En Suède, la
prestigieuse université d'Uppsala a connu une vive controverse aux dimensions
nationales et internationales au sujet du responsable de sa faculté de
théologie, le professeur Jan Bergman. Le rabbinat de Suède et des
personnalités juives de l'étranger accusaient ce professeur d'antisémitisme
et demandaient qu'il fût immédiatement relevé de toute responsabilité
d'enseignement et de recherche en matière de judaïsme et de littérature
juive.
Dans le cadre du procès d'Ahmed Rami, responsable, à l'époque, de
Radio
Islam, le tribunal avait nommé pour expert le professeur Bergman. Ce dernier
avait été interrogé, en présence du jury, au sujet des déclarations d'Ahmed
Rami sur la religion juive, sur le sionisme et, en particulier, sur
l'interprétation à donner de ce qu'on peut appeler les « textes cruels » de
l'Ancien Testament (par exemple, les textes portant sur le traitement qu'il
convient, selon l'Écriture, de réserver aux ennemis des juifs "peuple élu de Dieu").
L'animosité des milieux juifs de Suède et d'ailleurs (en particulier des
États-Unis, de Grande-Bretagne et d'Australie) s'expliquait sans doute en la
circonstance par le fait qu'Ahmed Rami, qu'ils avaient fait assigner en justice,
avait marqué un point considérable sur le plan du révisionnisme historique:
la justice suédoise avait décidé qu'il n'avait pas violé la loi en qualifiant
d'absolument exagérées les opinions des sionistes/juifs concernant l' «
Holocauste »; elle estimait qu'on était même en droit de contester la
réalité de cet « Holocauste ». Cette décision de justice était teintée de
quelque hypocrisie puisqu'il est de pratique courante, on le sait, de
condamner des révisionnistes pour leur révisionnisme mais en affectant de les
condamner pour un autre motif.
Ahmed Rami allait subir une peine de six mois de prison. Mais les
juifs avaient fort mal admis aussi bien le sentiment du tribunal sur l' «
Holocauste » que la neutralité des réponses du professeur Bergman.
Ce dernier les exaspérait d'autant plus qu'il fût notoirement un ami et un
admirateur des juifs et, à l'exemple de ses collègues, croyait à la version
généralement admise de l' « Holocauste ».
Si nous soumettons à nos lecteurs le riche dossier qu'on trouvera ci-dessous,
c'est que l'Université française a cru devoir adopter, dans des affaires
comparables à l'affaire Bergman, une attitude faite de peur, de soumission,
de mépris des libertés académiques et, ajouterons-nous, de cruauté vis-à-vis
d'universitaires révisionnistes ou soupçonnés de révisionnisme.
A ce point de vue, le cas de Bernard Notin, maître de conférences, est dans
toutes les mémoires. Dans une étude consacrée aux médias et publiée par une
revue d'économie indépendante de son université, cet universitaire lyonnais
avait, en quelques lignes, trahi son scepticisme quant à l'existence des
chambres à gaz hitlériennes dont les médias ne cessent de nous entretenir. Cloué
au pilori de ces médias, mis au ban de son université, traîné et condamné en
justice, attaqué jusqu'en la personne de sa femme et de ses enfants (sans
oublier un compte en banque supprimé, une propriété personnelle menacée et
des animaux domestiques frappés ou tués à coups de couteau), B. Notin, père
de cinq jeunes enfants, allait surtout être abandonné de tous ses
collègues - sauf un - et du président de son université, Pierre Vialle,
à la vindicte de l'Union des étudiants juifs de France, du Dr Marc Aron,
président du comité de liaison des institutions et des organisations juives
de Lyon, et de tous les responsables des organisations juives de France. B.
Notin a même été sanctionné par les plus hautes instances disciplinaires ;
ses ressources financières ont été considérablement réduites et, bien qu'il
soit officiellement autorisé à reprendre son travail à l'université Jean
Moulin, les organisations juives ont décidé de l'en empêcher et elles ont
obtenu satisfaction. Pierre Vialle s'est incliné.
*
Le cas de Jan Bergman est différent et semblable : différent en ce que
l'universitaire suédois croit aux chambres à gaz, mais semblable en ce qu'il
est traité d'antisémite par les instances juives de son pays.
En France comme en Suède, les autorités juives ont marqué leur mépris pour
les libertés académiques ; de plus, à notre connaissance, pas une seule voix
de la communauté juive suédoise ou mondiale ne s'est élevée publiquement en
faveur du professeur Bergman, pourtant si favorable aux juifs.
Par comparaison avec l'attitude d'une université française, on admirera la
réponse qu'une université suédoise, en son entier, a estimé devoir faire aux
menaces et aux pressions.
Dans les affaires Faurisson, Roques, Rivière, Michel de Boüard, Notin et
quelques autres encore, l'Université française a participé à l'hallali
général. Dans l'affaire Bergman, la protestation d'une université suédoise
nous rappelle ce qu'en pareille circonstance peuvent dicter la noblesse
d'inspiration et la hauteur de vue.
Nous remercions les responsables de l'université d'Uppsala d'avoir autorisé
la R.H.R. à publier ce dossier de l'affaire Bergman, et cela d'autant plus
que ces responsables ne sauraient en aucun cas apporter leur caution au
révisionnisme historique et qu'ils dénoncent ce qu'ils appellent
l'extermination des juifs comme l' « un des génocides les plus sauvages
et les plus systématiques de tous les temps ».
Sigbert Axelson est recteur de la faculté de théologie.
Ragnar Holte est doyen de la faculté de théologie.
Stig Strömholm est président de
l'université.
— I —
ORIGINES D'UN DÉBAT SPÉCIFIQUE DANS UN CERTAIN MILIEU
par
Sigbert
Axelson
Récteur
de la faculté de théologie de l´Université suédoise d´Uppsala
La Suède n'est certes pas la
terre d'élection des dialogues et controverses entre juifs et chrétiens. La
culture chrétienne y est prédominante, quoique laïcisée. La communauté juive
est minuscule. Elle ne représente que 0,2 % de la population. Les musulmans y
sont aujourd'hui cinq fois plus nombreux. Pendant la seconde guerre mondiale,
les juifs suédois n'eurent pas à souffrir des persécutions nazies. La Suède
resta neutre, et l'Allemagne ne l'inquiéta pas alors qu'elle occupait la
Norvège et le Danemark. Il existait, néanmoins, un antisémitisme discret,
mais qui ne prit jamais d'importance.
Je crois qu'on peut dire qu'en Suède il n'existe aucun complexe de culpabilité
envers les juifs étant donné que les Suédois ne leur ont jamais fait de mal. Il
n'y a par conséquent pas de« question juive » dans ce pays.
En ce qui concerne l'État d'Israël, les gens en général ont été bien disposés
dès la fin des années 40. Ce n'est qu'en 1967, quand l'État hébreu est devenu
une puissance occupante au Proche-Orient, qu'Israël a commencé à poser un
problème.
a) Depuis des années, le débat de politique générale sur l'État
d'Israël se concentre en Suède sur l'occupation illégale de la rive
occidentale, y compris Jérusalem-Est, de la bande de Gaza et des hauteurs du
Golan. Après l'invasion du Liban en1982 et l'occupation consécutive du sud de
ce pays, le Liban fait aussi partie du dossier. Tous les partis politiques
représentés au parlement sont attachés aux principes universellement admis du
droit international tels qu'ils se traduisent dans les conventions de Genève,
les décisions de l'ONU, etc. Ils ne reconnaissent ni l'occupation ni
l'annexion.
La critique porte aussi dans une certaine mesure sur la confiscation, en
Israël proprement dit, de terres et de ressources en eau appartenant à des
Arabes, ce qui prive de leur propriété des citoyens israéliens musulmans et
chrétiens. Le peuple palestinien a droit à son propre État souverain, selon
le plan de partage de l'ONU de 1947, qui constitue la base juridique également
pour Israël. En outre, les citoyens arabes en Israël devraient avoir les
mêmes droits humains que leurs concitoyens juifs. C'est, en peu de mots, ce
que le gouvernement déclare chaque année à l'Assemblée générale de l'ONU et
qui constitue la position officielle de la Suède.
Au cours des années 80, de violentes critiques ont été formulées contre
différentes mesures prises par les Israéliens envers les populations
musulmanes et chrétiennes, telles que la fermeture d'universités
palestiniennes pour des mois ou des années, la fermeture d'écoles, de
bibliothèques, de théâtres, de galeries d'exposition, d'imprimeries, les
diverses mesures de censure à l'encontre de journaux, de périodiques, de
livres, les expulsions, la démolition de maisons et, bien entendu, la
brutalité des forces d'occupation qui s'exerce quotidiennement sur des hommes,
des femmes et des enfants.
Ces critiques émanent aujourd'hui non pas seulement des milieux politiques
mais aussi de journalistes, d'enseignants, d'avocats, de pasteurs et de
prêtres, d'étudiants, de syndicats, d'églises, d'organisations sociales, etc.
L'Église de Suède, par exemple, défend publiquement les droits nationaux et
individuels des Palestiniens, comme le font également des associations
oecuméniques, plusieurs Églises libres aussi bien que la section suédoise
d'Amnesty International, la branche suédoise de Sauvez les Enfants.
L'opinion générale des Suédois sur Israël et la Palestine a commencé à
changer à un rythme accéléré après la guerre de juin1967, pour aboutir à une
critique marquée d'Israël en 1974, s'il faut en croire une étude récente (voy. Ulf Bjereld, Svensk Mellanösternpolitik [Politique
de la Suède dans le Moyen-Orient],1989, thèse de doctorat soutenue à l'université
de Göteborg). En1989, Israël et l'OLP bénéficiaient en gros du même taux de sympathie
en Suède, 10 % chacun.
Israël a essayé de diverses manières d'améliorer son image. Au cours des
années 50 et 60, il n'était pas soumis à de fortes attaques ; au contraire,
il jouissait d'une cote très favorable auprès des socialistes, des libéraux,
des chrétiens et, bien sûr, des touristes. A présent, l'image s'est plutôt
assombrie en raison de la politique obstinée menée par Israël. La critique
est formulée en termes d'antisionisme.
Cela dit, je dois souligner que personne ne met en question le droit d'Israël
à exister. Tout le monde reconnaît à Israël ce droit à l'existence, lequel
s'appuie sur le droit international et sur les décisions de l'ONU. Les
critiques antisionistes des Suédois ne concernent que la politique de fait de
l'État d'Israël et sur ce que signifie, pour les non juifs, le fait que cet
État est juif.
Idéologiquement parlant, l'antisionisme s'oppose au sionisme politique - et
non pas au sionisme religieux ou culturel - qui est l'idéologie officielle de
l'État juif d'Israël. Les 1415 mai 1948, l'État a déclaré unilatéralement
qu'il était juif, que le judaïsme était sa religion. (Les principales
traditions juives n'ont pas, que ce soit de manière simultanée ou similaire, déclaré qu'Israël était leur État. L'absence de symétrie
du rapport entre la notion d'État et la notion de religion paraît évidente.)
Dans le débat qui se déroule en Suède, le terme même d'antisionisme est
généralement tenu pour comparable à « antisocialisme », « anticapitalisme »,
« antilibéralisme » et autres notions de ce genre. Antisionisme n'équivaut
donc pas à antijudaïsme ou antisémitisme.
La plupart des juifs suédois partisans de l'Israël sioniste n'acceptent
cependant pas cette terminologie. Ils déclarent qu'antisionisme n'est qu'un
autre mot pour antisémitisme. Tel est le message répandu depuis des années
par la principale revue juive en Suède, Judisk Krönika [la Chronique juive], et parle Comité contre
l'antisémitisme. Étant donné que la distinction faite en général par les
intellectuels et les hommes politiques suédois entre antisionisme et
antisémitisme n'est pas acceptée par les principales personnalités sionistes
et juives, aucun véritable dialogue sur la politique d'Israël n'a été possible.
Il y a là un problème, pour parler par euphémisme, qui est au cœur même du
procès fait par des dirigeants juifs dans des lettres adressées au
vice-président de l'université d'Uppsala.
Déjà à ce point il est possible, n'est-ce pas, d'imaginer ce qui constitue le
fondement de la plupart des accusations dont le professeur Bergman fait
l'objet à propos de son prétendu antisémitisme. Bergman reconnaît qu'il est
antisioniste, mais il nie être antisémite, anti-judaïque
ou antijuif.
La meilleure façon d'étudier la stratégie des sionistes organisés de Suède,
qui consiste à user du terme « antisémite » à la place du mot « antisioniste
», est d'analyser un ouvrage de Svante Hansson intitulé « Antisemitisk
närradio.
En granskning av Radio Islam » (Radio
antisémite. Une étude sur Radio Islam), paru en 1988. L'initiative en
revenait à la congrégation juive de Stockholm (Judiska församlingen), au
Comité pour la solidarité avec Israël (Solidaritetskommittén för Israel) et
au Comité suédois contre l'antisémitisme (Svenska kommittén mot antisémitisme).
Le point crucial est naturellement la définition de l'antisémitisme. La
définition explicite proposée par Svante Hansson est satisfaisante et tout le
monde, je pense, peut s'y rallier: L'antisémitisme consiste à refuser aux
juifs - que ce soit aux individus ou bien aux communautés - un droit ou un
privilège qui est accordé à d'autres communautés et/ou à leurs membres
(Hansson, p.12).
Il pourrait, en principe, y avoir là une excellente plate-forme pour
dialoguer et la position de l'auteur est parfaitement claire. La critique
fondamentale de la politique de l'État d'Israël n'est pas nécessairement
antisémite. Mais Hansson ajoute une condition sine qua non implicite pour
valider sa définition, à savoir l'idée que chaque peuple a le droit de fonder
un État qui lui soit propre (p. 106, 115 sqq.). Il a en tête les
nationalismes dans l'Europe de la fin du XIXe siècle. On ne peut pas être d'accord
avec cette définition implicite rajoutée après coup, mais malheureusement
Hansson ne semble pas en être conscient. Les intellectuels et les hommes
politiques suédois se gardent bien, pour des raisons toutes pragmatiques, de
prétendre que chaque peuple/nation doit former son propre État. Les Lapons
devraient-ils avoir le droit de former un État dans le nord de la Suède, en
Norvège et en Finlande ? Les Écossais devraient-ils avoir droit à un État au
nord de la Grande-Bretagne ? Les Flamands en Belgique et aux Pays-Bas ? Et
les Kurdes, les Arméniens, les Druzes, les Maronites, qui réclament tous leur
propre État ? Dans certains cas il existe peut-être de bonnes raisons pour le
proposer, dans d'autres, non. Il n'est parfois pas possible de séparer des
nations les unes des autres, quand les gens vivent côte à côte dans une même
région du monde. Il n'existe aucun principe universellement reconnu, même dans
l'Europe des États nations, selon lequel chaque peuple a le droit de fonder
un État.
De nombreux intellectuels et hommes politiques suédois reconnaissent le droit
à l'existence de l'État d'Israël, en vertu du droit international, en
l'espèce le plan de partage de l'ONU de 1947. C'est ce que nous faisons, Jan
Bergman, moi-même et beaucoup d'autres. Nous reconnaissons à Israël le droit
d'exister, mais non pas en vertu d'une certaine idée abstraite qui consiste à
établir un rapport entre la nationalité et l'État. Quelle est maintenant
l'importance de la base pour la reconnaissance du droit à l'existence de
l'État d'Israël ?
En porte-parole du sionisme, Svante Hansson déclare que le droit
international comme fondement de la reconnaissance du droit à l'existence
d'Israël est insuffisant et irrecevable. Il rejette cette argumentation. Il
retient une autre base pour la reconnaissance : l'idée de nationalité et
d'État. Ceux qui n'acceptent pas cette condition sont qualifiés d'antisémites
par Hansson. Tel est son point de vue.
La « méthode » ou technique de Hansson peut servir au rabbin Robert L.
Wolkoff et consorts pour transformer des antisionistes politiques en
antisémites racistes et cela en dépit du fait que ces gens reconnaissent le
droit d'Israël à exister. Voilà quel était, du moins en partie, le contexte
culturel quand s'est ouverte la controverse spécifique sur Radio Islam.
b) L'État juif d'Israël, l'antisionisme, l'antisémitisme, l'antijudaïsme sont
devenus des problèmes délicats depuis dix ou quinze ans. Prenons maintenant
le cas bien précis de Radio Islam et d'Ahmed Rami. Deux procès ont été
intentés à Ahmed Rami ; l'un pour son livre Vad är Israël? (Qu'est-ce
qu'Israël ?), l'autre pour certains programmes de Radio Islam
composés par lui.
Ahmed Rami est un musulman marocain d'origine berbère. Il est arrivé en Suède
il y a de nombreuses années en qualité de réfugié politique. En 1987, il a
lancé à Stockholm un programme de radio locale, Radio Islam, en
se consacrant essentiellement à la cause palestinienne. Cela ne signifiait
pas qu'il était partisan de l'OLP. Il même critique envers les dirigeants
de l'OLP. Il lit le
suédois et le parle couramment. En toute circonstance il s'en prend avec véhémence
aux sionistes et aux juifs. Il ne s'embarrasse guère de la distinction faite
par les Suédois entre l'idéologie et le peuple, entre les sionistes et les
juifs.
Son argument de base est très simple: Israël est un État juif. Ce qui est
certes vrai. Les sionistes en Israël, les Gush Emunim, par exemple, invoquent
le droit divin du peuple juif à la terre de Palestine selon leur Écriture
sainte. Le peuple élu de Dieu - les juifs - ont reçu la Terre promise des
Cananéens. Leur dieu leur a ordonné de tuer ou de chasser les habitants du
pays de Canaan c´est-à-dire les palestiniens.
Telle est l'image qu'Ahmed Rami retient du sens essentiel de l'Alliance,
selon les sionistes, entre eux et leur Dieu et qui permet de comprendre
les rapports entre ce "peuple élu" et sa conquête de la «Terre
promise », la Palestine. Tout cela est le moteur essentiel du judaïsme
d'aujourd'hui, estime-t-il.
Le second point de départ de son argumentation a trait à la Palestine occupée
et sous contrôle des sionistes. Comment les juifs se comportent-ils vis-à-vis
des Palestiniens ? Comment font-ils de cet État leur instrument ? En
fait, dit Ahmed Rami, ils font exactement ce que leur Écriture sainte leur
dit de faire. Les sionistes modernes citent souvent la bible juive l'Ancien
Testament afin de prouver qu'ils ont parfaitement le droit d'anéantir
le peuple palestinien. Aussi bien sur Radio Islam que dans son
livre, Ahmed Rami donne des dizaines d'exemples de textes tirés de l'Ancien
Testament qui sont utilisés dans l'Israël moderne à des fins
politiques.
Rami interprète la politique d'Israël à la lumière de la religion juive et de
ses textes sacrés. Pour lui, la logique de l'Israël moderne est manifestement
la logique de l'Alliance que les juifs prétendent avoir avec leur Dieu. Ahmed
Rami a, de la sorte, mis en place une plateforme lui permettant de critiquer
les juifs et les sionistes.
Ahmed Rami est absolument furieux ! Il use de tous les mots pouvant exprimer
le mépris et l'hostilité. Il n'hésite pas à employer les mots les plus forts
pour condamner Israël. Il s'en prend aux sionistes et ne fait pas de
distinction entre juifs et sionistes.
Au tribunal, deux procès parallèles ont été plaidés. L'un sur le livre, en
vertu de la loi sur la liberté de la presse, l'autre sur Radio Islam,
également en vertu de la loi dite sur les émissions de radio (radiolagen).
Le livre n'est en fait rien d'autre que la transcription imprimé des
programmes de radio de Rami, mais il se trouve que les deux supports sont en
partie respectivement régis par des lois distinctes.
--------------------------------------
Le livre Vad är Israël ? a été entièrement acquitté par le
Tingsrätt [tribunal de première instance] de Stockholm le 11 novembre 1989. Sur
plus de 60 chefs d'accusation concernant les programmes de Radio Islam, plus
de 40 ont été jugés non recevables et 18 reconnus comme prouvant l' «
incitation envers un groupe ethnique » (hets mot folkgrupp). Appel fut
interjeté devant une instance judiciaire supérieure, la Svea Hovrätt [cour d'appel
de Suède], laquelle, le 25 octobre 1990, confirma le jugement sur les 18
points à l'exception d'un seul. En désaccord avec le Tingsrätt de Stockholm,
la Svea Hovrätt statuait qu'il est permis de mettre en doute la réalité,
l'étendue et le résultat de l'Holocauste des juifs. Ahmed Rami n'avait pas
violé la loi suédoise en qualifiant d'absolument exagérées les opinions des
sionistes/juifs concernant l'Holocauste. Selon la loi suédoise, l'Histoire
est ouverte à la recherche et à la discussion.
c) Ma troisième remarque porte sur le rôle joué par le professeur Jan Bergman
au tribunal. Nous l'avons dit, l'avocat d'Ahmed Rami avait appelé à la barre
deux experts, le professeur Jan Hjärpe, spécialiste de l'Islam, et le
professeur Bergman, historien des religions. Leur rôle n'était pas de défendre
Ahmed Rami, ce qui est la tâche de l'avocat. En fait, ils ne prirent pas la
défense de Rami. On leur demanda des explications sur certains détails de la
vie culturelle et religieuse au Moyen-Orient, en particulier les conditions
du conflit qui se déroule à Jérusalem, la cité sainte de trois religions.
Il fut demandé aux experts de caractériser le style employé généralement par
les musulmans dans leurs polémiques avec Israël. Quel jugement portaient-ils
sur la campagne menée par Ahmed Rami en tant que musulman résidant en Suède ?
Comment interprétaient-ils son langage et ses idées ?
Il n'y a pas lieu de s'étendre ici sur tout cela, mais il vaut la peine
d'examiner en détail un point discuté avec passion parles sionistes suédois. Il
fut question de la fonction de ce qu'on appelle les « textes cruels »
(expression forgée par l'ancien évêque de Stockholm, le Dr. Krister Stendahl)
de l'Ancien Testament dans l'Israël moderne ainsi que de la « loi d'Amalek »
et de la Mitzva n° 188.
Ahmed Rami soutenait nettement que de nombreux textes de l'Alliance entre
Dieu et les Israélites sont utilisés dans l'Israël d'aujourd'hui pour
légitimer les confiscations, les tueries, les expulsions, les mauvais
traitements dont sont victimes les Palestiniens musulmans et chrétiens. La
question soulevée sur ces « textes cruels » est donc du ressort de la
sociologie et de l'histoire moderne plutôt que de l'exégèse. Le professeur
Bergman déclara au tribunal que c'était la vérité. Dans la presse en hébreu
de l'État d'Israël, on peut lire de ces textes. Il donna quelques exemples,
dont certains étaient empruntés aux écrits d'Israel
Shahak (Israel
Shahak appartient à la gauche israélienne
libertaire ; il est président de la Ligue des Droits de l'homme en Israël). Les
plus connus dans le monde entier sont sans doute ceux dont David Ben Gourion
fait usage dans ses mémoires, Israel : Years of Challenge
[Israël : les années de défi].Je pense notamment au passage où il fait le
bilan de sa vie en1956 après la victoire sur les Égyptiens dans le Sinaï. Il
sent que les Saintes Écritures montrent que sa conduite lui a été inspirée par
Dieu. Il a remporté la victoire, écrit-il, en ayant à l'esprit les psaumes
83:5, Isaïe 19:14, l'Exode 17:8-16 et 19:2-5, etc. David Ben Gourion se
considère comme le Moïse de 1956, les Égyptiens étant les Amalécites. Il
s'est conformé à la loi d'Amalek et il a tué les Amalécites, c'est-à-dire les
Égyptiens. Le professeur Bergman confirma qu'il existe chez les juifs une
façon populaire, ou vulgaire, d'interpréter ces textes, laquelle permet de les
appliquer aux événements de la vie courante. Interrogé sur la question de
savoir si cette interprétation était ou non désuète, il reconnut, bien sûr,
que depuis des siècles nombre d'érudits juifs admettent que les textes
s'appliquent seulement aux temps anciens, les Amalécites ayant cessé
d'exister. L'homme de la rue, cependant, ne se soucie guère de l'exégèse
scientifique ou savante. Pour lui, les paroles sacrées font partie d'un
héritage bien vivant. Il fait ce qu'a fait David BenGourion et ce que font
bien des personnes pieuses lorsqu'elles lisent leurs Saintes Écritures.
Les esprits religieux peuvent aussi, s'ils le veulent, se reporter à la
Mitzva n° 188, le passage sur le devoir de ne pas se souvenir d'Amalek. Le professeur Bergman confirma qu'il existe bien
une Mitzva sur Amalek. Ses adversaires sionistes
dans la presse suédoise s'efforçaient même de nier le fait même que pareille
Mitzva existe.
d) Pour en terminer, je ne pense pas qu'il y ait encore, à l'échelle
internationale, une campagne orchestrée concentrée sur la personne du
professeur Jan Bergman, en admettant qu'il yen ait jamais eu une. Dans sa
dernière phase, la critique juive/sioniste a quelque peu réduit le rôle d'un
professeur isolé. De plus en plus, les sionistes ont vu dans le professeur
d'histoire de la religion le représentant de la faculté de théologie, à la suite
du rapport et de l'article écrits par le doyen de la faculté. Quand le
vice-président de l'université d'Uppsala eut fait sienne la position du
doyen, la critique juive se tourna contre l'université elle-même. Dès lors,
la question de la liberté académique est devenue le point central de la
controverse.
Sigbert
Axelson
— II —
RAPPORT AU VICE-PRÉSIDENT DE L'UNIVERSITÉ
(18 avril
1990)
par
Ragnar
Holte
Doyen
de la faculté de théologie de l'université suédoise d´Uppsalsa
Objet : Critiques de l'enseignement et des travaux
de recherche du professeur Jan Bergman. Mandaté par le vice-président, je
traite ici de deux lettres adressées à l'université d'Uppsala qui critiquent
l'enseignement et les travaux de recherche du professeur Jan Bergman. L'une
d'elles, datée du 2 mars 1990, est signée du Grand rabbin Morton Narrowe, de
Stockholm, et du rabbin Robert L. Wolkoff, de Göteborg. L'autre, datée du 24
février 1990, émane du Dr. Evan M. Zuesse, du Collège d'enseignement
supérieur d'Underdale, en Australie-Méridionale.
Suite à l'intérêt pour la question manifesté dans de nombreux journaux,
j'avais considéré comme opportun de préciser à l'intention du grand public la
conception et le sens général des études sur les religions menées à notre
faculté, en particulier les recherches sur le judaïsme, ainsi que la
contribution de Bergman dans ce domaine (dans un article intitulé « L'étude
de la religion aujourd'hui »). Je prends la liberté de joindre cet article et
je précise que je considère les idées générales qui y sont débattues comme
constituant une toile de fond aux commentaires plus détaillés dans ce qui va
suivre.
Les deux lettres ont en commun une critique essentiellement dirigée contre
les preuves apportées par la défense au procès de M. Ahmed Rami en avril
1989. Les deux rabbins se limitent à cette question, mais ils en tirent des
conclusions négatives sur la compétence de Bergman et son aptitude
d'enseignant et de chercheur en matière de judaïsme. Le Dr. Zuesse procède de
manière analogue, mais il ajoute un certain nombre de jugements sur les
circonstances, les événements et le climat de la recherche à la section
Histoire de la religion de notre faculté.
Comme je l'ai déjà souligné et expliqué dans mon article, je considère comme
insoutenables les conclusions qu'on a tirées de la déposition de Bergman et
je reviendrai là-dessus. Quant aux déclarations du Dr. Zuesse concernant les
conditions dans lesquelles travaille notre section Histoire de la religion,
je démontre qu'elles sont dénuées de tout fondement et en même temps
profondément insultantes.
Le témoignage de Bergman au tribunal n'a pas de rapport de avec la question
principale
En plus de leurs responsabilités académiques, la plupart des professeurs se
livrent à un certain nombre de travaux de leurchoix.
La manière dont ils s'y prennent pour mener à bien ces derniers n'a en
principe rien à voir avec la question de savoir comment ils s'acquittent de leurs
devoirs essentiels. La commission de Bergman en qualité d'expert auprès du
tribunal entre bien évidemment dans la deuxième catégorie. En tant que telle,
elle ne peut fournir aucun fondement à une plainte contre l'enseignant et le
chercheur de l'histoire de la religion. Le procès n'a en conséquence pas été
au programme des cours d'histoire de la religion, non plus qu'au niveau de la
recherche fondamentale, à l'exception d'une seule occasion, lorsque le Dr. Zuesse,
en visite au séminaire de troisième cycle organisé par Bergman, s'est livré à
une violente critique sur ce sujet, contrairement aux engagements pris,
abusant ainsi de son statut d'invité. Nous y reviendrons plus en détail.
Je pourrais donc ne tenir aucun compte
de la lettre des rabbins et ignorer une partie de celle du Dr. Zuesse et
m'abstenir de tout autre commentaire. Il est toutefois évident que les jugements
portés sur la déposition à la barre, qui traduirait une profonde ignorance du
judaïsme ainsi qu'une attitude partiale et antisémite, ne peuvent rester sans
réponse. Ces allégations ont manifestement pour effet de jeter de manière
indirecte une ombre sur la compétence de Bergman et son aptitude d'enseignant
et de chercheur, ce qui est, bien sûr, également le but recherché.
Il existe quatre erreurs fondamentales dans la discussion sur le témoignage
de Bergman devant le tribunal et sur les conclusions qu'on en tire.
1° – En premier lieu, la critique ne tient
pas compte des différences fondamentales entre, d'une part, l'enseignement et
l'étude académiques du judaïsme, et, d'autre part, un témoignage dans un
procès où l'accusé risque d'être condamné à la prison pour un certain nombre
de déclarations antijuives. La différence est capitale et concerne :
(a) en premier lieu le jugement porté par Bergman sur les affirmations
d´Ahmed Rami,
(b) en second lieu le choix des matériaux en instance d'appel.
(a) Une bonne part du témoignage de Bergman
a trait à l'usage fait par Rami de citations tirées de la Bible Juive. Bergman
déclare que Rami n'est en aucune façon un exégète cultivé et qu'on ne peut
pas dire de lui qu'il se livre à une quelconque activité scientifique
(Transcription du tribunal de Stockholm 15:4, p. 10). Rami a écrit un
pamphlet virulent dans lequel il cite des versets de la Bible interprétés au
pied de la lettre comme étant des exemples de ce que les juifs considèrent comme
des commandements et des interdits divins. Pris comme un essai scientifique
objectif, son auteur aurait été « recalé »par Bergman (15:6, 13), qui trouve
également que certains commentaires de Rami sont « hérétiques » (15:12, 40
sqq.). Maile tribunal n'a pas pour mandat de porter un jugement scientifique
sur les déclarations de l'inculpé. Il est là pour dire si ce dernier a commis
un délit. Le rôle de la défense est de voir ce que peut être dit contre une
éventuelle condamnation. Bergman choisi non pas à proprement parler de «
défendre », mais d'essayer de « comprendre » et d' « expliquer » la polémique
d´Ahmed Rami (15:13, 3-4).
(b) En fonction de la tâche qu'il s'était assignée, Bergman a sélectionné les matériaux. Sa tâche
n'était pas - comme s'il avait été en situation d'enseignant académique - de
faire une présentation complète de l'histoire des juifs et de la tradition de
l'interprétation de la Bible, mais plutôt de rechercher s'il avait le moindre
fondement aux affirmations de Ahmed Rami. Bergman a essayé de présenter
quelques-uns de ces matériaux.
2° – En deuxième lieu, les critiques
faites à Bergman généralisent à tort à partir du point central de sa
déposition et, de cette manière, la font paraître déraisonnable. C'est ce qui
ressort clairement de la lettre du Dr. Zuesse :
J'ai été choqué de découvrir que le professeur Bergman, supposé être un
expert en judaïsme, tenait pour un fait que c'est une loi religieuse dans le
judaïsme que les juifs doivent tuer « même les meilleurs des Gentils » … le
professeur Bergman prétend que cette interprétation découle de l'exégèse de
la Bible Juive pour laquelle il se présente comme spécialement qualifié.
Bergman affirme qu'aujourd'hui certains milieux en Israël donnent à ce qu'on
appelle les textes d'extermination une
application courante de ces textes (15:5, 3 sqq.). Le rabbin Wolkoff a, dans
une interview publiée le 16 février 1990 par Uppsala Nya Tidning (journal
local), reconnu qu'un tel abus peut exister aujourd'hui. L'article de
l'exégète juif Uriel Simon, joint à la lettre des
rabbins, abonde dans le sens de la thèse de Bergman. Il désavoue
l'interprétation courante en question. Son article devient impossible à
comprendre à moins que le phénomène critiqué n'existe bel et bien.
(Soit dit en passant, Bergman ne s'est pas présenté comme« spécialement
qualifié » en exégèse juive. Au contraire, il a reconnu que son savoir avait
certaines limites : « J'ai du mal à manier très facilement les textes du
Talmud, j'y ai du mal »,15:3, 2.)
3° – Selon les rabbins, c'est le devoir de
Bergman, en tant qu'historien des religions, de coller à Rami l'étiquette d'
« antisémite ». A défaut de quoi, on ne peut dire de lui qu'il est« objectif
». Or, l'essence de l'objectivité en matière d'histoire est de décrire avec
justesse l'état des choses, et non pas de coller des étiquettes en guise de
jugements. Malgré cela, je pense que le terme « antisémite » peut avoir son
utilité quand on parle d'histoire, à condition d'en user avec discernement. Il
y avait toutes les raisons d'être prudent quant à l'emploi de ce terme, s'agissant
du témoignage à un procès où le prévenu était accusé d' « incitation envers
des groupes ethniques ». Avec raison, Bergman a considéré que c'était la
tâche du jury de décider de la culpabilité ou de l'innocence de l'inculpé. Sa
tâche à lui était de fournir des faits pouvant servir de base à cette
décision. Bergman désavoua à la barre un certain nombre d'affirmations excessives
faites par Rami à la barre. Le fait que ces désaveux aient été exprimés de
manière tout à fait directe, sans faire usages de termes appuyés, ne les rend
pas « évasifs » pour autant.
4° – Comme je le dis dans mon article
ci-joint, les rabbins ont tort de considérer le souvenir exact des faits
comme un critère de compétence en matière de recherche. J'ai l'impression que
Bergman n'avait pas tout à fait prévu la difficulté dans une situation où il
n'était pas censé - comme un enseignant a l'habitude de le faire - s'étendre
sur des matériaux bien préparés mais où on lui a demandé de répondre à un
certain nombre de questions directes qui l'obligeaient à faire appel à
plusieurs reprises à des connaissances qu'il n'avait pas toujours exactement
mémorisées. Le témoignage n'avait rien d'un chef-d'œuvre pédagogique, mais
tirer des conclusions négatives de cette situation très spéciale et
inhabituelle pour Bergman sur sa manière d'être dans une situation académique
normale est totalement injuste.
Je tiens à souligner que je ne revendique aucune compétence ni sur la
religion juive ni sur la situation actuelle au Moyen-Orient. Il n'est
cependant pas besoin d'être grand clerc en matière de lecture et de
compréhension de textes pour se rendre compte que les critiques faites à
Bergman en sa qualité de professeur et de chercheur et qui se fondent sur ce
qui a été dit au procès sont dépourvues de valeur.
La description du climat dans lequel se déroulerait la recherche à
l'intérieur de la section d'Histoire de la religion est dénuée de fondement
et insultante.
Je poursuivrai avec le passage de la lettre du Dr. Zuesse
où il parle directement de l'atmosphère de la recherche dans notre faculté. On
est en droit de se demander comment il a été capable, au cours d'une seule
journée passée à Uppsala et une seule visite à un séminaire d'étudiants de
troisième cycle, de se forger une opinion aussi catégorique sur la manière
dont Bergman « fait du tort à ses étudiants, à sa chaire de Religion et à la
réputation de l'université d'Uppsala ».
Quant à son apparition au séminaire, j'ai reçu les informations suivantes
d'autres participants. Bergman avait entendu parler d'un chercheur juif
venant d'Australie qui se trouvait pour le moment en Suède. Conformément à sa
politique habituelle d'inviter des chercheurs juifs - politique quelque peu inattendue
chez quelqu'un que l'on traite d' « antisémite virulent » - il invita le Dr.
Zuesse à son séminaire de troisième cycle. Le thème en était « Trois
philosophes juifs modernes ». Au séminaire, le Dr. Zuesse répondit à
l'hospitalité de Bergman en l'attaquant avec violence sur son témoignage au procès
d´Ahmed Rami. Au lieu d'employer son temps de parole à un résumé suivi de
questions des auditeurs et d'une discussion générale, l'invité se livra à un
exposé agressif qui dura deux heures d'horloge, après quoi il effleura le
sujet convenu. Tout le monde était très mal à l'aise, notamment un professeur
polonais qui demanda à plusieurs reprises à Bergman - en sa qualité de président
- d'interrompre l'orateur. Mais Bergman ne voulut en aucune manière donner
l'impression qu'il empêchait un chercheur juif, invité, de s'exprimer
librement. (Il est important de faire remarquer ici que Bergman avait
auparavant, par téléphone, offert à son invité de discuter en privé de son
témoignage avant ou après le séminaire.)
Quand l'invité en eut enfin terminé, Bergman proposa une discussion d'une
demi-heure sur le sujet convenu (c'est-à-dire Trois philosophes juifs
modernes) malgré l'heure avancée. Pour des raisons évidentes, il ne
souhaitait pas alors se lancer dans une justification de son témoignage, et
il n'avait d'ailleurs pas sous la main les matériaux qui lui auraient été
nécessaires. Or, le Dr. Zuesse interpréta la situation à sa manière : selon
lui, Bergman « n'eut pas d'autre réponse possible à faire… que d'accepter ses
arguments, étant donné qu'ils étaient irréfutables… » (une déclaration
étrangement catégorique sur des interprétations historiques, qui ne témoigne
guère d'un esprit critique en matière de recherche). Le Dr. Zuesse ajouta qu' « un étudiant de troisième cycle qui
faisait des recherches sur le Gush Emounim et était présent au séminaire ne put que
confirmer » le point de vue de l'intervenant comme opposé à celui de Bergman.
L'étudiant invoqué nia catégoriquement cette déclaration, affirmant au
contraire avoir posé au Dr. Zuesse quelques questions critiques sans obtenir
la moindre réponse satisfaisante.
Le Dr. Zuesse affirme plus loin que des étudiants juifs et d'autres
sympathisants de la religion juive ont été « incapables de poursuivre leurs
études sur le judaïsme sous la direction deBergman. Ils prennent d'autres
professeurs ou changent mêmed'université ». Toute
cette partie de la lettre ne correspondabsolument
pas à la réalité. Il existe cependant le cas d'un« étudiant de doctorat » qui
est en contact à la fois avec Bergman et avec le professeur Louise Bäckman à Stockholm. Ce sontdes
raisons de santé qui l'ont obligé à interrompre ses études, etni à l'institut de l'Histoire de la religion de
Stockholm ni ànotre section d'Histoire de la
religion personne n'a jamaisentendu cet étudiant
critiquer l'enseignement de Bergman.Le Dr. Zuesse affirme également que « le professeur Bergman
cherche avec persistance à entraîner ses étudiants detroisième
cycle dans des activités antijuives, conduisant desgroupes
dans des voyages pleins de sollicitude à travers des zones palestiniennes et
donnant dans ses cours une idée déforméede
l'histoire et de la religion juives ». Dans le cadre de ce qu'onappelle le Programme Asie Occidentale, des voyages d'étudeont été organisés pour faire connaître les vues les
plus diversessur l'état de la situation au Moyen-Orient.
Il y a eu, certes, descontacts avec des
Palestiniens, mais de nombreux contacts positifs ont été également établis
avec des universités et autresinstitutions juives. Un
groupe d'étude spécial s'est consacré ausort du
peuple arménien.
Pour parler d'une façon générale de l'enseignement de Bergman, je veux
rappeler au lecteur que dans la plupart des casd'autres
professeurs que lui ont donné des cours sur le judaïsme (voy.
l'article joint).
Quant à la déclaration concernant le changement demanuel,
elle semble impossible à comprendre. Il arrive naturellement que des manuels
soient remplacés, différents livresétant essayés
afin de trouver ceux qui s'adaptent le mieux à lamatière
enseignée, mais aucun changement d'ouvrage n'estintervenu
pour les raisons invoquées dans la lettre. Souvent les propositions de
remplacement sont faites par d'autres que Bergman et les décisions sont
prises en vertu d'habitudes parfaitement démocratiques.
La déclaration selon laquelle « le professeur Bergman arejoint
les rangs de ceux qui nient l'Holocauste » paraît des plusfantastiques.
La question a été traitée de manière explicite aucours
du procès Rami, pendant lequel Bergman, bien entendu,s'est
totalement « tenu à distance » de ce point de vue qualifiéde
révisionniste (15:12, 22 sqq.).
D'autres formulations sont tout aussi fantastiques et gravement insultantes :
« antisémite outrancier », « nazi ». Il fautavoir à
l'esprit que ces accusations s'adressent à un professeurd'université
qui brûle littéralement d'intérêt pour l'enseignement qu'il dispense et qui
s'efforce de tout son être de faireconnaître et de
favoriser la compréhension des autres religionset
des autres cultures, oeuvrant aussi par là contre toutes les formes de
racisme.
Des déclarations de confiance envers Bergman m'ont étéadressées
par écrit par ses collègues de section et par les participants au séminaire
de troisième cycle, et aussi de manièreorale par le
personnel enseignant de la faculté.
En qualité de doyen de la faculté, je prie fermement le viceprésident
de réfuter les critiques exprimées à l'égard de montrès
estimé collègue Jan Bergman en tant que professeur etchercheur.
Et, ce qui n'est pas moins important, je plaide pourque
son honneur soit défendu contre les accusations fausses etinsultantes
dont il a été l'objet.En tant que de droit, Doyen
de la faculté de théologie.
Ragnar Holte
— III —
TROIS DÉCLARATIONS
1) Déclaration de la section d'Histoire de la religion
Il est demandé à la faculté de théologie de faire unedéclaration
concernant une lettre adressée au vice-présidentdans
laquelle on insiste pour que le professeur Jan Bergman soitrelevé
d'une partie de son enseignement.
Les allégations contenues dans cette lettre touchant àl'enseignement
du professeur Jan Bergman, outre qu'elles sontdénuées
de tout fondement, sont de surcroît offensantes dans lefond
et dans la forme.
En la circonstance, la section ne peut que réfuter de la façonla
plus claire le contenu calomnieux de la lettre et ses attaquesgratuites
contre la liberté académique. La section - enseignantset
étudiants - réclame de la faculté qu'elle réagisse en l'espèceavec
fermeté et avec force.
----------------------------------------------------------
2) Lettre des participants du séminaire à l'adresse du doyen de la faculté
de théologie - Section d'Histoire de la religion
Par suite de sa déposition au procès d'Ahmed Rami, leprofesseur
Jan Bergman est depuis plusieurs mois victime d'unecampagne
maligne dans les médias et sous d'autres formes.Nous,
participants au séminaire de troisième cycle sur l'Histoire de la religion,
sommes très préoccupés du fait que lafaculté et le
doyen n'ont toujours pas fait la moindre déclarationpublique
pour prendre sa défense. Outre qu'elles blessent JanBergman
personnellement - ce qui devrait suffire à faire réagirses
collègues - les fausses accusations nous blessent aussi, car ilest notre directeur d'études. Si on laisse sans réponse
lesaccusations d'incompétence et de partialité dans
l'enseignementlancées contre Jan Bergman, notre
formation peut y gagner uneréputation fâcheuse. Nous
avons pleine confiance dans sa capacité à enseigner l'histoire des religions,
y compris le judaïsme,et nous ne sachons pas qu'un
participant au séminaire ait eu à seplaindre de la
partialité de Jan Bergman dans son enseignement.
C'est pourquoi nous demandons instamment que le doyen prenne publiquement la
défense de Jan Bergman.gnement.
Uppsala, le 14 mars 1990
Les
participant au séminaire de 3e cycle
------------------------------------------------------------
3) Lettre des collègues du professeur Bergman à l'adresse du
vice-président de l'université d'Uppsala
Objet : Lettre du Dr. Evan M. Zuesse (juif d´Australie)au président de l'université
d'Uppsala en date du 24 février 1990.
C'est avec stupéfaction que les enseignants à l'Institut d'Histoire de la
religion à l'université de Stockholm ont pris connaissance de la lettre du 24
février 1990 écrite au viceprésident de
l'université d'Uppsala par le Dr. Evan M. Zuesse.
Nous - tous les collègues qui enseignons l'histoire de lareligion
à l'université de Stockholm - entendons par laprésente
rejeter de manière catégorique les accusations nonfondées
et insultantes que le Dr. Evan M. Zuesse a portées contrele
professeur Jan Bergman, ainsi que - pour nous placer sur leplan
des principes - la suggestion absurde de dénier à unhistorien
des religions le droit d'exprimer dans son enseignement certaines réserves à
l'égard de tel ou tel aspect d'unereligion.
Nous voulons également affirmer qu'aucun d'entre nous n'atenu
de propos sur le professeur Jan Bergman ni, encore moins, nelui
a exprimé de « mépris » ou ne l'a qualifié de « nazi ».
Le Dr. Evan M. Zuesse, en
recourant à des insinuationsinfamantes, a prêté des
idées diffamatoires à des personnesqu'il ne nomme
pas mais qui sont parfaitement identifiables.Nous
trouvons cela profondément regrettable.
Per-Arne Berglie
Louise Bäckman, Maître assistant
Ulf Drobin,
Professeur
Chargé d'enseignementchargé d'enseignement
------------------------------------------------------
— IV —
«
BERGMAN ET LE JUDAISME »
(article
paru dans le qutidien Uppsala Nya Tidning du 20 avril
1990)
par
Ragnar Holte
Doyen
de la faculté de théologie de l'université suédoise d´Uppsalsa
Judaïsme, christianisme et
islam sont trois branches d'unmême arbre de
religion. Qu'ils aient beaucoup en commun estévident
si on les compare à d'autres religions telles quel'hindouisme
et le bouddhisme. Avant toute chose, les trois sontconnues
pour leur monothéisme, elles croient en un dieu uniqueettiennent
l'Écriture sainte pour la source de la révélation. Laplus
ancienne est le judaïsme - et c'est son Écriture sainte quiest
la plus ancienne. Cette dernière, si on lui ajoute le NouveauTestament,
constitue également la Bible du chrétien. L'islam asa propre Écriture sainte
: le Coran ; par l'importance qu'ilattache à la
tradition d'Abraham, ce livre comprend, dans unecertaine
mesure, la même histoire des origines que les deuxautres.
Le Coran voit également en Jésus un prophète.
Une bonne part de ce qu'il y a de plus noble dans l'histoireet
la culture de l'homme a été inspirée par ces trois religions.Dans
notre société suédoise, c'est l'influence chrétienne quiprédomine,
mais la religion et la culture juives apportent également une contribution
inestimable. La présence de l'islam estchez nous un
phénomène plus récent et il est le fruit d'uneimmigration
croissante.
En dépit de leur parenté, ces trois religions se sont souventcombattues.
Elles ont été également impliquées dans nombre dedouloureux
conflits ethniques et politiques, et, d'une certaine façon, cela continue
encore de nos jours. Dans ces conditions, lareligion
a souvent été une source de courage pour les peuplesopprimés,
elle leur a donné la force de supporter et les a parfoisinspirés
dans leurs luttes pour la libération. D'un autre côté, lesguerres,
les oppressions et les discriminations ont bien trop sou-vent
sévi au nom de la religion ou avec l'autorisation de lareligion.
Étudier aujourd'hui une religion implique toujours essentiellement un effort
pour la comprendre de l'intérieur, pouridentifier
ses principaux mobiles et convictions, en se concentrant sur la manière dont
son idéal de piété est compris par lesthéoriciens
pratiquants et par le peuple qui se réclame de cettereligion.
Poursuivant plus avant, cette étude replace la religiondans
son contexte historique et cherche ses rapports avec laculture,
la société et la politique. Elle soulève par là même uncertain
nombre de questions critiques sur sa façon d'écrire l'histoire, sur l'usage
courant et sur le développement qu'elle fait deses
propres textes religieux ou encore sur son rôle dans lesconflits
politiques. Le dernier point n'est pas le moins important. Dans ses
directives concernant les travaux de recherche à partir de 1986, le
gouvernement suédois soulignait « l'importance à donner à la recherche en
matière de religions … à uneépoque où la religion
joue un rôle décisif dans la politiquemondiale ».
Dans les universités suédoises, l'étude des religions est par principe non
confessionnelle, que ce soit dans une faculté de théologie ou dans une
faculté classique. Également par principe, on respecte la liberté de la
recherche. Chercheurs et enseignants de cette discipline s'efforcent
naturellement de susciter la compréhension pour les phénomènes, les
événements et les actions originelles à l'intérieur du monde des religions,
mais ils ont aussi à coeur d'encourager dans ce domaine un débat critique
aussi ouvert que sur les autres terrains scientifiques.
Il arrive que cette attitude soit mal prise par des représentants de telle ou
telle confession. Au début du XXe siècle, avant que le statut non
confessionnel des facultés théologiques fût pleinement accepté, on a vu des
candidats pourtant parfaitement qualifiés au point de vue scientifique gênés
dans leur carrière par certains religieux en raison de leur optique
personnelle. Les cas les plus connus sont ceux de Torgny
Segerstedt père, de Gillis
Pison Wetter et d'Emanuel
Linderholm. L'attaque que des porte-parole juifs ont récemment lancée contre le professeur Jan Bergman est
en gros du même ordre - et doit évidemment être réfutée pour les mêmes
raisons. L'étude du judaïsme doit être menée en vertu des mêmes modalités
scientifiques que lorsqu'il s'agit du christianisme, de l'Islam ou d'autres
religions, et par conséquent soumise à la même exploration critique des
phénomènes à l'intérieur des domaines respectifs.
Cela s'applique tout aussi bien aux rapports entre religion et pouvoir
politique. Dans l'étude du christianisme, il y a beau temps que c'est la
règle de discuter de manière critique de « l'ère de Constantin », autrement
dit de souligner que, depuis le règne de cet empereur, le christianisme a
fonctionné comme un moyen de donner sa sanction au pouvoir politique, y
compris à la pratique de la guerre et de l'oppression de la part dudit
pouvoir. Simultanément il s'est toujours trouvé des mouvements spirituels et
d'éminents philosophes chrétiens pour protester contre de pareils phénomènes
et les stigmatiser comme étant contraires au message du Christ.
Dans le même esprit, l'étude de l'islam s'efforce à la fois de favoriser la
compréhension pour ses aspects complexes et de donner une image critique de
son champ d'application, tout en faisant ressortir le caractère noble du
mysticisme religieux tel qu'il se manifeste dans le soufisme.
Analyser les conditions présentes, c'est montrer l'islam en situation
majoritaire, ce qui est le cas dans de nombreux régimes politiques de
caractères très différents, mais aussi la situation des musulmans quand ils
sont en minorité, que ce soit comme immigrants en Suède ou comme habitants de
la rive occidentale occupée par Israël.
L'histoire engendrée par le judaïsme est différente de celle des deux autres
religions soeurs, essentiellement du fait que, pendant des millénaires, les
juifs ont surtout vécu en situation de minorité. Le sionisme et le judaïsme
actuels en tant que système politique à l'intérieur de l'État d'Israël sont
mis en lumière en des termes critiques scientifiques comme pour l'étude des
autres religions. Déceler dans cette attitude un signe d'antisémitisme c'est
passer à côté de l'essentiel.
Alors que le christianisme dispose de ses propres chaires, le judaïsme et
l'islam ont leur place dans le cadre plus généralde l'Histoire de la religion. Les facultés de
théologie réclament depuis longtemps des chaires pour ces deux religions,
mais jusqu'à présent il n'en existe qu'à l´Université de Lund.
La faculté de théologie d'Uppsala ne dispose que de trois professeurs
permanents pour sa section d'Histoire de la religion. La chaire de Jan
Bergman a pour spécialité l'étude des religions du Moyen-Orient. Mais en
principe chaque professeur de la section est compétent pour l'éventail
complet des croyances qui ont compté dans l'histoire de l'humanité. Ils sont
donc censés être capables d'enseigner dans tous les domaines, ce qui
nécessite d'avoir recours à des ouvrages classiques écrits par des
spécialistes.
On ne peut attendre d'un professeur qu'il ait une expériencede
recherche dans plus d'un ou de quelques domaines d'importance. Bergman est
l'un des meilleurs égyptologues de Suède et il est devenu également un
islamisant remarquable. Il n'ajamais prétendu être
un judaïsant, quoi qu'il ait également une grande expérience dans ce domaine
aussi bien qu'en matière de recherche sur le christianisme, spécialement
quant à l'exégèse du Nouveau Testament. Je pense que peu de professeurs dans
notre université aujourd'hui peuvent se mesurer à Bergman sur le plan des
connaissances générales. Les diplômés qui travaillent sous sa direction font
de la recherche dans des secteurs très diversifiés, qui ne se limitent pas à
l'islam et au judaïsme. Par exemple, l'un étudie la religion du Sameh, l'autre s'intéresse aux religions nordiques de
l'antiquité.
Quant aux autres professeurs, Einar Thomassen est avant tout un islamisant, alors que Kaarina Drynjeva se consacre
aujourd'hui au sikhisme de l'Inde après avoir fait des recherches sur les
premiers gnostiques. C'est le Dr Drynjeva qui
enseigne à nos étudiants les religions non chrétiennes, judaïsmecompris,
dans un cours préparatoire d'insertion qui dure un an. Elle est très
appréciée pour sa façon tout à la fois dynamique etsensible
d'enseigner les différentes religions et s'est vue décerner en 1989 le prix
de pédagogie de l'université d'Uppsala.
En qualité de premier dans sa discipline, Bergman a la responsabilité
pédagogique de l'ensemble et il enseigne dans différents secteurs selon la
demande. Afin d'enrichir la matière enseignée, il arrive souvent que des
personnes représentant différentes religions soient invitées à faire part de
leurs expériences et de leurs façons de voir. Cela est arrivé souvent pour
les cours de judaïsme. Qui plus est, pendant plusieurs années descours de judaïsme ont été donnés par une enseignante
juive fort appréciée. Bergman s'est lui-même beaucoup démené pour que la
chaire de judaïsme revienne à Uppsala et il a été fort déçuqu'elle
aille à Lund.
Avec le peu de moyens financiers dont ilpouvait
disposer, il a fait l'impossible pour assurer au mieux les cours sur le
judaïsme sous les angles les plus différents. Il n'ya
jamais eu la moindre plainte contre sa façon d'enseigner de lapart de ses étudiants.
En fait, la campagne contre Bergman menée ces derniers temps n'a absolument
rien à voir avec sa manière d'enseigner. Elle trouve son origine dans son
témoignage à décharge auprocès d'Ahmed Rami.
Hakan Holmberg, du
journal Uppsala Nya Tidning,
fait appel dans ce débat à une bien vilaine technique quand il secontente de citer un certain nombre de déclarations
antijuives extravagantes du livre de Rami en insinuant que Bergman y
souscrit. Cette façon de faire est d'autant plus absurde qu'il est très
facile de prouver que, dans sa déposition, Bergman a catégoriquement réfuté
précisément ce genre d'allégations de la part de d´Ahmed Rami.
Il faut au moins rendre cette justice aux deux rabbins que, dans leur lettre
à l'Université, ils s'en tiennent à ce que Bergman a vraiment dit au tribunal
et qu'ils ne font de commentaires que sur ce point. Chose curieuse, ils
apportent grâce à leur pièce jointe (sans y prendre garde) de l'eau au moulin
de Bergman dans son témoignage. Ils ont assez raison sur certains points, par
exemple quand ils affirment que Bergman n'a pas cité littéralement certaines
histoires racontées dans la bible hébraïque ou qu'il a eu du mal à se
rappeler exactement la place de certaines citations dans les vastes
commentaires du judaïsme. Mais conclure, comme le font les rabbins, que
Bergman est incompétent en matière de recherche, est proprement insoutenable
! Être compétent en matière de recherche ne consiste pas à pouvoir apprendre
par coeur ou à avoir la mémoire d'un ordinateur. Cela consiste en la
connaissance acquise des méthodes adéquates permettant de résoudre les
problèmes qui se présentent dans les différents domaines de la recherche
ainsi qu'en la connaissancedes sources et des
ouvrages dérivés qui peuvent faciliter larecherche
permanente du savoir.
— V —
STIG STRÖMHOLM [PRÉSIDENT
DE L´UNIVERSITÈ] AFFIRME:
“AUCUNE
MESURE
NE SERA PRISE CONTRE LE PROFESSEUR BERGMAN”
(article
paru dans l'Uppsala Nya Tidningdu
9 mai 1990)
par
Sören Winge
L'université d'Uppsala ne
prendra aucune sorte de mesurecontre le professeur
Bergman de la faculté de théologie àl'égard des
deux accusations portées contre lui pour ses déclarations sur le judaïsme.
- Dans tout enseignement on peut être amené, par manquede
connaissance, à commettre des erreurs dans des faits et desexpressions,
ou à émettre un jugement douteux ou simplificateur.Traiter
de ce genre d'inconvénients relève du débat scientifique,lequel
reste toujours ouvert, libre et critique, et non pas de l'autorité
administrative, a déclaré à propos de cette décision levice-président
de l'université, le professeur Stig Strömholm.
Tel un juriste, le vice-président a examiné en détail laquestion
dans le bureau des vice-présidents.
La critique, qui a été soulevée à plusieurs reprises dans les pages de débat
de l'Uppsala Nya Tidning,
a été dirigée contreles déclarations du professeur
Bergman, d'une part lors d'unprocès intenté contre
les programmes radiophoniques locaux de Radio Islam, d'autre part dans son
enseignement, à l'université,de l'histoire de la
religion, en particulier du judaïsme.
Deux
accusations
L'une des lettres provenait du Bureau central des congrégations juives de
Suède et était signée du Grand rabbin Morton H. Narrowe
et du rabbin Robert L. Wolkoff. Tous deux
critiquaient les déclarations de Bergman au cours du procès.
A la fin de leur lettre, il était demandé que le professeur Bergman fût
immédiatement relevé de toute responsabilitéd'enseignement
et de recherche en matière de judaïsme et de littérature juive.
L'autre lettre était signée du Dr. Evan M. Zuesse, duCollège
d'enseignement supérieur d'Australie-Méridionale, etcritiquait
à la fois son enseignement à l'université et sa prestation au cours du
procès. Cette lettre demandait, elle aussi,explicitement
que le professeur Bergman fût déchargé de toutcours
sur le judaïsme.
Depuis, le doyen de la faculté de théologie, le professeurRagnar
Holte, a fait, à la demande du vice-président, une
déclaration dans laquelle il s'est exprimé sur la manière d'enseigner du
professeur Bergman.
Dans la charte de l'université, il n'existe pas de règleparticulière
qui définisse ce qu'un professeur doit ou non traiterpendant
ses cours. Ses déclarations doivent par conséquent êtreévaluées
selon les mêmes critères que ceux qui s'appliquent auxautres
citoyens suédois lorsqu'il s'agit d'incitation à l'égard de groupes
ethniques.
Rien de
punissable
Le vice-président de l'université d'Uppsala a examiné tousles
éléments disponibles mais n'a rien trouvé nulle part àl'appui
de l'idée selon laquelle le professeur Bergman auraitagi
d'une manière quelconque tombant sous le coup de la loi.Quant
à ce qu'il a pu déclarer en tant que personne privée aucours
du procès en question, l'université n'a pas à en juger.
- Nous avons longtemps hésité pour savoir si même nousdevions
nous prononcer sur ces accusations, a déclaré le professeur Strömholm. Nous nous y sommes enfin décidés,
principalement pour insister sur la liberté de parole qui est garantie dans
les universités.
- Pour moi, il est absolument impossible d'éviter deserreurs
de faits ou d'autres défauts lorsqu'on enseigne. Mais ce n'est certainement
pas le rôle de la Commission universitaire de chercher à savoir si
l'enseignant doit être puni ou non dans cescas-là. On
aboutirait à des conséquences déraisonnables.
En
conclusion
- Pour ce qui concerne la présence du professeur Bergmancomme
témoin au procès, je tiens à souligner qu'il a agi là en tantque
personne privée, même s'il a été appelé comme expert.
- Je veux aussi faire remarquer qu'il y a là ce qu'on appelle une ingérence
en matière légale. La loi pénale prévoit laprotection
des témoins. Les attaques violentes contre un témoinsont
punissables par la loi.
Le professeur Strömholm a en même temps souligné lasituation très spéciale d'un procès. La personne
appelée àtémoigner n'a pas le choix du sujet. Elle
doit répondre aux questions auxquelles elle préférerait ne pas répondre. Il
peut y avoirun contre-interrogatoire, etc.
Aujourd'hui l'université considère toute cette affaire comme close. Selon le
vice-président, nul ne peut faire appel decette
décision. En conséquence, la présente décision ne prévoitpas
d'appel, comme c'est normalement le cas en d'autres occurrences.
— VI —
LETTRE DU PRÉSIDENT DE L´UNIVERSITÉ
AU RABBIN JUIF NORMAN SOLOMON
(Uppsala, le 25
septembre 1990)
Au:
Rabbin Dr Norman Solomon, Centre for the Study of Judaism
Selly Oak Colleges, Birmingham B29 LQ
Cher Rabbin,
J'ai reçu votre lettre du 18 septembre au sujet des cours duprofesseur
Bergman. (Grande-Bretagne)
J'ai mis fin à « l'affaire Bergman » au printemps de cette année par une
déclaration publique dans laquelle j'ai clairement fait savoir qu'une erreur
de connaissance et d'appréciation peut aussi se produire dans des cours
universitaires mais que - étant donné qu'on n'a pas prouvé que le professeur
Bergman aitété, en quelque manière que ce soit,
passible de sanction oud'action disciplinaire - il
appartient non pas aux autorités universitaires mais au débat public et à la
libre critique deréagir contre d'éventuelles
imperfections. J'ai la conviction quetelle est la
seule conduite à adopter si l'on veut respecter laliberté
de la recherche.
Croyez à l'expression de mes sentiments les meilleurs,
Sincèrement vôtre
Stig Strömholm
Président
de l'Université d'Uppsala
Président de l'Académie royale suédoise des Lettres, d'Histoire et
d'Antiquité
L'Université d'Uppsala n'est
pas au bout de ses peines. Ses adversaires reviendront à la charge. Sa
fermeté lui a permis d'éviter le pire, par exemple, la suspension au moins
partielle de l'enseignement du professeur Bergman. Si elle reste ferme, elle
se tirera d'affaire ; si elle commence à plier le genou, elle sera mise à
genoux.
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