discours délirant toujours possible. Je refuse d'accepter cette situation d'isolement sans rien tenter d'y changer.

Pis, ces doutes, je ne suis pas le seul à les avoir; je les partage avec ceux pour qui ils sont devenus certitudes et qui dans leur immense majorité sont gens de droite, fascisants même, c'est-à-dire à l'opposé de tout ce en quoi je crois, de tout ce pour quoi je combats, et cette situation m'est insupportable.

Alors oui, il y a chez moi un besoin de justification, il y a du plaidoyer dans ces lignes... Le tribunal est d'ailleurs la constante de l'historiographie de cette période... Chaque historien se fait procureur ou défenseur... L'histoire elle-même repose essentiellement sur des pièces de procès, de celui de Nuremberg à celui d'Eichmann. On avance des pièces rassemblées par la "Commission d'enquête sur les crimes nazis commis en Pologne"... Enfin quiconque parle de cette histoire est aussitôt sommé, nous y reviendrons, non seulement de dire si c'est en tant que témoin à charge ou à décharge du régime nazi, mais encore est décrété d'office défenseur du nazisme s'il conteste l'indubitabilité de certains faits (les chambres à gaz) ou la logique de certains arguments.

Pour ma part, je plaide non coupable de la saloperie qui consisterait à être d'une façon ou d'une autre, subjectivement ou objectivement, comme disaient si joliment des procureurs grands et petits de la belle époque stalinienne, un défenseur du nazisme à quelque degré que ce soit.

Je plaide non coupable d'ignorance ou de folie.

Je plaide non coupable auprès de ceux qui penseraient qu'il y va du simple plaisir de la provocation.

Je plaide non coupable auprès de ceux qui m'accuseraient de meubler par cette marotte stupide le vide idéologique et politique qui serait le mien.

Je plaide non coupable de l'accusation de perversion masochiste, d'autoflagellation.

Mais, encore une fois, j'accepte fort bien que je puisse me tromper. Par a priori idéologique par exemple: mon antistalinisme me faisant douter de certains documents, alors qu'exceptionnellement, dans ce domaine, les staliniens pour une fois seraient purs de toute falsification...

Encore faudra-t-il essayer de me comprendre, de me lire, de peser mes arguments, comme je le fais moi-même pour ceux des autres et tenter de me répondre, sans injure, en un mot: accepter le débat.

Si la recherche de la vérité est une motivation suffisante pour qu'aujourd'hui, sur cette question, je veuille continuer mes recherches, ce ne fut nullement le point de départ de celles-ci.

Car ce qui fait problème, c'est bien de savoir comment j'ai pu en arriver à douter de l'historiographie officielle, du discours admis de "la solution finale".

Cette réponse est simple pour un néo-nazi que cette histoire dérange dans ses tentatives de réhabilitation d'Hitler de même que tout était simple pour le militant stalinien qui niait en bloc tout ce qui pouvait gêner sa vision du paradis socialiste en U.R.S.S.

Pour moi l'évidence du génocide, des six millions de morts et des chambres à gaz était l'une des rares certitudes que vingt-cinq ans d'errance poétique n'avaient jamais entamée.

Si depuis quelques années la communauté scientifique des historiens dans sa grande majorité avait émis des doutes sur cette partie de l'histoire du IIIe Reich, j'aurais pu expliquer, par mon passé de Juif, fils d'émigrés, élevé dans des maisons d'enfants juifs, pourquoi moi, je n'arrivais pas à accepter cette remise en cause.

Mais c'est l'inverse qui se produit. Le problème est celui de mes doutes en opposition à la quasi-totalité de la communauté scientifique des historiens et de l'intelligentsia en général. Et mon histoire personnelle rend ces doutes encore plus incompréhensibles! Alors je comprends qu'on aille y voir de plus près sur ma santé mentale...

Pour ceux qui voudraient tout de même tenter de comprendre, il faut partir du moment qui a précédé la rupture, de ce qu'il est convenu d'appeler désormais l'"affaire Faurisson".

Liberté liberté chérie...

Du fait que la grande majorité de l'humanité vive dans des pays où la liberté d'expression n'existe pas, on pourrait tirer la conclusion qu'il faut s'estimer heureux de vivre dans un pays où elle existe, et s'en tenir là...

Les dissidents de l'Est et les réfugiés d'Amérique latine sont là pour nous rappeler ce privilège qu'il serait absurde de nier.

Mais je pense, pour ma part, que ce privilège même impose qu'on ne se contente pas de ce que nous avons; il faut le défendre certes, empêcher qu'on ne l'ampute, mais aussi se battre pour obtenir encore plus. En ce domaine précis de la liberté d'expression, il n'est pas de limite.

Si je sais le prix de la différence entre un régime démocratique et un Etat totalitaire, je ne me contente pas du repoussoir qu'est l'Etat totalitaire pour accepter ce qui dans l'Etat démocratique me paraît être une limitation à la liberté d'expression.

-- L'"obligation de réserve" des fonctionnaires est une limitation inadmissible de la liberté d'expression. Comment accepter que les citoyens d'une certaine catégorie se voient interdire de dire ce qu'ils pensent, comme ils le pensent, sous prétexte qu'ils sont fonctionnaires? Pour polémiquer, je dirais que les Etats totalitaires font "obligation de réserve" à tous les citoyens.
-- Que certaines institutions comme l'armée ne puissent être jugées comme bon nous semble, que l'on puisse tomber sous le coup d'"injure à l'armée" pour avoir dit d'elle ce que l'on peut dire de n'importe quelle autre institution (l'école par exemple...) me paraît tout aussi grave. Et les Etats totalitaires ne font qu'étendre cette interdiction à toutes les institutions et à la société entière.
-- Qu'un étranger ne puisse s'exprimer librement sans risquer l'expulsion me paraît tout aussi inacceptable. Et je me souviens de Chirac, alors Premier ministre rappelant Plioutch, juste libéré des camps soviétiques, à plus de retenue dans ses propos sur l'U.R.S.S. Voilà un homme qui, au risque de sa vie, avait parlé en U.R.S.S. pour dénoncer le régime totalitaire et qui, arrivé en France, pays démocratique, devrait se taire ou faire preuve de plus de retenue!

Plioutch serait condamné à se taire en U.R.S.S. "son pays" parce que la liberté d'expression n'existe pas, et en France où elle existe parce que ce n'est pas "son pays". Disons que, là encore, les Etats totalitaires traitent tous les citoyens comme des étrangers, puisque comme Hitler le fit jadis pour mon père, les dirigeants de l'U.R.S.S. expulsent et retirent la nationalité soviétique aux dissidents.

En conclusion, il n'est pas d'homme, citoyen du pays ou étranger, fonctionnaire ou non, qu'on puisse empêcher de dire ce qu'il pense; il n'est pas d'institution, armée, chef d'Etat, dont on ne puisse dire ce que l'on pense.

Mais le combat pour la liberté passe aussi par les moyens que l'on a d'exprimer ce que l'on pense, ce qui pose le problème du monopole d'Etat de la radio et de la télévision, du monopole d'argent dans la presse écrite, d'où le combat pour une radio libre et une presse différente.

J'ai toujours été frappé par cette absurdité qui veut que ceux qui, à un moment donné, ont des idées minoritaires doivent les exprimer en moins de temps ou de caractères d'imprimerie que ceux qui ont des idées majoritaires.

Alors que le "bon sens" voudrait qu'on leur en donnât plus afin qu'ils puissent se bien faire comprendre de la majorité.

De même que les périodes électorales, et quoi qu'on pense des élections, ne soient pas des moments privilégiés où tous les candidats aient le même temps de parole et la même place dans la presse est un fait que je n'accepte pas comme allant de soi.

Peut-être bien qu'une certaine forme, ou certains aspects de la démocratie sont en fait plus hypocrites que le totalitarisme. C'est dans ce cadre que se pose la question: est-il des idées, des opinions qui n'aient pas le droit de s'exprimer?

J'ai moi aussi pensé "pas de liberté pour les ennemis de la liberté". J'étais pour l'interdiction d'un meeting fasciste, d'un journal raciste... J'ai manifesté en 1956 lorsque Guitton a été nommé professeur à la Sorbonne, sous prétexte qu'il aurait été pétainiste pendant la guerre, ce qui ne m'empêchait pas, en vertu des grands principes démocratiques, de protester en même temps contre l'interdiction d'un meeting d'extrême-gauche, la saisie d'un livre sur la torture en Algérie, l'interdiction sous la pression d'associations confessionnelles d'un film comme La Religieuse.

Je me servais des principes démocratiques pour mon droit à l'expression et trouvais toutes sortes de bons arguments pour justifier l'interdiction d'autres idées...

Lorsque j'ai entendu Gisèle Halimi demander la censure pour certains livres ou films sexistes, comme elle existe pour les propos racistes, lorsque j'ai appris que l'on voulait empocher un chanteur de chanter ses chansons patriotardes comme des paras avaient voulu empêcher Gainsbourg de chanter sa Marseillaise reggae, alors j'ai pris le parti définitif de défendre la liberté d'expression sans condition, sans restriction, quel que soit le contenu des idées émises, racisme y compris.

Dans cette attitude, certains veulent voir de l'autoflagellation, du masochisme, parce que je me bats pour que puissent s'exprimer ceux qui me crachent à la gueule. Si j'étais persuadé que laisser parler mes pires ennemis, ceux que peut avoir un Juif libertaire, équivaudrait tôt ou tard à me voir priver de la mienne, qu'on se rassure, je serais aussi, la mort dans l'âme certes, pour la censure et l'interdiction...

Mais justement, je ne crois pas que c'est en laissant la parole à des racistes, à des fascistes, à des staliniens que l'on favorise leurs idées...

1. Parce que laisser s'exprimer, refuser la censure, ne signifie nullement ne pas combattre.
2. Parce qu'en censurant les "ennemis de la liberté" nous devenons nous-mêmes pour le moins des partisans de la liberté conditionnelle, ce qui est déjà plus qu'une demi-victoire pour les "ennemis de la liberté".
3. Parce que je pense que, à moins d'utiliser des méthodes policières et répressives extrêmement dures et sophistiquées, il est impossible (et heureusement) d'empêcher que ne circulent certaines idées.
4. Parce qu'il me paraît non seulement juste du point de vue de la morale mais encore plus réaliste du point de vue de l'efficacité de laisser s'exprimer les idées que je veux combattre: on ne combat efficacement que ce qui s'exprime librement.
5. Enfin parce que les idées se combattent avec des idées, et que face aux actes il n'est plus temps de geindre en demandant au gouvernement d'interdire, mais il est alors grand temps de passer soi-même aux actes... Et j'ajoute que je ne suis pas non violent par principe, même si la violence me paraît être un "Mal".

Voilà quel était mon état d'esprit lorsqu'éclata l'"affaire Faurisson".

Je n'ai pas lu à ce moment-là le texte paru dans Le Monde, j'ai simplement été frappé par les réactions qu'il suscita dans la presse, au Parlement et à Lyon: indignation, demande de sanction professionnelle, assignation en justice...

De même que je me souviens du tollé provoqué par la publication dans L'Express de l'interview de Darquier de Pellepoix, tollé non seulement sur le contenu de ses propos, ce qui me paraît parfaitement normal, mais aussi sur le fait même que L'Express ait publié cette interview!

Lorsque j'ai lu les déclarations de Faurisson, j'ai effectivement pensé que c'était l'oeuvre d'un néo-nazi, que ce qu'il disait était entièrement faux, et c'est pour cette raison que moi, Juif d'extrême gauche, j'ai voulu publiquement, en accord avec mes réflexions ci-dessus expliquées, prendre position pour son droit à l'expression libre...

La rédaction du texte -- joint en annexe -- et qui parut finalement dans Libération me demanda plusieurs semaines tant j'étais mal à l'aise...

Que, les événements s'accélérant, j'eus même une rencontre avec Faurisson, et en sois venu à lire Rassinier, je m'en expliquerai plus loin... Je le signale ici simplement pour expliquer que j'aie pu écrire les dernières lignes de mon texte où je déclarais que Faurisson et Rassinier n'étaient pas antisémites, et la phrase où je disais qu'ils ne niaient pas le génocide, ce qui à juste titre m'a été reproché, puisque Faurisson nie le génocide. Je reviendrais également sur ce point. Mais admettons que Faurisson et Rassinier soient antisémites et que tout ce qu'ils disent soit non seulement faux, mais encore "inadmissible", je ne renie pas mon texte qui dit que même si cela était je suis contre l'interdiction, sous n'importe quelle forme de l'expression de leurs idées.

Le texte paru dans Le Monde et signé par trente-quatre historiens des plus éminents m'a posé, entre autres, non plus le problème de la liberté d'expression, mais celui de la "discutabilité" d'un point de l'histoire ou d'un problème scientifique quelconque.

De toute façon, puisque j'émets le principe qu'aucune idée ne peut être interdite, et que par ailleurs certaines idées sont pour moi totalement inadmissibles ou nuisibles, se pose le problème: comment combattre efficacement ce qui vous paraît non seulement faux, mais en plus inadmissible et dangereux, si l'on exclut les censures sous toutes ses formes?

Discréditer n'est pas réfuter...

La seule forme de censure n'est pas l'interdiction pure et simple contre laquelle je m'élevais dans mon texte paru dans Libération. On peut aussi faire appel à un ensemble d'arguments qui auront tous en commun de ne point s'affronter réellement au discours de l'autre, mais de le discréditer, je dirais en amont et en aval, c'est-à-dire quant à ses motivations et quant à ses conséquences, et qui visent de ce fait à ne pas l'examiner lui-même.

Avez-vous fait un séjour en hôpital psychiatrique? Cela suffira pour beaucoup à ne pas vous accorder la moindre crédibilité.

Avez-vous émis des idées racistes? Cela discréditera toutes vos affirmations (encore faut-il que cela se sache, car si, comme pour Groddek, on ne découvre vos propos racistes qu'après votre mort et après vous avoir lu avec passion, on sera stupéfié!).

Mais quand on semble examiner non les motivations ou les conséquences d'un argument, mais l'argument lui-même, il suffit de le déclarer "petit bourgeois", "réactionnaire" ou a utopique" pour s'éviter le besoin de le déclarer "faux". Comme si cela allait de soi, la vérité seule étant révolutionnaire comme chacun sait! il suffit d'être réactionnaire pour être de ce fait même dans l'erreur...

Je sais, pour ma part, que mes choix politiques, mon égalitarisme inconditionnel, mon ultradémocratisme, mon anti-productivisme par exemple ne sont pas de l'ordre de la Vérité. Etre pour la hiérarchie, les élites, l'économie de profit, l'ordre, la discipline, le culte du chef, n'est pas de l'ordre du faux. Certes les uns et les autres tentons-nous d'étayer nos valeurs politiques d'analyses qui, elles, peuvent être vraies ou fausses, mais aucune d'elles ne peut justifier, de façon déterminante, les choix politiques que nous faisons. En elle-même une idéologie réactionnaire n'est ni plus vraie ni plus fausse qu'une idéologie disons "révolutionnaire". Par contre, telle ou telle idéologie peut certes jouer un rôle important dans la découverte de tel type de vérité dans un domaine scientifique donné. Ainsi par exemple, la gauche et la droite s'affrontent-elles périodiquement sur le champ de bataille de la génétique et de l'hérédité.

Dans ce domaine, nous allons dans les années à venir être confrontés à des résultats dont certains nous feront plaisir à nous autres "égalitaristes" mais dont d'autres, par contre, pourront nous être fort désagréables. Il serait, en tout état de cause, absurde d'en préjuger aujourd'hui. Mais le vrai problème n'est pas là! Il est bel et bien dans ce fait nu: quelle conclusion politique tirons-nous de telle ou telle découverte biologique? Et ma réponse est simple: me prouverait-on l'inégalité des individus, des groupes, des sexes quant à leurs capacités intellectuelles par exemple, je n'en resterais pas moins hostile à toute hiérarchie politique et sociale basée sur ces inégalités.

Je dirais qu'il en va de même pour l'histoire; il me semble, sans que cela soit une condition ni nécessaire ni suffisante, qu'être royaliste en France en 1980, ce qui me paraît pour le moins "curieux", peut amener un historien à écrire des choses passionnantes, nouvelles et vraies sur l'Ancien Régime et, que, inversement, être républicain, progressiste, de gauche, peut vous empêcher de comprendre, voire vous pousser à déformer les insurrections des paysans de l'Ouest à l'époque révolutionnaire. Les a priori idéologiques dont Furet montre bien dans Penser la Révolution Française à quel point ils firent, et font toujours, écran à une compréhension de cette période, sont fort significatifs pour notre propos...

Quant à l'histoire du IIIe Reich en général et à celle du génocide en particulier, je dis que ces a priori se retrouvent à la puissance N. S'il est "une histoire commémorative", pour reprendre les termes de Furet, c'est bien celle-là, et s'il en est une où nous sommes à cent lieues d'une "histoire conceptuelle", c'est celle-là aussi!

Je me refuse donc à la censure, à la critique ad hominem, à la critique idéologique en ce qu'elles m'éviteraient d'avoir à prendre en considération l'argument de l'autre. Ce qui ne m'empêchera pas, ayant discuté des arguments, de faire, moi aussi, la critique idéologique.

Génocide, extermination.

Les historiens officiels fondent la théorie du génocide sur les faits historiques suivants: en 1941, ordre secret d'Hitler d'exterminer tous les Juifs. Ordre appliqué concrètement à Auschwitz (entre autres camps) par la construction de chambres à gaz où furent exterminés des centaines de milliers de juifs. Résultat global de l'extermination, de 4,5 à 6 millions de personnes.

Les historiens qui se disent "révisionnistes" et qualifient les premiers d'"exterminationnistes" nient cet ordre secret dont il ne reste effectivement aucune trace, sauf dans des témoignages au cours des différents procès de l'après-guerre et dans les mémoires de Hoess, commandant du camp d'Auschwitz. Ils contestent l'existence des chambres à gaz et les chiffres des Juifs morts du fait du nazisme. Et ils en concluent: il n'y a jamais eu ni génocide, ni volonté d'extermination. Le génocide ne serait qu'une invention de la propagande de guerre accréditée après la guerre au cours des différents procès, par des témoignages douteux. Sur les "faits", ordre d'Hitler, chambres à gaz, chiffres (dont j'affirme qu'à ce jour ni ceux des historiens officiels, ni ceux des "révisionnistes" ne reposent sur aucune base scientifique sérieuse)..., je ne suis pas loin de penser que les révisionnistes ont raison. Si les autres preuves sont aussi peu fondées que celles qui reposent sur le journal de Kremer (qui, personne ne contestant son authenticité, paraissent des plus sérieuses), que ce soit le rapport Gerstein, les mémoires de Hoess ou le témoignage fantasmatique de Filip Muller, alors l'historiographie officielle n'est guère crédible!

La question du génocide telle que l'établit cette historiographie pose certains problèmes méthodologiques: à ce propos, il ne me paraît pas Inutile de rappeler (aux non-historiens, mais, hélas! aussi aux historiens) quelques banalités indispensables.

a) Si, sur une période historique, nous ne possédons aucun document, nous ne pouvons rien en dire. Cependant, on ne peut évidemment pas en déduire que, pendant cette période, il ne s'est rien passé.
b) Les certitudes que nous pouvons nous faire sur les véracités des différents récits que font les historiens dans les domaines les plus variés reposent d'abord sur le nombre et le type des documents que nous possédons sur cette période. Cela va de la cathédrale au livre de comptes en passant par la partition musicale et le témoignage.
De tous les documents historiques, le témoignage est le moins satisfaisant quand il s'agit de reconstituer un récit vrai, comme dirait Paul Veyne, puisque le témoignage est déjà récit dont il faudrait justement pouvoir prouver par d'autres documents (dont évidemment d'autres témoignages) la véracité.
Un "fait historique", quel qu'il soit, fût-il le plus horrible, qui ne reposerait que sur des témoignages ne peut en règle générale satisfaire l'historien, au même titre qu'un "fait" attesté par un ensemble de documents autres que le témoignage (au sens de récit fait par un témoin, bien sûr).
c) Ces banalités n'ont été rappelées qu'à cause du déferlement actuel d'inepties assenées avec le plus grand sérieux, du type: douter de l'existence des chambres à gaz est aussi absurde que de douter de l'existence de Napoléon ou de celle de la guerre de 1914.
Rappelons:
-- D'abord que l'existence des chambres à gaz et de l'ordre d'extermination ne repose que sur des témoignages.
-- Ensuite que -- heureusement pour l'historien -- l'existence de la guerre de 1914 n'est pas authentifiée que par les récits de "nos braves poilus"; et qu'il en va de même pour Napoléon! Ce que nous savons de lui ne repose pas seulement sur des témoignages de ses partisans ni de ses adversaires. Heureusement! car à les lire, on pourrait effectivement en arriver à douter de la réalité de ces événements, aussi bien de la vie de Napoléon que de la guerre de 1914.

Pour la guerre de 1914, par exemple, nous avons les archives des armées allemande et française sur lesquelles ont travaillé et travaillent toujours un certain nombre d'historiens. Et je défie quiconque, utilisant pourtant la prétendue et mythique "méthode hypercritique" attribuée aux révisionnistes, de me faire douter de la réalité de la guerre de 1914!

La différence, pour juger de l'existence de ces deux faits, celle des chambres à gaz et celle de la guerre de 14, réside en la nature des documents qui les prouvent. Si l'on peut douter de l'existence des chambres à gaz, c'est qu'elle ne tient que sur des récits de témoins (aveux, mémoires, témoignages au procès) et que ces récits sont contradictoires en eux-mêmes et entre eux, comme je l'ai montré à propos de Kremer.

Puisqu'on ne peut attester ni de l'ordre d'extermination ni de l'arme du crime, serait-ce donc que les révisionnistes auraient raison! Non! je suis un "exterminationniste" convaincu! Mais il faut poser le problème autrement. Pour paraphraser Faurisson, j'affirme:

-- Jamais un président des Etats-Unis n'a ordonné ni admis que l'on tue un seul Indien uniquement parce qu'il était indien.
-- Jamais le gouvernement turc n'a ordonné ni admis qu'on tue un seul Arménien uniquement parce qu'il était arménien.
-- Jamais Staline n'a ordonné ni admis que l'on tue un seul Tatar de Crimée uniquement parce qu'il était Tatar de Crimée.
Si des Indiens ont été tués, c'est parce qu'ils s'étaient révoltés... Si des Tatars ont été tués, c'est parce qu'ils..., etc.

Pourtant les présidents des U.S.A., le gouvernement turc, Staline, en ordonnant de déplacer les Indiens, les Arméniens, les Tatars, de les mettre dans des réserves, etc., ont ordonné que des Indiens, des Arméniens, des Tatars meurent en masse, uniquement parce qu'ils étaient indiens, arméniens ou tatars.

De même, Hitler a ordonné que des Juifs, enfants, femmes, vieillards, hommes confondus meurent uniquement parce qu'ils étaient juifs. Tout cela sans chambre à gaz, sans ordre d'extermination, simplement avec un ordre de déportation dans des ghettos, des camps, tous lieux de mort. Le propre du système concentrationnaire étant justement la possibilité d'éliminer sans obligation de condamner à mort ni d'exécuter (il a en outre, sans que ce soit en aucune manière sa fonction essentielle et déterminante, l'avantage de pouvoir être utilisé à des fins économiques intéressantes en certaines circonstances...).



(Extraits de Génocide, chambres à gaz. Des procès au débat, L'Anti-Mythes, n. 25, adresse: M. Jaeger, 33, rue Alphonse-Daudet, 91210 Draveil.)

 




ANNEXE

 

Question de principe (publié dans Libération, 5 mars 1979)

Il fut un temps qui dure encore où tout antisémite récusait un témoignage, une recherche historique, venant d'un Juif et décrétait vendue aux Juifs toute recherche d'un non-Juif allant dans le même sens (qu'on se souvienne de l'affaire Dreyfus). Mais aujourd'hui nous commençons à assister au phénomène inverse: tout Juif, tout homme, même de gauche, d'extrême gauche, récuse n'importe quel témoignage, n'importe quelle recherche historique venant d'un antisémite (ce qui me paraît déjà grave) et, pire, décrète antisémite n'importe quelle recherche qui, à propos des camps de concentration sur tel ou tel point important, sans doute, met en cause la vérité devenue quasi officielle, ce qui est inacceptable.

Juif d'extrême gauche, libertaire pour tout dire, je tiens à affirmer quelques principes auxquels je tiens d'autant plus aujourd'hui que tous ceux auxquels j'ai cru pendant vingt ans se sont effondrés les uns après les autres (il est long le chemin qui, du jeune communiste, opposant en 1956, m'a mené, ma dose de scepticisme augmentant à chaque étape, à des idées libertaires en passant par le trotskisme, l'ultra-gauche). De tous ces principes, il en est un qui peut se résumer en une seule phrase: la liberté de parole, d'écrit, de réunion, d'association doit être totale et ne supporte pas la moindre restriction. Ce qui implique qu'on laisse paraître et diffuser les textes les plus ignobles à mes yeux, qu'on refuse l'interdiction d'un seul livre, fût-ce Mein Kampf (ou demain le moindre texte de Staline ou du bêtisier de Mao), qu'on refuse aussi l'interdiction d'un seul meeting, fût-ce de l'Eurodroite, qu'on refuse même d'empêcher la diffusion d'un seul tract fût-il ouvertement fasciste ou raciste. Ce qui ne signifie nullement rester silencieux ou inactif. Si les fascistes avaient le droit de distribuer leurs tracts dans les facultés, on pourrait se battre, physiquement même, si nécessaire, pour que la faculté d'Assas ne reste pas leur monopole. La seule façon efficace de combattre les ennemis de la liberté, comme on dit, est de leur accorder la liberté que nous revendiquons pour nous et de nous battre s'ils veulent nous la contester. Le fameux "pas de liberté pour les ennemis de la liberté" est en fait le fourrier de tous les systèmes totalitaires et pas, comme on l'a cru, le rempart le plus efficace contre eux.

Pas le moindre mythe, pas le moindre mensonge

Alors que ceux qui nient l'existence des camps de concentration et du génocide le fassent! A nous d'empêcher que ce mensonge devienne crédible. En a-t-il fallu des années à la gauche pour trouver le courage de combattre les mensonges du P.C. sur l'existence des camps en U.R.S.S.! En 1948, qui l'osait, mis à part quelques isolés d'extrême gauche, quelques libéraux, et la droite? Si nous voulons être crédibles pour la génération à venir, et d'autant plus que le temps passera, il ne nous faut pas laisser subsister le moindre mythe, le moindre mensonge, la moindre erreur. Battons-nous donc pour qu'on détruise ces chambres à gaz que l'on montre aux touristes dans les camps où l'on sait maintenant qu'il n'y en eut point, sous peine qu'on ne nous croie plus sur ce dont nous sommes sûrs. Les nazis avaient des camps modèles à montrer aux bonnes âmes de la Croix-Rouge, ne nous laissons pas suer à faire l'inverse.

Je ne veux pas ici entrer dans la discussion sur les chambres à gaz: y en eut-il ou pas?

S'il y en eut, dans quel camp exactement? Ont-elles été l'instrument systématique ou accessoire du massacre? Car, pour moi, si ce fait a son importance, j'avoue ne pas comprendre l'attitude qui consiste à penser que SI cette pièce était enlevée en partie voire en totalité au système concentrationnaire, tout s'écroulerait.

Le nazisme cesserait-il alors d'être une horreur? Deviendrait-il justifiable? Les chambres à gaz voilà l'horreur et non les millions de morts? Sans gaz, plus d'horreur, simplement de graves entorses à la légalité, comme diraient nos staliniens de service?

Même problème quand on discute du chiffre des victimes juives du nazisme. La difficulté de fixer un chiffre, que cela choque ou non notre sensibilité, apparaît à tout historien et rend tout chiffre discutable; là encore, je ne comprends pas qu'il faille atteindre absolument un certain seuil au-dessous duquel on semble craindre que tout puisse devenir acceptable et donc, fasse le jeu du nazisme.

Une logique absurde

On peut, quand on a vécu cette époque, et vu disparaître une partie de sa famille, répugner à la discussion sur le mode d'extermination et le nombre des victimes. Mais l'historien ne peut évacuer ce problème. Je trouve monstrueuse cette conclusion d'un certain nombre d'historiens (Le Monde, 21 février 79): "Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu'il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête historique sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartenait de la rappeler simplement: il n'y a pas, il ne peut y avoir de débat sur l'existence des chambres à gaz."

Malgré le respect que j'ai pour les historiens signataires de cet article, dont certains ont même joué un rôle non négligeable dans mes positions actuelles je me demande: "Mais quelle est donc cette logique absurde?"; C'est justement parce que le meurtre de masse a eu lieu, ce que, pour leur part, ni Rassinier, ni Faurisson ne mettent en doute, qu'on peut se demander justement comment, y compris techniquement, il a pu avoir lieu. Il n'y a que ceux qui nient le génocide qui n'ont pas en toute logique à se poser la question du comment.

Il serait trop long et pourtant fondamental d'étudier tout ce qu'on a, depuis plus de trente ans, justifié au nom de la lutte contre le nazisme, à commencer par feu le stalinisme; les millions de Juifs morts sont utilisés constamment comme contre-argument à toute critique de la politique d'Etat d'Israel par exemple.

Quant à moi, je préfère pour garder leur souvenir, défendre sans relâche le droit à la liberté, empêcher toute velléité de chasse aux sorcières, de persécutions vis-à-vis de groupes, minorités, individus, pensant et agissant autrement que moi.

Ce que je me refuse à faire, y compris aux néo-nazis, je ne suis pas prêt à accepter qu'on le fasse à des hommes comme Rassinier ou Faurisson dont je sais qu'ils n'ont rien à voir avec eux, et le procès intenté à ce dernier me rappelle plus l'Inquisition qu'une lutte contre le retour du pirer







"Si j'étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C'est normal; nous avons pris leur pays. [...] Ils ne voient qu'une seule chose : nous sommes venus et nous avons volé leurs terres. Pourquoi devraient-ils accepter cela ?"

- David Ben-Gourion, premier ministre israélien, cité par Nahum Goldmann dans "Le Paradoxe Juif", page 121.


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