HOME
English
Deutsch
Swedish

Roger Garaudy
L'AVENIR : MODE D'EMPLOI


ANNEXES

II -- L'OCCIDENT EST UN ACCIDENT

***

1re sécession :
de Socrate à la Renaissance

Cette cassure du monde fut accomplie, depuis plusieurs millénaires, par 3 sécessions de l'Occident, qui a toujours cru détenir la seule et véritable culture.

* * *

Le première sécession commença avec Socrate et ses disciples: Platon et Aristote, fondateurs d'une philosophie de l'être.

Parmenide d'Elée (en Italie) en a donné la formule première : L'Etre est, le non-être n'est pas. C'est déjà exclure de la réalité tout ce qui n'est pas pensable par notre raison. Et, par conséquent limiter l'être, à ce qui est déjà là -- nous dirions aujourd'hui : à l'ordre établi, tout le reste n'étant que décadence par rapport à l'Etre pur et premier. Platon, par exemple, dans sa République, définit les phases de la dégénérescence des régimes politiques, depuis les origines aristocratiques jusqu' aux démagogies dernières de son temps, et ne propose comme solution que le retour à un système de castes avec une hiérarchie de maîtres, de militaires et de policiers qu'il appelle gardiens et d'une masse inférieure pourvoyant aux besoins physiques de la cité, paysans et surtout esclaves, voués aux travaux manuels des plantations ou des mines.

Socrate, si fécond que soit son apport à la critique de la connaissance, avait déjà jeté les bases du découpement de l'Etre à la tronçonneuse des concepts et des mots, et Aristote parachèvera cette oeuvre. Elle se perpétuera pendant 25 siècles en Occident, en hiérarchisant les êtres, les concepts qui les définissent, et les mots qui les expriment. Le mode de raisonnement, qui découlait de cette extension plus ou moins grande des concepts et les emboîtait les uns dans les autres, était le syllogisme, parfaitement stérile pour toute pensée créatrice, et, par contre, dominant toutes les formes de classification, que les hiérarchies en soient sociales ou conceptuelles.

Cette philosophie de l'être impliquait un retrécissement mortel du champ de la philosophie.

Tout ce qui transcendait le concept (et que traditionnellemnt l'on considérait comme le domaine du religieux ou du sacré) en était écarté. Il n'en reste déjà, chez Socrate, qu'un dérisoire moignon : ce qu'il appelle son démon, lui rappelle parfois qu'il existe des domaines dépassant la réalité purement humaine.

Tout était désormais centré sur l'homme et sa seule raison (la morale même n'étant, déjà chez Socrate, qu'un département de la logique), la nature, livrée aux basses activités des esclaves ou des manuels, n'est pas digne de la recherche du sage. La science grecque sera essentiellement spéculative, même avec les efforts de quelques médecins, astronomes ou naturalistes, comme Aristote, chez qui l'observation jouera pourtant un rôle mais pour êtendre le champ de ses classifications, plus que pour analyser la vie interne des êtres vivants autrement que par leur forme, leur substance ou leur finalité interne ou externe.

L'homme était ainsi coupé à la fois du divin et de la nature.

Il était même coupé du reste de l'Univers humain : ce qui n'était pas grec, c'est-à-dire ne parlait pas leur langue, mais qu'ils considéraient comme un simple balbutiement infrahumain, était considéré comme barbare.

C'est ainsi que le monde grec (puis son singe romain tout puissant sur la Méditerranée), fit sa première sécession à l'égard du reste du monde. Déjà un Père de l'Eglise, Clément d'Alexandrie tournait en dérision le prétendu miracle grec en évoquant dans ses Stromates (I, 15-46-63) les sources auxquelles avaient puisé les Pythagore et les Platon : "les Prophètes d'Egypte, les Chaldéens d'Assyrie, les Druides de Gaule, les mages de Perse, les gymnosophistes de l'Inde."

Nietzche a pu écrire avec raison que la décadence commence avec Socrate, car, avec lui, commence la sécession de l'Occident à l'égard de l'Asie. Ceux que l'on appele à tort les présocratiques n'étaient nullement des précurseurs de Socrate (comme le suggère le nom de présocratiques ).

Ils en étaient le contraire : ils avaient, au contact des penseurs de l'Orient, une vision plénière des rapports de l'homme avec la nature, avec le divin et avec les autres hommes. Thales de Milet, Anaxagore de Clazomènes et, au dessus de tous, Héraclite d'Ephèse, n'avaient de grec que la langue, imposée par la conquête.

Il est révélateur que les grands visionnaires de langue grecque du Proche-Orient : Thales et Anaximandre de Milet, Xénophane de Colophon, au nord de Milet, (dont les disciples: Parménide et Zénon, essaimeront à Elée, ou en Sicile, comme Empédocle d'Agrigente), vivent tous dans une satrapie de l'Empire Perse, c'est-à-dire au carrefour des grandes sagesses de l'Asie. Aucun d'eux ne sépare la réflexion sur l'homme de l'étude vivante de la nature. Tous écrivent leur vision en poèmes (alors que Platon bannira les poètes de sa République).

Après Héraclite s'opère la grande mutation de l'homme occidental : désormais seront séparées la physique et l'ontologie. L'homme et Dieu. Dans cette pensée déracinée de la vie, les mots et les choses ont perdu leur sens de signes divins.

Héraclite parlait encore le langage des oracles et des révélations.

"Tout est un. " (fr. 50)

"La loi, c'est d'obéir à la volonté de l'Un. " (fr. 33)

"La sagesse consiste en une seule chose : connaître la pensée qui gouverne tout et partout. " (fr. 41)

"Sans l'espérance on ne trouvera pas l'inespéré " (fr. 18.)

"L'Univers est un feu toujours vivant qui s'allume et s'éteint selon un rythme. " (fr. 30).

" Le dieu, dont l'oracle est à Delphes, ne parle pas : il désigne. " (fr. 93).

Le concept ne permet de définir que ce qui est déjà. L'avenir, ce qui est encore à créer, peut seulement être suggéré par la parabole, la métaphore, le poème.

Telle fut l'initiation du dernier voyant : veiller, pour lui, c'est avoir l'intelligence ouverte au sens, qui se révèle avec les signes du monde et la parole des prophètes.

Vivre la mort. Mourir sa vie. Telle est la familiarité de l'homme et du divin, " des gardiens vigilants des vivants et des morts." (fr. 62, 63, 77, 88).

* * *

L'autre source de la sécession de l'Occident, est judéo-chrétienne. Après le grand universalisme de l'asiate Jésus (comme l'écrivait le Père Danielou), Saint-Paul et ses disciples reprirent la notion maudite de peuple élu : il y avait autrefois des goys (des non-juifs), il y eut désormais des païens, des mécréants, à évangéliser, c'est-à-dire à coloniser spirituellement comme socialement.

Ce mixte de judaïsme et d'hellénisme (qui, après Saint-Paul, ne porte plus le nom de Jésus, mais s'appellera le christianisme (christ, cristos étant la traduction grecque de l'ancien terme hébreu de messie, destiné à restaurer le Royaume de David, qui n'a rien à voir avec le royaume annoncé par Jésus) rendit plus profonde la fracture humaine. Il n'y eut plus seulement, au delà des civilisés gréco-romains, des barbares ("Les Grecs sont faits pour la liberté, les barbares pour l'esclavage" écrivait Euripide), il y eut, pour 20 siècles, des bien pensants, sujets obéissants de l'Eglise romaine (héritière de l'Empire romain) et des hérétiques.

Là encore se produisit une annexion illégitime : celle des Pères Grecs, analogue à celle des Présocratiques.

Ils écrivaient en effet en langue grecque, mais leur apport le plus constructif ne fut pas d'helléniser le christianisme, mais de le féconder à partir des sagesses de l'Orient. Le Père Segundo note que "la période patristique résiste encore assez bien aux tendances déséquilibrantes de l'hellénisme" (Qu'est-ce qu'un dogme ? p. 307)

Qui sont les Pères Grecs ?

Tous vivent et méditent au Proche-Orient ou en Egypte, à Alexandrie. Justin (+165) est né à Naplouse en Palestine ; Irénée de Lyon est né à Smyrne, et Saint-Clément est d'Alexandrie (+215), comme Origène ; Saint-Hilaire de Poitiers est exilé en Orient, où il écrit ses oeuvres majeures ; Basile le Grand, Grégoire de Naziance et Grégoire de Nysse sont les Pères de Cappadoce (actuelle Turquie) ; Ephrem le Syrien, Cyrille de Jérusalem, Cyrille d'Alexandrie, sont, comme Jean Chrisostome, nés à Antioche (actuelle Syrie). Tous sont des Orientaux, non seulement par la naissance mais par l'esprit profond avec lequel ils ont vécu l'expérience de la Trinité chrétienne sans la mutiler des dimensions des spiritualités de l'Orient.

Cet héritage oriental, déjà présent chez Plotin, apparaît avec évidence chez ces Pères de l'Eglise où Saint-Clément d'Alexandrie, qui connaissait fort bien le bouddhisme, écrit : "Si l'on se connaît soi- même, l'on connaît Dieu, et, connaissant Dieu, l'on devient Dieu" (Pédagogue I, 3)

"Dieu s'est fait homme pour que l'homme puisse devenir Dieu", ne cessent de dire les Pères de l'Orient depuis Saint Irénée.

Cette théosis (divinisation de l'homme) ne doit rien à l'hellénisme, sauf le mot, utilisé en un sens radicalement différent. Car il s'agit d'une participation de l'homme non à la substance du Père ou à son essence, radicalement inaccessible, mais à son énergie, constamment participable en son perpétuel épanchement créateur : "Ce qu'est l'homme, le Christ a voulu l'être pour que l'homme puisse être ce qu'est le Christ" (Saint Cyprien, Les idoles ne sont pas des dieux, XI, 15).

La richesse de cette expérience vécue de la Trinité vient de ce que les Pères grecs et les théologiens de Byzance ont vécu cette expérience sans pour autant rompre avec les sagesses et les spiritualités de l'Orient, de l'Iran et de l'Inde.

La distinction du Dieu caché et de ses énergies participables à l'homme entier, corps et âme, est proche de l'identité suprême de l'Inde et des Upanishads.

Nous sommes loin ici du dualisme grec de la substance et de la séparation de l'âme et du corps. Saint-Grégoire de Naziance soulignait que la pensée chrétienne doit procéder "à la manière des apôtres et non d'Aristote". "Les concepts, disait Saint-Grégoire de Nysse, créent des idoles de Dieu."

* * *

Telle fut la première Sécession de l'Occident, divisant le monde entre gréco-romains civilisés, et tout le reste barbares, ou en peuple élu (juif ou chrétien) et un monde de paiens mécréants.

Ce premier règne durera 12 siècles, depuis Constantin (326), marquant le début du constantinisme, successeur de l'organisation dominatrice de l'Empire romain devenu Eglise romaine, et de l'investiture divine du peuple élu se traduisant à la fois par un antisémitisme viscéral contre les juifs rivaux, et une persécution contre les hérétiques ayant choisi une voie non-orthodoxe pour aller vers Dieu.

S'étant ainsi emparé de la tradition hébraïque de peuple élu, et après avoir fait tonsurer Platon par Saint-Augustin et Aristote par Saint-Thomas d'Aquin, cette Eglise romaine rejudaïsée et réhellénisée, parvint, à travers les querelles du Césaro-papisme, de l'Empire et du Sacerdoce, et de douteuses saintes alliances entre le pouvoir temporel et le spirituel, à constituer une Europe et à y régner sans partage majeur grâce à ses Croisades et ses Inquisitions jusqu' à ce qu'il est convenu d'appeler la Renaissance.

Cette première sécession de l'Occident est ainsi née de deux mythes historiques : celui du miracle grec et celui de l'exeptionnalisme juif, puis chrétien.

* * *

La 2e sécession : la Renaissance

La Renaissance occidentale fut d'abord la naissance simultanée du capitalisme et du colonialisme, masquée par une restauration philosophique du dualisme philosophique des grecs et surtout de Platon, par une réforme religieuse, celle de Luther et de Calvin, arrachant la moitié de l'Europe à une Eglise romaine impériale, par une sécession de l'Europe se croyant désormais le centre du monde, seul créateur de valeurs parce que s'attribuant toutes les découvertes scientifiques et techniques du reste du monde : la boussole et le gouvernail d'étambot qui rendaient possible la navigation en haute mer et donc les grandes découvertes, la poudre qui permit de faire de ces découvertes des conquêtes, l'imprimerie qui démocratisait la culture et la résurrection de la Grèce et de Rome.

Tout cela venait de Chine, de l'Inde, par les routes de la soie, et de l'expansion de l'Islam. Des Indes Occidentales, c'est à dire de l'Amérique, affluaient l'or et l'argent qui rendaient possible une expansion gigantesque de l'économie marchande. La quantité d'or et d'argent en circulation en Europe augmenta de 800 % au XVIème siècle, grâce aux multitudes d'Indiens qui mourraient de travail forcé dans les mines de métaux précieux.

Plus important encore fut l'afflux, en Europe, de ressources alimentaires venues d'Amérique, qui mirent fin aux famines du Moyen Age, et donnèrent une impulsion sans précédent à la natalité : Fernand Braudel, en 1982, appelait cultures miracles l'arrivée en Europe de la pomme de terre andine et du maïs mexicain : en deux siècles, note Braudel, la pomme de terre remplace 40 % de la consommation de céréales. En Irlande, où elle fut d'abord cultivée, la population tripla.

Lorsque les Européens commencèrent à importer le coton américain à filaments longs, l'industrie textile européenne prit un essor sans précédent aux dépens des tisserands de l'Inde, et, en Amérique, des esclaves noirs déportés pour sa production.

Le mythe de la Renaissance européenne, c'est à dire la naissance du monothéisme du marché et de l'idolâtrie de l'argent, de la cassure du monde par le pillage colonial, de la polarisation croissante, même en Europe, de ceux qui ont et de ceux qui n'ont pas, masque la décadence de l'humain.

La décadence, c'est la désintégration de la volonté collective au profit des individus. Ce qui caractérise la décadence romaine, c'est le contraste croissant entre la richesse des demeures privées et la décrépitude des temples.

Naissance des fauves et du règne de l'or. Les grands témoins : Shakespeare, Cervantès.

Cette décadence fut révélée, dès son origine, par les grands génies de l'époque.

-- Nul, mieux que Shakespeare, n'a compris et décrit les mécanismes de désintégration de notre monde de la fin du XXème siècle ;

-- Nul, mieux que Cervantès, n'a désigné la seule voie pour déjouer la mort.

1605. Le Roi Lear révèle la décomposition d'un monde " où les fous mènent les aveugles " (1)

" Le grand monde s'usera ainsi jusqu'au néant. "(2) Le Roi Lear n'est que "morceau de ruine "(3). Il pose la question cruciale : "Qui pourra me dire qui je suis? " (4)

" Je sais qui je suis " (5), répond Don Quichotte en cette même année 1605. Il est, lui aussi, au fond du malheur. Mais habité par Dieu. Avec un but, un sens. Il sait que le monde du troupeau n'est pas le vrai.

Le monde de Cervantès et de Shakespeare est notre monde ; ils en ont vécu la naissance ; nous en vivons l'agonie.

Ce qu'on appelle la Renaissance, c'est le rejet de toute valeur absolue, et son corollaire : un individualisme de jungle.

La Renaissance, naissance des fauves.

Ce qu'il est convenu d'appeler la réalité est songe et mensonge. Nous dirions: aliénation de l'homme.

Shakespeare et Cervantès ont crié les premiers : "le roi est nu !" Votre réel est un faux réel : il n'a pas de sens parce que vous n'avez pas de but !

L'argent fait de toutes les valeurs des valeurs marchandes : " Tu vaux autant que tu possèdes, et possèdes autant que tu vaux " (II, 20, p. 669 et II, 43, p. 831). " Les richesses sont capables de combler bien des trous " (II, 19, p. 655) (Don Quichotte).

Cervantès dénonce ainsi la subversion morale découlant du triomphe du capitalisme à la Renaissance avec la même lucidité et la même violence que Shakespeare montrant " le cuistre savant prosterné devant l'imbécile cousu d'or ".

" Que vois-je là ? De l'or, ce jaune, brillant et précieux métal ! Ce peu d'or suffirait à rendre blanc, le noir ; beau, le laid ; juste, l'injuste ; noble, l'infâme, jeune, le vieux ; vaillant, le lâche. Ceci écartera de vos autels vos prêtres et vos serviteurs ; ceci arrachera l'oreiller du chevet des malades. Ce jaune argent tramera et rompra les voeux, bénira le maudit, fera adorer la lèpre livide, placera les voleurs, en leur accordant titre, hommage et louanges, sur le banc des sénateurs ; c'est ceci qui décide la veuve éplorée à se remarier. Celle qu'un hôpital d'ulcérés hideux vomirait avec dégoût, ceci l'embaume, la parfume, et lui fait un nouvel avril... Allons ! poussière maudite, prostituée à tout le genre humain, qui mets la discorde dans la foule des nations, je veux te rendre ta place dans la nature. " (6)

Karl Marx, citant ce texte de Shakespeare, y voyait une première prise de conscience de l'aliénation (7) de l'homme par ce qu'il appellera, dans le Capital, le " fétichisme de la marchandise " (8).

Dans la critique, par Cervantès, de ce qui est l'essence du capitalisme naissant, se trouve la clé du thème des enchanteurs. La mission de Don Quichotte est de désenchanter le monde enchanté. Dans un autre langage l'on dirait : désaliéner le monde aliéné.

Ce qu'il croyait épopée mystique, lui apparaît réalité sordide du colonialisme. Dans le Jaloux d'Estrémadure il appelle les Indes "le refuge et l'abri des désespérés de l'Espagne, Eglise des déchus, sauf-conduit pour les criminels... déception pour beaucoup et remède pour quelques-uns " (Pléiade p. 1301).

Le même Cervantès est finalement broyé : ancien combattant de Lépante, devenu, à Séville, bureaucrate obscur dans les chantiers où l'on équipait L'Invincible Armada , il est désormais l'un de ces désespérés de l'Espagne et adresse une demande d'emploi à Philippe II. "Je supplie humblement Votre Majesté... de m'accorder la grâce d'un poste vacant aux Indes... celui de comptable dans la Nouvelle Grenade, ou dans la province de Soconusco au Guatemala, ou dans les galères de Carthagène (Pérou), ou dans l'administration de la Paz... "

La déception tragique de Cervantès, à son " tournant des rêves", s'exprime à travers Don Quichotte: dans son discours sur les armes et les lettres , il dit sa tristesse " d'avoir exercé cette profession de chevalier errant à une époque aussi détestable que celle où nous vivons aujourd'hui " (I, 37-38,).

La critique de son siècle est aussi implacable que celle de Shakespeare. (9)

Hanté par le souci de dominer la nature par la science et la technique, l'homme devient chose parmi les choses : " tout ce monde est composé d'artifices et de machines " (II, 30, p. 738). Surtout de machines à broyer : les moulins en sont la parabole. Comme la chaîne dans cette autre allégorie: Les Temps modernes de Chaplin.

De cette mécanisation du monde et de cet écrasement de l'homme, dépouillé de sa dimension divine, Don Quichotte dégage la source : le pouvoir absolu de l'argent devenu maître des hommes et de leur société à la place de Dieu. " Le meilleur fondement du monde est l'argent " (II, 20, p. 66). " L'intérêt peut tout " (II. 20, p. 667).

L'afflux d'or des Amériques a submergé l'Espagne.

L'argent devient le moteur de toutes les actions. Il confère le pouvoir et le corrompt : "Il n'y a office si honorable qui ne s'acquière avec quelques pots de vin " (II, 61, p. 811).

La corruption des dirigeants est générale : " ramasser des pistoles... tous les gouverneurs nouveaux y vont avec le même désir " (II, 36, p. 79...).

Les grands seigneurs, propriétaires terriens fainéants, vivent du travail des autres (I, 50, p. 492).

Tel est ce monde redevenu animal dans les jungles du capital, de ce système fondé sur l'argent et l'intérêt personnel, né à la Renaissance.

Don Quichotte maudit cet esprit nouveau qui pénètre même en l'honnête Sancho Pança ; " ton attachement à ton intérêt particulier... ô homme qui tiens plus de la bête que de l'homme " (II, 28, p. 732).

Telle fut la naissance de notre monde.

Shakespeare et Cervantès ont vécu le début de la partie, quand se fixaient les règles du jeu.

Aujourd'hui, avec Beckett et l'absurde, en attendant Godot ", se joue La fin de partie . (10)

* * *

Ainsi naquirent ce que les manuels d'histoire appellent "les temps modernes", caractérisés par une négation de l'unité humaine en raison de l'hégémonie de l'Occident, et le mépris ou la destruction des autres cultures.

La culture occidentale, qui règne depuis cinq siècles et jusqu'à aujourd'hui, se croyant la seule créatrice de valeurs et le seul centre d'initiative historique, se fonde essentiellement sur trois postulats de la modernité :

dans les rapports avec les autres hommes, le postulat d'Adam Smith : " Si chacun est guidé par son intérêt personnel, il contribue au bien être général."

dans les rapports avec la nature, le postulat de Descartes : "Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ".

dans les rapports avec l'avenir, le postulat de Faust. L'auteur du premier Faust, le dramaturge anglais Marlowe (1563-1593) écrivait : "Homme, par ton cerveau puissant deviens un Dieu, le maître et le seigneur de tous les éléments. ")

La trajectoire historique de cette civilisation occidentale, fondée sur ces trois postulats dans le triomphe desquels certains ont vu la fin de l'histoire, s'exprime dans les philosophies anglaises, françaises et allemandes de cette période de l'histoire :

1 -- Du postulat d'Adam Smith au monothéisme du marché : la philosophie anglaise.

2 -- Du postulat de Descartes à l'ordinanthrope : la philosophie française.

3 -- Du postulat de Faust au monde du non-sens : la philosophie allemande.

* * *

a -- Du postulat d'Adam Smith au monothéisme du marché.

(La philosophie anglaise)

C'est en Angleterre que sont nées la première forme du capitalisme, et les premières prises de conscience de ses fondements humains.

La révolution industrielle s'y développa en deux temps : de 1570 à 1640 s'en dessinèrent les grands traits, du 17e au 19e siècle s'en déployèrent toutes les conséquences.

Dans la première étape, l'expansion brutale du grand commerce en Europe, grâce à l'afflux d'or et d'argent dû à l'invasion et au pillage de l'Amérique à partir de 1492, rendit sauvage, en Angleterre en particulier, la transition d'une économie agricole à une économie industrielle, pour intensifier le commerce de la laine avec les Flandres, centre d'une économie marchande en plein développement, à travers les foires de France jusqu'aux grandes cités italiennes.

Les petits paysans anglais, pratiquant jusque là des cultures vivrières, furent chassés de leur terre par les actes d'enclosure de gros propriétaires marchands qui multiplièrent de vastes enclos pour y faire paître de grands troupeaux de moutons, expropriant les paysans de leurs parcelles, et leur interdisant, par leurs clôtures, de laisser paître leurs quelques bêtes dans les champs communaux qui leur étaient jusque là ouverts.

L'exportation de la laine fit un bond prodigieux : en 1570 les exportations textiles constituaient 80 % des exportations anglaises, non seulement par la vente de la laine mais de tissus confectionnés puisant une main d'oeuvre peu coûteuse chez les paysans chassés de leur terre et affamés. " Les moutons mangeaient les hommes. " écrit Thomas More dans son Utopie, dès 1516, à une époque où déjà l'on comptait 70.000 mendiants à Londres, et, dans tout le pays, des bandes de paysans sans terre devenus vagabonds.

Des révoltes étaient engendrées par cette naissance du capitalisme, réduisant les paysans évincés de leur terre à l'état de prolétariat misérable.

C'est ainsi, par exemple, qu'en 1549, 20.000 paysans firent jonction avec les chômeurs de la ville de Norwich, centre textile, et donnèrent l'assaut à la ville pour réclamer la fin des enclosures, qui avaient chassé les uns et les autres de leur terre, et le retour au régime des terres communales leur permettant de vivre.

Le Régent, (c'était au temps de la minorité d'Edouard VI, fils d'Henri VIII) envoya contre eux une armée de 15.000 mercenaires italiens et allemands qui massacrèrent 3.500 paysans et pendirent leurs chefs, les frères Kett.

Le système connut un essor plus rapide encore par l'exploitation coloniale : en 1591 a lieu la première expédition anglaise en Inde ; en l600 est créée la Compagnie Anglaise des Indes occidentales (dont l'exemple sera suivi, en 1602, par les Hollandais et, en 1664, par la France).

L'introduction du système de propriété privée de type capitaliste dans les colonies, où elle fut imposée avec des méthodes plus barbares encore, produisit de plus grandes misères.

Le rapport officiel de la Compagnie des Indes, en 1770, révèle : "Plus d'un tiers des habitants a péri dans la province autrefois prospère de Purneah, et ailleurs la misère est aussi grande. "

Lorsque l'Etat anglais prend le relais de la Compagnie, le Gouverneur général des Indes, Lord Cornwallis, fait le bilan : " je puis déclarer avec certitude qu'un tiers du territoire de la Compagnie en Hindoustan est maintenant une jungle habitée par des bêtes sauvages. " Le Règlement foncier permanent édicté par lui, en 1793, pour le Bengale et le Bihar, en quadrillant l'Inde en propriétés privées et spoliant les paysans pauvres des traditionnelles terres communales qui permettaient une économie de subsistance, est à l'origine de la première grande famine de l'Inde : un million de morts entre 1800 et 1825, puis 5 millions de 1850 à 1875, et 15 millions de 1875 à 1900. Ainsi furent tués l'économie agricole de subsistance, puis l'artisanat textile de l'Inde. Le jeu de cette liberté, fait de ce pays un importateur des tissus de Manchester qui, de 1814 à 1834 passe de 1 million de dollars à 51 millions.

Venise fournit alors à l'oligarchie anglaise naissante, se préparant à bâtir son Empire, l'idéologie de justification dont elle avait besoin. Le dernier Premier Ministre de l'Angleterre au XIXème siècle, Disraëli, souligne cette filiation dans son livre Conningsby : "l'objectif principal des dirigeants whigs ... était de faire de l'Angleterre un Etat hautement oligarchique sur le modèle de Venise ", c'est à dire avec une Grande Assemblée et un Sénat, contrôlant le doge.

Les grands poètes de l'époque, comme Shakespeare, dans Le marchand de Venise (Shylock) ou Othello, le Maure de Venise dénoncèrent les moeurs politiques de Venise (dont, dans Othello, le personnage d'Iago est l'expression la plus typique). Mais le parti vénitien ne cessait inexorablement de s'emparer du pouvoir.

La continuité politique est parfaite entre l'Empire vénitien et l'Empire anglais, fondés sur la même idéologie aristotélo-paulinienne. La Compagnie vénitienne, créée par le Comte de Leicester, fondateur du mouvement puritain, ouvre à l'Angleterre de nouvelles routes vers le Levant et l'Asie : en 1581 une autre compagnie est créée : la compagnie turque. Par sa fusion avec la Compagnie du Levant elle deviendra La Compagnie des Indes orientales dont le premier gouverneur sera Thomas Smith, étudiant de l'Université aristotélicienne de Padoue (1600).

Cette influence se conjugue avec celle du Paulinisme politique, comme il apparaît avec éclat aussi bien avec Saint-Thomas d'Aquin qui sut si bien tonsurer Aristote, qu'avec Luther.

Luther trouve en Saint-Paul l'idéologie enlevant à l'homme toute responsabilité par l'extériorité de la grâce et de la justification par la foi, et la continuité paulinienne entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Cette idéologie fondait à la fois sa lutte contre-révolutionnaire contre Thomas Münzer se réclamant de la force de rupture puisée en Jésus, et justifiait le colonialisme sanglant des puritains du Mayflower reprenant, contre les Indiens, le colonialisme inspiré par les massacres légendaires de Josué en Canaan.

(Les puritains émigrés en Amérique s'identifiaient avec les hébreux bibliques échappant à la servitude du Pharaon (le roi d'Angleterre) pour arriver dans le nouveau Canaan : l'Amérique. Dans leur chasse aux Indiens pour s'emparer de leurs terres, ils invoquaient l'exemple de Josué et les exterminations sacrées (Herem) de l'Ancien Testament : " Il est, évident, écrit l'un d'eux, que Dieu appelle les colons à la guerre. Les Indiens....(sont).... comme les anciennes tribus des Amalécites et des Philistins qui se liguèrent avec d'autres contre Israël. " (Truman Nelson, "The Puritans of Massachussets: From Egypt to the Promised Land", Judaism, Vol. XVI, No 2, 1967.)

Edmond Spencer dans son oeuvre The Faerie Queene (1590), amorce l'idée d'une destinée impériale de l'Angleterre, peuple "choisi de Dieu ".

Le système anglais est une transposition de celui de Venise: il tend constamment à éviter une monarchie absolue pour faire de son roi un doge représentant l'oligarchie marchande et faisant sa politique.

Ce régime prédomine depuis le triomphe du capitalisme à la Renaissance, jusqu'au milieu du XXème siècle (c'est à dire jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale et la conférence de Bretton Woods, qui marque le transfert de l'hégémonie du monde capitaliste de l'Angleterre aux Etats-Unis par la suprématie du dollar et de l'atome).

Cet Empire domina le monde pendant près de cinq siècles. Il fut plus durable, en sa toute-puissance, que l'Empire romain, ou que les Empires éphémères de Napoléon ou d'Hitler. Il engendra ce que Gramsci appellera ses intellectuels organiques élaborant une idéologie, c'est à dire une justification pseudo-philosophique du régime régnant.

Tous ceux qu'on appelle, dans les manuels officiels, les philosophes anglais furent d'abord des politiciens étroitement liés à l'économie impériale de leur temps quand ils ne devinrent pas, plus directement, des théoriciens mercenaires de la Compagnie des Indes Orientales.

Le Père fondateur de cette école, que l'on présente volontiers, dans l'histoire officielle, comme le pionnier de la science moderne, est Francis Bacon (1561-1626).

Dans son Novum Organum (1620) Bacon reprend les thèses majeures du vénitien Sarpi :Art de bien Penser, dont l'idée centrale est directement tirée d'Aristote : les sens sont la seule source de la connaissance.

Francis Bacon, a joué un rôle de premier plan dans la politique anglaise : député au Parlement dès 1584, il devient Lord Chancelier en 1618 (compromis dans une affaire de corruption il sera contraint de démissionner en 1621). Il ne rejette d'Aristote que ce qui pourrait atténuer son orientation terre à terre : il exclut les causes finales pour ne retenir que l'expérience efficace.

La vraie philosophie ne peut avoir qu'un intérêt pratique (c'est à dire servir la technique), à partir de l'axiome de base de Bacon : "L'homme ne comprend que ce qu'il a observé", mot d'ordre, dès lors, de tout l'empirisme anglais ultérieur.

L'observation de la réalité, c'est à dire de l'ordre établi, conduisit son plus proche successeur et ami Hobbes (1588-1679) à tirer, du spectacle de la société anglaise de l'époque, la même conclusion lugubre qu'Aristote put tirer de la société athénienne de son temps, mais dans une situation historique plus tragique encore : celle du capitalisme et du colonialisme triomphants.

Considérant les lois du capitalisme naissant comme des lois de la nature, il dégage, dans ses Eléments de la loi politique et naturelle (1640), le principe d'individualisme sauvage de l'économie marchande de concurrence sans merci. Il conclut que l'état naturel de la société c'est la guerre de tous contre tous.

Voyant dans la faillite de la démocratie athénienne un avertissement, il estime que, pour imposer une unité à cette jungle d'appétits affrontés il n'y a de recours que dans un despotisme absolu. C'est la thèse centrale de son Leviathan (1654).

Hobbes avait ainsi découvert la logique du libéralisme qui se vérifiera au cours des trois siècles suivants : un régime qui commence par la jungle des égoïsmes rivaux des individus comme des nations, permettant ainsi aux plus forts de dévorer les plus faibles, exige, à son terme, la dictature absolue d'un seul. (Comme l'illustrera par exemple le passage de la République libérale de Weimar à la dictature impitoyable d'Hitler).

Hobbes avait dessiné la trajectoire de l'individualisme concurrentiel et de son identité finale avec ce qui est apparemment son contraire mais en réalité l'aboutissement de sa logique interne : la dictature totalitaire, même si elle prend des formes politiquement plus voilées, mais économiquement tout aussi efficaces et tyranniques, d'une entreprise d'hégémonie mondiale sous la forme du monothéisme du marché.

Après lui John Locke (1632-1704) pour lequel la justice est essentiellement la protection de la propriété, continuera l'élaboration de la doctrine avec son Essai sur l'entendement humain, ébauché à partir de 1671 et publié en 1683.

Entre ces deux dates, toute l'expérience d'une vie d'économiste et de politicien : d'abord de conseiller du Garde des sceaux Somers, puis chancelier de l'Echiquier (Ministre des finances) il est nommé, en 1698, membre du Conseil du commerce et des plantations. En 1694 était créée la Banque d'Angleterre sous la direction de Lord Montagu, chef du Parti vénitien et nouveau Ministre des finances (Chancelier de l'Echiquier), qui sera, plus tard, ambassadeur à Venise.

Locke devient alors le propagandiste de la Banque en faisant l'éloge de l'usure, nécessaire pour des Etats fondés sur l'accumulation de la monnaie. La spéculation a désormais le champ libre comme défense de la propriété: l'homme valant ce qu'il gagne, le contrat social se fonde sur le droit, pour le possédant, d'entrer dans le jeu de la Banque transformée en casino.

Locke, nommé Commissaire royal du commerce et des colonies, lutte avec acharnement pour limiter les droits des colonies anglaises d'Amérique (accordés, avant lui, par une Charte royale) afin que leur économie soit étroitement soumise à celle de la métropole, qu'il leur soit interdit de manufacturer des marchandises.

Une telle politique ne pouvait reposer que sur une conception animale de l'homme, mû par son seul intérêt. L'esprit n'y avait point de place : il était donc réduit à une table rase (tabula rasa), vide destiné à être rempli par les perceptions sensibles constituant la seule réalité. La variante religieuse apportée par l'évêque Berkeley (1685-1753) ne change rien à la conception centrale du rôle passif de l'esprit dans cette philosophie de l'être : nous ne pouvons connaître que nos perceptions sensibles ( esse est percipi : être c'est être perçu.). Les sensations restant donc données. Non par la matière, mais, chez Berkeley, par Dieu, toujours par réception passive, sans acte humain.

En vain lutta Leibiniz (1646-1716) contre cet empirisme et ce solipsisme (nom noble, philosophique, de l'égoïsme) lorsqu'il fut en Angleterre le protégé de la Reine Anne. Dans son Essai Sur les notions de droit et de justice. (1693) il définissait l'amour : " préférer le bonheur de l'autre au sien propre. ". Toute sa philosophie, où chaque parcelle de la réalité (la monade) est une réalité vivante et active, liée à tous les autres êtres, présents en elle, jusqu'aux confins du monde, était le contre pied exact de cet empirisme positiviste d'une société mercantile et impériale.

En Angleterre même, Jonathan Swlft reprit de Leibiniz la critique de l'empirisme solipsiste qu'il ridiculisa dans son Essai sur la folie et, en 1696, dans son Conte du tonneau. Il fit, dans son Voyage de Gulliver, une satire mordante de la société anglaise. Mais, à la mort de la Reine Anne, en 1714, Leibiniz fut écarté de la Cour et Swift dut s'enfuir en Irlande, son pays natal, où, comme doyen de la Cathédrale Saint Patrick à Dublin (où l'avait nommé la Reine Anne), il devint, en 1720, le chef politique de la lutte de l'Irlande pour la liberté de l'homme contre le désert spirituel de l'empirisme anglais et du mécanisme cartésien, et pour la souveraineté nationale contre la domination anglaise.

Après cette défaite de ceux qui voulaient défendre l'homme contre l'écrasement de l'empirisme (et du libéralisme économique dont il était le fondement), le système dévastateur de l'humanité put reprendre sa course.

De 1721 à 1742, le maître emblématique de cette Angleterre fut Edmond Walpole. Significativement Walpole, emprisonné à la Tour de Londres en 1712, pour corruption, devient Chancelier de l'échiquier (Ministre des finances) en 1715.

Il fut mêlé à l'Affaire des mers du Sud (South Sea Bubble), (où la Banque d'Angleterre avait couvert les spéculateurs de la Compagnie des mers du Sud qui conduisirent à la faillite retentissante de 1720.)

Edmond Walpole devient pour vingt ans (de 1721 à 1742) le véritable maître de l'Angleterre, accumulant et dilapidant une fortune fabuleuse acquise par la spéculation, le pouvoir absolu et le chantage. Il pouvait déclarer à la Chambre des Communes, sans que personne osât élever la voix : " Je sais combien vaut la conscience de chacun des honorables membres de cette Assemblée. "

Il eut les théoriciens qu'il méritait. En 1714, Mandeville (1670-1733) : soutenait, dans sa Fable des abeilles, (1714) que les vices privés servent le bien public.

Sur le plan philosophique David Hume (1711-1776), juriste et diplomate, secrétaire de l'ambassade britannique à Paris en 1763, et Secrétaire d'Etat à son retour à Londres, reprend l'antienne traditionnelle de ses prédécesseurs: il n'existe rien en dehors de l'expérience sensible, ce qui lui permet de réduire le moi humain à un bouquet de sensations, ces sensations elles-mêmes n'ayant entre elles aucun lien de cause à effet, mais seulement des successions et des associations coutumières. A partir de cette conception de l'être de l'homme, les notions de responsabilité et d'acte moral n'ont aucun sens, et dans ses Dialogues sur la religion naturelle (1777) il dégage les conséquences de son Essai sur l'entendement humain (1748), ramenant toute morale, comme les autres idéologues anglais, à la justice (qui consiste pour eux en respect et défense de la propriété) et plus généralement, (comme ceux qui excluent toute transcendance de l'acte par rapport à la perception passive de l'être), à l'utilité et à la satisfaction de soi-même et des autres.

Jérémie Bentham (1748-1832) est le plus représentatif de cette lignée. Assimilant, lui aussi, le système capitaliste à l'ordre naturel, il considère l'homme comme une espèce animale n'agissant qu'en vue de son seul intérêt dans la recherche du plaisir et l'absence de la douleur. Il imagine donc une arithmétique du plaisir qui n'est possible que s'il existe un dénominateur commun pour mesurer le plaisir. C'est, selon Bentham, le prix des objets, nous procurant ce plaisir ou évitant la douleur. Ce prix s'établit sur le marché. L'argent est donc ce commun dénominateur, cet instrument de mesure. Tel est le principe de base de l'oeuvre philosophique de Bentham. Il en oriente toutes les réflexions depuis son Introduction aux Principes de la morale et de la législation (1789), jusqu'à ses conclusions juridiques sur La Rationalité du châtiment (1830) où la justice, dans un régime de concurrence, doit, pour le juriste, exiger les sanctions économiques proportionnelles au délit selon le même calcul concernant la douleur et le plaisir.

L'âge du quantitatif trouvait ainsi son fondement dans le système où le marché est le seul régulateur des relations humaines, réduisant l'homme (l'homo economicus) à n'être que producteur et consommateur et n'agissant qu'en fonction de son seul intérêt. L'homme que Marcuse appellera, trois siècles plus tard, l'homme unidimensionnel.

Ne faisant aucune différence entre l'homme et l'animal puisque l'un et l'autre ne sont conduits que par l'intérêt, l'impulsion au plaisir ou la crainte de la douleur, il résume ainsi sa pensée en une formule : " La nature a fait que l'humanité ne soit guidée que par deux maîtres : le plaisir et la douleur."

L'un des successeurs de Walpole à la tête du gouvernement de l'Angleterre en 1763, Lord Shelburne, considérait Bentham comme "le Newton des sciences humaines. "

Pour Shelburne, qui, avec l'aide de la Compagnie des Indes et de la Banque Baring, refusait toute concession à l'Irlande et à l'Amérique libérée du colonialisme anglais, la ligne directrice de la politique était : liberté totale du commerce.

Le 27 janvier 1783, demandant à la Chambre des Lords de ratifier le traité de Paris mettant fin à la colonisation américaine, il expliquait que l'on pouvait détruire la jeune Amérique et la ramener sous le joug anglais par le simple libre jeu de la liberté du commerce : " La concurrence, dit-il, est le fondement d'un sain libre-échange.... Nous ne devons viser qu'au libre échange sur la terre.... Avec plus d'industrie, plus de capitaux, plus d'entreprises qu'aucune nation commerçante du monde, notre mot d'ordre doit être : ouvrir tous les marchés. ". C'était déjà le langage des promoteurs américains du G.A.T.T. et de l'Organisation mondiale du commerce, avec les mêmes objectifs de domination mondiale.

Shelburne commande deux livres, à Adam Smith (1723-1790) et Edward Gibbon (1737-1794).

L'oeuvre principale d'Edward Gibbon L'histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain fut écrite de 1776 à 1788), il la résumait ainsi : "J'ai décrit le triomphe des barbares et de la religion ". Ennemi de toute spiritualité comme la plupart de ses contemporains du XVIIIème siècle, il se donne comme le défenseur de la civilisation contre les barbares. Membre du Parlement et surtout Commissaire au commerce et aux plantations, il défend dans un Mémoire justificatif (1779), le colonialisme britannique contre les critiques faites à sa politique à l'égard des colonies américaines.

Shelburne, dont la politique coloniale, lorsqu'il fut Premier Ministre (1782-1783) et Président du Comité secret de la Compagnie des Indes, se résumait en ce mot d'ordre : en finir avec l'Amérique par le libre échange, commande son second livre à Adam Smith.

Adam Smith, Commissaire des douanes à Edimbourg, achève son travail en 1776 : La richesse des nations. Son actualité demeure. Celui qu'on a appelé le Père de l'économie politique, a créé une théorie de la croissance qui n'a cessé d'être préconisée depuis lors par tous les théoriciens du libre-échange, en particulier dans l'Amérique de la deuxième moitié du XXème siècle, lorsqu'elle a remplacé l'Angleterre dans sa domination économique du Monde.

Le moteur de l'économie, c'est l'intérêt personnel. Au 4ème livre de sa Richesse des nations, Smith formule ainsi l'idée directrice de son système : "En orientant son industrie vers la production de la plus grande valeur possible chacun cherche uniquement son propre gain, et c'est ainsi que, conduit par une main invisible, il réalise un objectif dont il n'a pas conscience.... En poursuivant son propre intérêt il sert celui de la société plus efficacement que s'il en avait l'intention. "

Il en découle que l'intervention consciente de l'Etat serait nuisible et doit donc être réduite au minimum.

Quant aux rapports avec les colonies, ils ne doivent pas être des rapports de force car cela augmenterait les dépenses de l'Etat pour la guerre : la liberté du commerce suffit, car, sur ce plan, la suprématie anglaise ne peut être contestée.

Shelburne pouvait être satisfait des résultats de sa commande. Mais Bentham estime que le libéralisme d'Adam Smith est insuffisant. Il écrit une Défense de l'usure dans laquelle il reproche à Adam Smith de n'être pas allé assez loin : il aurait dû dire plus explicitement que l'on ne devrait imposer aucune limite à l'usure afin de ne pas étouffer l'initiative et la liberté.

Adam Smith accueillit volontiers cette critique et répondit à Bentham : "Votre livre est celui d'un homme supérieur. "

Le libéralisme de Bentham était en effet plus radical et plus conséquent. Adam Smith n'avait pas mentionné, dans les fonctions de l'Etat (Armée et marine, administrations et travaux publics) l'aide aux chômeurs ou aux exclus. Bentham comble cette lacune : dans son Panopticon (1802) il prévoit, pour les criminels, les indigents et leurs enfants de véritables camps de travail forcé, à l'entrée desquels il propose cette inscription : " Si vous aviez été travailleurs quand vous étiez libres, on ne vous aurait pas conduit ici comme esclaves ", ce qui évoque fort celle des nazis sur la portail d'Auschwitz : " Le travail c'est la liberté ! ".

En 1776 il ironise sur la Déclaration des droits lors de l'indépendance des colonies d'Amérique : " Aucun gouvernement ne peut s'exercer, écrit-il, qu'en violant l'un ou l'autre de ces droits. "

Allant jusqu'au bout de sa logique, il écrit : "C'est un de mes vieux principes: l'intérêt comme l'amour doivent être libres. "

Il publie donc un Essai sur la pédérastie (1785) Ce qui rejoint, une fois de plus, l'une des campagnes actuelles en faveur des inversions sexuelles, tant les vues de Bentham sur la logique du libre-échange étaient prophétiques en ce qui concerne la liberté du sexe comme de la spéculation.

A sa mort, en 1832, le corps de Bentham fut embaumé, et, en 1990, sa momie a encore place à l'Université de Londres.

Il est l'inspirateur de James Mill et de son fils John Stuart Mill (1806-1873). Stuart Mill résume, en sa vie et son oeuvre, tout le développement de cette idéologie de l'oligarchie et du colonialisme dont il est l'aboutissement. Fils de James Mill (1773-1836) un disciple de la morale et de l'économie politique de Bentham, de Hume et des empiristes, mécanistes et pragmatiques du XVIIIème siècle, Stuart Mill, sous la dogmatique éducation de son père, devient un enfant prodige. Il avait, dit-on, à douze ans déjà, étudié Aristote en son texte grec original. Ami et disciple de Bentham, il habite, à Paris, de 1820 à 1821, chez le frère de celui-ci et, en 1822, à l'âge de 16 ans, il expose la doctrine de Bentham dont il était imbu, tout comme près de la fin de sa vie, en 1865, il écrira une synthèse sur Auguste Comte et le positivisme.

Entre ces deux pôles de sa philosophie, dans ses Principes d'économie politique (1845), ses livres sur La liberté (1854) et sur l'utilitarisme (1861), sa Logique inductive et déductive (1843) qui est l'oeuvre centrale de sa carrière, son activité est entièrement dominée par le service de la Compagnie des Indes. Il y entre à 30 ans, en 1836, et y demeure jusqu'à la dissolution de celle-ci, en 1858, lorsque l'Etat anglais prit lui-même en main cette entreprise qui constituait un Etat dans l'Etat, comme en témoignent les fonctions mêmes de Stuart Mill : il fut chargé pendant plus de vingt ans, de 1836 à 1858, des relations de la Compagnie avec les Etats indiens.

Il est déjà remarquable qu'au contact de l'une des plus hautes spiritualités du monde : celle de l'Inde des Vedas, des Upanishads, du Mahabarata et du Ramayana, ce théoricien du colonialisme anglais ne daigne même pas en prendre connaissance et demeure si enfermé dans sa propre tradition, qu'il ne voit le monde qu'à travers l'associationisme de Hume, l'arithmétique des plaisirs de Bentham, l'économie politique d'Adam Smith, et le positivisme d'Auguste Comte, dernière religion de l'humanité.

Partageant l'idéologie de Malthus, (autre théoricien de la Compagnie des Indes), il est la référence fondamentale de tout propagandiste du colonialisme. C'est en effet une référence méritée par sa compétence professionnelle. Comme dirigeant de la compagnie des Indes, il fut mélé à la guerre de l'opium contre la Chine dès 1842, et à la répression de la Révolte des Cipayes en Inde, en 1858.

Lorsque Jules Ferry exposera sa politique coloniale, c'est de Stuart Mill, dont il partage l'ethocentrisme occidental et le racisme, qu'il se réclamera.

Dans le Journal Officiel de la République française (p. 1058) l'on peut lire le discours prononcé par Jules Ferry le 28 juillet 1885 :

" Oui, nous avons une politique coloniale, une politique d'expansion coloniale qui est fondée sur un système. (...) Cette politique coloniale repose sur une triple base : économique, humanitaire et politique. "

1. L'argument économique

Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. " L'illustre Stuart Mill a consacré un chapitre de son ouvrage à faire cette démonstration, et il la résume ainsi : Pour les pays vieux et riches, la colonisation est une des meilleures affaires auxquelles ils puissent se livrer.

Dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d'une colonie c'est la création d'un débouché. "

2 -- L'argument humanitaire

M. Camille Pelletan : " Qu'est-ce que c'est que cette civilisation qu'on impose à coups de canons ? ."

-- Jules Ferry : " Voilà, Messieurs, la thèse ; je n'hésite pas à dire que ce n'est pas de la politique, cela, ni de l'histoire, c'est de la métaphysique politique. Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai. Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... " (Remous sur plusieurs bancs à l'extrême gauche.)

-- M Jules Maigne : " Vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l'homme ! "

- M. De la Guilloutet : " C'est la justification de l'esclavage et de la traite des nègres ! "

Jules Ferry : " Si l'honorable M. Maigne a raison, si la Déclaration des droits de l'homme a été écrite pour les Noirs de l'Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer des échanges, le trafic ? Ils ne vous appellent pas. "

3 -- L'argument politique

" ... Il faut que notre pays se mette à même de faire ce que font tous les autres et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile général qui emporte, à l'heure qu'il est, toutes les puissances européennes, il faut qu'il en prenne son parti "

" Et c'est pour cela qu'il nous fallait la Tunisie, c'est pour cela qu'il nous fallait Saïgon et la Cochinchine, c'est pour cela qu'il nous faut Madagascar et que nous sommes à Diego-Suarez, et que nous ne les quitterons jamais. "

* * *

Le personnage emblématique de cette philosophie anglaise, dont les plus beaux fleurons étaient secrétés, comme ses intellectuels organiques, par la Compagnie des Indes et le colonialisme anglais, (et tous les impérialismes ultérieurs), c'est Malthus. Son oeuvre révèle les fondements de cette philosophie.

Malthus (1746-1834) est professeur d'histoire et d'économie politique à l'école de la Compagnie des Indes lorsqu'il écrit ses Essais sur le principe de population où il énonce ce qu'il appelle une loi : " la population croît dans une progression arithmétique et la production de subsistance selon une progression géométrique. "

Cette loi n'est vérifiée par aucun fait. Au contraire : la révolution industrielle anglaise, grâce à l'exploitation de la machine à filer de Hargreaves, de la machine à vapeur de Watt, du métier mécanique de Cartwright et l'introduction de la liberté du marché, aboutira à ce résultat: de 1870 à 1910 la population de l'Angleterre s'accroît de 58 %. Celle au contraire de l'Inde ne s'accroît que de 19 %.

Ainsi le théoricien de la Compagnie des Indes et du libéralisme anglais qui exonérait, par sa loi, les crimes du colonialisme, est l'ancêtre légitime de ceux qui, assimilant la surpopulation au chômage engendré par le système, veulent innocenter aujourd'hui le vrai coupable de la faim. Selon Malthus les caisses d'indigents doivent être supprimées car elles encouragent la natalité chez les pauvres.

* * *

Malthus n'avait pas découvert des lois immuables, mais celles du capitalisme et du colonialisme, celles du libéralisme économique c'est à dire de la concurrence brutale : la guerre de tous contre tous, sans limitation légale ni morale, faisant disparaître les animaux et les plantes par milliards, les malheureux par millions, les petites entreprises par milliers.

Malthus a inspiré à Darwin sa théorie de la "sélection naturelle". Selon Darwin c'est en octobre 1836, lorsqu'il lut Essay on the Principle of Population de T.R. Malthus que la solution de son problème s'imposa à son esprit.

" J'étais bien préparé (...) à apprécier la lutte pour l'existence qui se rencontre partout, et l'idée me frappa que, dans ces circonstances, des populations tendraient à être préservées, et que d'autres, moins privilégiées, seraient détruites.

Le résultat de ceci serait la formation de nouvelles espèces. J'étais arrivé enfin à formuler ma théorie. "

Tirant toutes les conséquences politiques et racistes de la doctrine de Malthus, il écrit à W. Graham (3 juillet 1881): "Les races inférieures seront bientôt éliminées par les races qui ont un degré de civilisation supérieure ".

Ce racisme, fondement de tout colonialisme, n'a cessé, depuis lors, et jusqu'à aujourd'hui, de régner.

* * *



Ce texte est extrait du livre de Roger Garaudy intitulé L'Avenir: mode d'emploi, divisé ici en sept parties. Il est édité en 1998 par les éditions Vent du Large et se trouve en librairie (ISBN: 2-912341-15-9). On peut s'adresser, au choix, à l'éditeur, 1 av. Alphand, 75116, Paris, à la Librairie de l'Orient, 18 rue des Fossés Saint Bernard, 75005, Tel.: 01 40 51 85 33, Fax: 01 40 46 06 46 ou à l'Association Roger Garaudy pour le dialogue des civilisations, 69 rue de Sucy, 94430 Chennevières sur Marne.

Ce livre est affiché sur Internet à des fins d'étude, de recherche, sans but lucratif et pour un usage raisonnable. Pour nous, l'affichage électronique d'un document revient exactement à placer ce document sur les rayons d'une bibliothèque ouverte au public. Nous y avons mis du travail et un peu d'argent. Le seul bénéficiaire en est le lecteur de bonne foi, que nous supposons capable de juger par lui-même. Au lecteur intéressé, nous suggérons d'acheter le livre. Nous n'avons pas de raison de supposer que l'auteur de ce texte puisse être considéré comme responsable d'aucun autre texte publié sur ce site.




Roger Garaudy
L'AVENIR
MODE D'EMPLOI

Chapitres: | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
 

I -- D'où vient le danger de mort du XXIe siècle?

1) -- La planète est malade: un monde cassé

2) -- L'Occident est un accident: Il a cassé le monde par trois

3) -- Hitler a gagné la guerre.

-- La destruction de l'Union soviétique.

-- La vassalisation de l'Europe.

-- L'exclusion des races inférieures dans le monde.

II -- Comment construire l'unité humaine pour empêcher ce suicide planétaire

1) -- Par une mutation économique

A Un contre Bretton-Woods

B pour un nouveau Bandoeng

2) -- Par une mutation politique

- Qu'est- ce qu'une démocratie? (Le monothéisme du marché détruit l'homme et sa liberté.)
-- D'une Déclaration des droits à une Déclaration des devoirs
-- La télévision contre la société

3 -- Par une mutation de l'éducation

- qu'est-ce que l'éducation? (Lire des mots ou lire le monde?)

-- Mythologie ou histoire?

a -- La mystification de l'idée de nation.

b -- Le colonialisme culturel

c -- Le mythe et l'histoire en Israël

- Philosophie de l'être ou philosophie de l'acte?

4 -- Par une mutation de la foi

Et maintenant?

- ... Ce que les corrompus d'aujourd'hui appellent mes rêves.
 


ANNEXES
I -- Trajectoire d'un siècle et d'une vie

1 -- Avoir vécu un siècle en feu

2 -- Les rencontres sur le chemin d'en haut

3 -- 1968: Soyons raisonnables: demandons l'impossible

4 -- Philosophie de l'Etre et philosophie de l'Acte

II -- L'Occident est un accident (ses trois sécessions)

1re sécession: de Socrate à la Renaissance

2e sécession: les trois postulats de la mort:

a -- d'Adam Smith au monothéisme du marché. (De la philosophie anglaise.)

b -- de Descartes à l'ordinanthrope. (De la philosophie française)

c -- de Faust au monde du non-sens. (De la philosophie allemande)

3e sécession:

a) -- Les Etats-Unis, avant-garde de la décadence

b) -- Les Etats-Unis, colonie d'Israël

III -- Une autre voie était possible

a) -- Les précurseurs: de Joachim de Flore au cardinal de Cues.

b) -- Les occasions manquées: de Thomas More à Montaigne.

IV -- L'avenir a déjà commencé

Graines d'espoir:

-- Le réveil de l'Asie: la nouvelle route de la soie.

-- Le réveil de l'Amérique Latine: la civilisation des tropiques.

Bibliographie

 


HOME
English
Deutsch
Swedish