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Roger Garaudy
L'AVENIR: MODE D'EMPLOI

 La mutation rapide XXe siècle


Ce rappel de ce qui distingue l'homme de l'animal et le mythe du concept est une réflexion nécessaire, propédeutique, à toute tentative de comprendre ce qu'est l'éducation en lui donnant comme ligne directrice, indispensable à sa novation, le rôle primordial des interrogations sur la finalité et le sens d'une vie proprement humaine, et sur le rôle de l'art comme invitation à des anticipations créatrices.

* * *

La mutation exceptionnellement rapide du monde au XXe siècle est telle qu'un homme de mon âge (85 ans) est né au milieu de l'histoire humaine. Car il s'est produit en ce siècle plus d'innovations et de changements qu'au cours des six mille ans d'histoire écrite.

Pour ne retenir que les trois découvertes fondamentales qui ont créé les conditions de la Renaissance occidentale au XVIe siècle: la découverte de l'imprimerie avec caractères mobiles, (inventée non par Gutemberg mais par les chinois au 1er siècle de notre ère) qui permit de démocratiser la culture; la boussole, qui permit la navigation en haute mer et la liaison de tous les mondes; la poudre (inventée aussi par les chinois, comme le papier, l'imprimerie et la boussole, et introduites en Europe par les arabes) dont l'Europe fit l'instrument de sa domination mondiale, il est remarquable que le XXe siècle opéra une mutation radicale.

Le papier et l'imprimerie avaient jusque là permis à une élite de concevoir l'humanisme du XVIe siècle et la culture d'une minorité jusqu'au XIXe siècle (L'Encyclopédie de Diderot fut tirée à mille cinq cents exemplaires). A la fin de ce siècle un roman lauréat se tire à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, un disque à plusieurs millions, la télévision atteint des milliards d'auditeurs. La communication, que ce soit pour l'information ou la manipulation des esprits, est sans commune mesure en cette fin de siècle avec ce qu'elle fut à son début.

-- Il en est de même avec la circulation des hommes comme de la communication des idées: Jules César et Napoléon, à deux mille ans de distance, mettaient le même temps (celui des chevaux et des relais) pour aller de Rome à Paris.

L'aéroplane de Wright prit son premier vol en 1903 sur quelques centaines de mètres. En 1997 un avion peut faire le tour du monde sans escale en moins de deux jours. En 1997, une station orbitale réalise plusieurs rotations autour de la terre en quelques heures, et peut déposer un homme sur la lune.

-- Quant aux moyens de destruction, un canon de Waterloo ne portait guère plus loin que les projectiles enflammés de Byzance au VIIIe siècle. Il fallut dix jours à Tamerlan pour ériger à Ispahan une pyramide de dix mille crânes. En 1944 un bombardement aérien au phosphore détruit cent trente mille habitants de Dresde, une bombe atomique détruit en quelques secondes Hiroshima et, en cette fin de siècle, reste stocké l'équivalent de plusieurs millions de bombes ayant une plus grande efficacité.

* * *

Une telle mutation exige de repenser de manière radicale les problèmes de l'éducation, à la fois celui du contenu de l'enseignement, et des structures du système de formation.

Or, toutes les prétendues réformes de l'enseignement au XIXe et au XXe siècle, ont consisté en des rapiéçages avec des querelles interminables sur le dosage scolaire du classique (latin grec) et du moderne (mathématiques puis informatique) plus tard sur des problèmes de structure ou des exigences professionnelles des enseignants.

A aucun moment ne fut posé le problème fondamental: celui des finalités de la formation qui pourtant pouvait seule permettre d'en orienter à la fois le contenu et les structures. En ce domaine comme en tous les domaines de la vie sociale le déterminisme l'a emporté sur la transcendance.

Le déterminisme éducatif, depuis des siècles, a consisté à faire de l'éducation une méthode de reproduction de l'ordre établi. Au Moyen-Age l'éducation était fondée sur un régime de castes: pour la noblesse, la formation des chevaliers pour faire des guerriers et des chefs; pour l'Eglise préparer des clercs qui seraient prêtres, juristes, parfois hommes d'Etat. L'artisan formait des ouvriers, compagnons ou maîtres. Le paysan, enclos dans le cadre familial et local, était prédestiné à devenir un serf auquel le curé du village donnait le minimum d'instruction religieuse pour garantir sa résignation.

La Révolution française marque, certes, une césure. Il s'agissait d'abord d'organiser la relève des anciennes hiérarchies nobiliaires par les nouveaux clivages de l'argent nés du développement des industries.

Ainsi furent mises au premier plan, dans les rapports de Condorcet ou de Lakanal, la valeur éducative et l'importance sociale des sciences et des techniques, comme le montre, par exemple, la création des Ecoles centrales de l'An III.

Il s'agissait de préparer des cadres et les troupes du nouveau régime industriel en préparant l'enfant aux fonctions sociales et aux professions nouvelles, et, en essayant de substituer, comme un facteur de cohésion nationale une religion différente du catholicisme traditionnel. Le rapport présenté à la Convention partait de cette définition encyclopédique (conçue déjà par Diderot): "L'art de l'instruction consiste à présenter toutes les connaissances humaines dans un système général".

* * *

La civilisation occidentale, qui se prétend exclusive, se fonde, depuis la Renaissance, sur trois postulats dont les conséquences majeures ont été développées, pour l'essentiel, par la philosophie anglaise, la philosophie française, la philosophie allemande. (16)

En dépit de leur prétention à l'universalité, et à un détachement des contingences, chacune d'elles est historiquement liée à une expérience spécifique du développement de leur bourgeoisie nationale.

Ceux que l'on appelle les philosophes anglais sont tous liés au développement du libéralisme économique qui permit le développement colonial de la Compagnie des Indes dont la plupart d'entre eux -- et les plus importants -- furent des employés et les intellectuels organiques (selon l'expression de Gramsci).

L'école française, dont Descartes est le père spirituel, est étroitement liée au développement de la révolution industrielle dont le mécanisme cartésien est l'initiateur, les philosophes des lumières en étant les héritiers les plus rigoureux. La Révolution française, mettant les rapports politiques en harmonie avec les nouveaux pouvoirs économiques, le règne de la bourgeoisie, conquis et théorisé par la Révolution française, systématiquement structuré par Napoléon, remis en cause pour un temps par la Restauration, ne retrouve son aplomb qu'avec le positivisme d'Auguste Comte qui tient à stabiliser ce pouvoir contre toute résurgence de l'Ancien Régime et de la religion, mais aussi contre toute tentative de dépasser l'ordre établi.

Le courant positiviste demeura sous-jacent à la conception du monde de beaucoup de physiciens ou de biologistes, jusqu'au XXe siècle, par exemple avec Jacques Monod dans Le Hasard et la nécessité.

La vitesse croissante du développement de l'histoire et les problèmes radicalement nouveaux se posant, exigent une transformation radicale du mode d'éducation, de ses finalités et de ses structures.

Or l'éducation nationale est allé de replâtrage en replâtrage, de réformes en réformes, de Jules Ferry aux actuels ministres de l'éducation nationale.

Pantagruel ou Emile étaient souvent les héros de dissertations philosophiques ("Science sans conscience n'est que ruine de l'âme") mais aucune institution pédagogique n'a été conçue pour les recevoir; les disciples de Maître Alcofribas ou de Rousseau seraient, pour nos écoles, des cancres indésirables parce qu'ils s'obstineraient à poser les questions qui ne le sont jamais: celles des finalités de l'éducation.

Ce problème seul aurait pu donner un sens à la vie et une cohésion à la société par un grand objectif et un grand projet commun.

Au cours de ce XXe siècle un ersatz en fut cherché dans la laïcité.

Excellente en son principe, la séparation de l'Eglise et de l'Etat fut aussitôt confondue, non pas avec le respect de la foi ou de l'irréligion de chacun, mais avec l'exclusion de ce qui est l'essence même de la foi: les questions sur les fins dernières de la vie personnelle et sociale.

C'est ainsi que cette étrange religion républicaine ne contribua pas à créer le consensus mais au contraire la discorde, qu'il s'agisse de l'opposition de l'école libre (c'est à dire, en général, confessionnelle et, plus précisément, catholique) jusqu'aux querelles racistes du foulard de quelques jeunes filles musulmanes en laquelle le laïcisme (pas la laïcité) prétendait voir une offensive de propagande islamiste (et non islamique), alors qu'un tel tollé n'avait pas été soulevé contre le port ostensible des croix chrétiennes ou des kipas juives. Dans cette escarmouche grotesque contre quarante-deux jeunes filles dont le foulard menaçait la République ! (beaucoup d'enseignants naïfs -- y compris les associations corporatives, se laissèrent entraîner comme un taureau devant la cape rouge, sans voir que le racisme prenait le masque de défense de la laïcité.)

Plus durable et plus profonde la querelle de l'école confessionnelle et de l'école laïque.

L'on peut comprendre les motivations des défenseurs de l'école confessionnelle (dite école libre) devant la carence de l'école publique, excluant l'essentiel de la formation d'un homme, c'est à dire la recherche du sens de sa vie par l'exclusion de tous les textes posant ce problème dans toutes les mystiques et toutes les sagesses, des prophètes d'Israël aux Pères de l'Eglise, des soufis musulmans aux richi de l'Inde. Cette école laisse les hommes sans repères, livrés à un scientisme d'ordinanthrope croyant trouver dans une machine, merveilleuse fournisseuse de moyens, un instrument de découverte des fins. Il était assuré qu'une autre école allait exiger de combler ce gouffre dans un monde fonctionnant non seulement sans Dieu mais sans homme. Un monde du non-sens.

L'intention de donner à l'enfant, perdu entre ce ciel vide et cette terre en désordre, des repères et des fins, était évidemment précieuse.

Cela eut été possible si avait été maintenue l'orientation du prophétique pape Jean XXIII et du concile de Vatican II proclamant que l'Eglise, dans la voie ouverte par Jésus, n'avait pas pour tâche de diriger le monde mais de le servir. Cette merveilleuse rencontre avec le monde pouvait aider à en réduire la cassure.

Mais, peu après, l'Eglise catholique connut une nouvelle glaciation par la restauration d'une monarchie ecclésiale dont l'expression la plus claire s'inscrivit (après la condamnation des théologies de la libération qui traduisent en actes les intentions de Vatican II et surtout de la Constitution Gaudium et spes), dans le catéchisme de 1992 qui nous ramenait au Concile de Trente de 1545.

Un curé intégriste proclamant, au fronton de son Eglise: "Ici tu trouveras la réponse", un enfant écrivit à la craie sur la porte: "Mais où est la question?"

Ainsi était posée, par le plus humble, le problème fondamental: la foi est-elle de l'ordre d'une question ou bien d'une réponse?

Tel est le fonds humain (d'autres diront divin, mais je crois -- au langage près, qu'il n'est pas d'homme sans Dieu ni de Dieu sans l'homme, comme nous essayerons de le suggérer plus loin) du problème de la laïcité. Problème mal posé et donc insoluble lorsque la laïcité est confondue avec un athéisme d'Etat (comme il y eut des religions d'Etat), et que la foi est confondue avec l'obéissance à l'Eglise (une Eglise que sa hiérarchie considère comme la cité parfaite, le monde entier étant dès lors condamné à lui obéir).

Entre deux intégrismes symétriques aucun dialogue n'est possible. Il n'aboutirait qu'à un compromis entre deux idéaux pervertis.

Le problème fondamental de l'éducation ne peut se poser qu'au delà de ces fausses antithèses.

Nous n'en évoquerons que trois moments: l'initiation à la lecture, à l'histoire, et à la philosophie, car tout, dans notre système éducatif actuel, est à rebâtir à partir du commencement, des fondements. Et d'abord de l'initiation à la lecture.

* * *

Une enquête de l'OCDE révèle qu'un quart de la population adulte du monde développé a de sérieuses difficultés de lecture et d'écriture.

Des millions d'adultes naviguent à la frontière de l'illettrisme dans les pays développés. A peu prés 10% d'une classe d'âge en France -- selon une récente enquête de l'Insee réalisée auprès des jeunes appelés -- ont de grandes difficultés de lecture. Au total, trois millions trois cent mille personnes sont concernées par l'illettrisme en France (soit 9% de la population adulte). Mais les résultats dans d'autres pays européens sont à peu près semblables. En Allemagne, le chiffre de trois millions de personnes est avancé dès lors qu'on entend par illettrisme "une incapacité à lire et écrire, en le comprenant, un exposé simple et bref de faits en rapport avec sa vie quotidienne". (définition de l'UNESCO)

En Angleterre, selon une enquête rendue publique par l'Office National des statistiques (ONS), un adulte sur cinq, soit 8,4 millions de Britanniques, ont un niveau d'alphabétisation très insuffisant. Parmi les 16-65 ans, 22% sont incapables de comparer deux informations écrites, de lire un journal, de comprendre un horaire ou de remplir un formulaire.

Comme en tous les aspects de la décadence, les Etats-Unis détiennent, dans les pays dits développés, le record de l'illettrisme.

En dehors des universités de haut niveau, où l'entretien d'un étudiant coûte à sa famille entre vingt mille et trente mille dollars par an pour la seule scolarité, en ce qui concerne les masses "le système d'éducation américain tombe en ruine", conclut le rapport des spécialistes de l'Université de Columbia (The global economy, 1990.) 40% des jeunes américains qui entrent dans les collèges (correspondant à l'enseignement secondaire français) reconnaissent qu'ils ne savent pas lire correctement, vingt-trois millions d'adultes (aux environ de 10% de la population) sont illettrés.

La décadence d'une société régie par les seules lois aveugles du marché génère nécessairement, par l'absence de tout repère et de toute signification, à la fois le désarroi des enseignants, le désintérêt de l'institution scolaire par une grande partie de la jeunesse, la violence aveugle dans un régime social fondé sur la lutte concurrentielle de tous contre tous, l'absence du sentiment d'appartenance à une communauté chez des millions de chômeurs et exclus qui ont à la fois le sentiment de leur inutilité dans la société, de l'absence de perspective d'avenir, et de sens d'une telle société.

Le degré de décadence actuellement atteint non seulement par le système éducatif actuel, mais par la société qu'il reflète, exige donc autre chose qu'une réforme, c'est à dire une adaptation aux nécessités nouvelles, puisque cette société ne correspond précisément à aucune nécessité humaine, mais une mutation radicale. Il appelle à une réflexion fondamentale sur les finalités de l'éducation et une inversion totale des données du problème. L'idée de base, au degré de désintégration sociale aujourd'hui atteint par nos sociétés de marché, c'est que l'éducation ne peut plus avoir pour objet d'adapter l'homme au désordre établi, mais, au contraire de ce déterminisme, traditionnel depuis des siècles, de donner à l'homme les moyens de le transcender, d'inventer une conception nouvelle de l'homme, de la société, du monde. L'éducation ne peut plus être reflet, mais projet,

Nous retiendrons seulement trois exemples de cette nécessaire mutation pédagogique: la lecture, l'histoire, la philosophie.

* * *

Tout commence avec la lecture, par laquelle déjà est engagée toute une conception de la culture.

Là encore, si l'histoire écrite de l'humanité date d'environ six mille ans il est indispensable d'abord de comprendre quelle mutation profonde la découverte de l'écriture a entraînée dans ce passage d'une préhistoire à une histoire écrite où l'homme utilise la parole et le signe, non pour signaliser par un son un péril qui menace le groupe, comme le font les animaux par un cri pour donner le signal du combat, de la fuite ou de l'envol, mais pour créer son propre avenir.

Désormais les hommes feront leur propre histoire: la parole écrite est un outil pour transformer le milieu et la communauté, pour transmettre le savoir agissant, et pour préparer de nouvelles mutations.

De l'apprentissage de la lecture, nous ne définirons que les grands traits car l'oeuvre de Paolo Freire (17) nous donne les méthodes essentielles pour réaliser ce grand dessein: l'éducation pratique de la liberté, pour lequel l'apprentissage de la lecture est la prise de conscience du réel (conscientisation).

Apprendre à lire ce n'est pas seulement mémoriser et épeler des mots, c'est apprendre à déchiffrer la réalité en sachant ce que les mots en révèlent ou, au contraire, en dissimulent.

Les écoliers illettrés à l'âge d'entrer au lycée ne sont pas illettrés seulement parce qu'ils ne savent ni comprendre ni résumer le texte dont ils peuvent pourtant déchiffrer tous les mots, mais parce que, même s'ils savent faire cela, ils sont incapables de décoder ces mots traditionnels, les pièges et les contradictions qu'ils recèlent.

Savoir lire, ce n'est pas traduire oralement les signes écrits dans un journal ou un livre, c'est savoir lire la réalité, décoder les mots-pièges, visionner le monde et ses cassures pour le transformer.

Paolo Freire n'accepte pas la distinction première entre enseignants et enseignés. L'éducation est d'abord un dialogue, et dans ses cercles de culture, l'animateur (pas nécessairement spécialisé) a pour première tâche d'écouter, d'apprendre ce que sont les préoccupations et les besoins de ceux avec qui il va engager le dialogue éducatif.

Son premier travail de pédagogue est d'écouter, de découvrir, avec les groupes dans lesquels ils s'insérait, les "mots clés" qu'il s'agissait de "décoder" ensemble en ne séparant jamais le mot de ce qu'il représente (par exemple par la projection de diapos où le mot était suivi de ce qu'il désignait) et en engageant le dialogue sur ce que chacun mettait sous le mot et sous l'image, d'après son expérience vécue. (18)

L'apprentissage de la lecture ne peut être celui de la mémorisation des signes mais la prise de conscience de ce qu'ils signifient. C'est à dire de la réalité qu'ils visent, des problèmes, des contradictions, du mouvement qui l'anime.

L'image, ou plutôt la multiplication des images et de leurs contrastes, permet cette prise de conscience. Elle ne joue pas un simple rôle d'illustration -- comme lorsque un abécédaire dessine un chat à côté du mot, mais un rôle d'éveil à la réflexion.

Si j'étudie le mot vêtement ce n'est pas seulement pour lire la définition du dictionnaire: "tout ce qui sert à couvrir le corps", mais pour réfléchir, par le choc des images, sur la réalité sociale et humaine à laquelle nous renvoie le mot: en dessin ou en diapos, il y a le pantalon trop vaste d'un frère aîné, avec ses rapiéçages et la ceinture de ficelle qui l'empêche de glisser vers le sol, et peut être, à côté, un défilé de haute couture ou les mondanités de Jours de France. Autre manière de couvrir le corps.

Si j'écris au tableau: logement, que le petit Larousse définit: "Lieu où l'on demeure habituellement", l'image du clochard, dormant sur la bouche d'aération du métro pour se protéger du froid, avec quelques journaux sur son corps pour retenir la chaleur, est le lieu où il "demeure habituellement", comme le bidonville pour l'exclus, ou l'H.L.M. délabrée ou un salon dans une villa de Neuilly, où un autre "demeure habituellement".

Il s'agit d'autre chose que d'une définition: d'une prise de conscience et de l'action qu'elle fait germer.

Nous sortons de l'abstraction verbale pour préparer un enfant à être un homme, c'est à dire un bâtisseur d'avenir.

Sinon, il reste, même sachant ânonner des signes, et répéter les abstractions du dictionnaire, illettré, c'est à dire, incapable de déchiffrer la vie et son sens.

Il sera prêt alors à gober tous les mots feutrés d'abstraction:

L'enfant ainsi formé lira sans sursauter l'article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 sur l'égalité des droits. Cette égalité devant la loi lui paraîtra même évidente: il est également interdit à un chômeur ou à un millionnaire de voler un pain, comme il est permis, à l'un comme à l'autre, de se faire construire une résidence secondaire à Cannes ou à Mégève.

Irréprochable égalité devant la loi, fondement de toute démocratie.

A tous les niveaux de l'apprentissage, de la lecture à l'enseignement de la philosophie ou de l'ENA, la fonction première du système éducatif est d'intégrer l'individu au désordre établi avec sa polarisation de l'avoir et du pouvoir d'un côté, et, de l'autre, l'acceptation résignée du "c'est ainsi. Il faut s'y adapter."

Tel est le secret majeur de la pensée unique, c'est-à-dire de la non- pensée, de la soumission à l'être, que le Larousse encore le définit dans sa parfaite nudité: "Tout ce qui est!".

Apprendre à lire n'est alors plus seulement apprendre à lire des mots et des phrases, mais à lire le monde réel avec ses contradictions et son exigence de le changer.

C'est ici le contraire exact de ce que Paolo Freire appelait l'alphabétisation bancaire consistant à mémoriser et à accumuler des signes que l'enseignement à pour charge d'emmagasiner chez l'enseigné sans se préoccuper de ses besoins propres.

C'est dés le départ donner une notion perverse de la culture et de l'organisation sociale duelle.

L'éducation doit donner à tous le moyen de penser des réalités et de réaliser ses pensées.

Alors que tout, dans le système scolaire actuel, plonge l'enfant dans un monde irréel, lui inculquant une idéologie de justification des pouvoirs.

* * *

A commencer par l'histoire, dont Paul Valéry disait, en des pages prophétiques de ses Regards sur le monde actuel, comparant les divers manuels scolaires de l'Europe:

"... L'Europe aspire visiblement à être gouvernée par une commission américaine. Toute sa politique s'y dirige..." (éd. Pléïade. p. 930).(Ceci était écrit en 1938, dix ans avant le plan Marshall et plus d'un demi siècle avant Maastricht.

Quelques pages plus loin, il résumait (p. 955):

"L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie ait élaboré... Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs... les conduit aux délires des grandeurs ou à celui de la persécution... L'histoire justifie ce qu'elle veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout... Dans l'état actuel du monde (l'on était en 1938, un an avant la deuxième guerre mondiale, la première ne nous ayant en effet rien appris) le danger de se laisser séduire à l'histoire est plus grand que jamais il ne fut."

Vingt ans plus tard Kenneth Boulding dira plus brutalement: "Une nation est la création de ses historiens." (Journal of Conflict Resolution III, 1959 p. 122) tant l'expérience de la deuxième guerre avait vérifié le terrible verdict de Valéry.

Un spécialiste en la matière, Henri Pirenne, écrivait déjà, en 1923, que "les historiens se comportent avec la nation, comme les architectes à l'égard de leurs clients: ils fabriquent une histoire habitable." (De la méthode comparative en histoire).

Ne retenons que deux exemples de cet occidentalo-centrisme niant l'existence ou du moins la valeur de l'autre et de sa culture. D'abord en ce qui concerne le rôle de l'histoire scolaire dans la création de mythes fondateurs de la cohésion nationale, ensuite le mépris colonialiste et post-colonialiste des valeurs de l'autre dont nous n'aurions rien à apprendre par un dialogue des cultures.

a -- La mystification de l'idée de nation.

D'abord la mystification de l'idée même de nation. Telle que, par exemple, celle d'une France éternelle, anachroniquement et rétrospectivement reconstruite en projetant l'actuel hexagone dans le passé, et la dotant, avant même l'existence d'un peuple français, des attributs d'une personnalité agissante en fonction d'un but, quelle que soit d'ailleurs l'origine mythique assignée à cet acteur.

Notre pays a toujours existé ou préexisté à sa réalité actuelle. L'histoire de France de Lavisse, comme autrefois celle de Michelet, ont servi de moule à la fabrication du mythe, et, malgré l'immense progrès de l'école des Annales, le moule n'est pas entièrement brisé.

"Il y a deux mille ans la France s'appelait la Gaule... Dans la suite, la Gaule changea de nom. Elle s'appela la France." Peu importe si le rassemblement des terres qui constituent aujourd'hui la France, fut l'oeuvre d'une série de guerres, de conquêtes, de massacres des hommes et des cultures.

Cette déité fantasmatique a tous les caractères d'un personnage poursuivant: un but bien déterminé: la réalisation de l'ordre présent.

Le point de départ est hasardeux et dépend du pouvoir du moment.

De toute façon la France est éternelle: elle descend de Dieu.

Pendant des siècles ses rois, de droit divin par leurs ancêtres bibliques, incarnèrent à eux seuls la France et ses ambitions conquérantes. A en croire Jean Lemaire de Belge vers 1510 dans son livre Illustrations de Gaule et singularités de Troie, les rois de France sont descendants de Samothes, quatrième fils de Japhet, lui-même fils de Noé. En un mot la France remonte à Adam lui-même, sinon à Dieu. Mais à cela s'ajoute un riche héritage gréco-romain: un membre de cette famille royale proscrit s'est enfui en Asie, a fondé Troie, apportant la civilisation gauloise à la Grèce et à Rome.

Dans les Grandes chroniques de France, écrites à la fin du XIIIe siècle, à l'abbaye de Saint-Denis, le premier roi de France était Pharamond (qui figure encore dans une réédition de 1838 de l'histoire de France de Ragois.)

Dans sa Franciade, dédiée au roi très chrétien Charles IX, Ronsard, reprend cette mythologie de l'origine troyenne de la monarchie française avec ses fondateurs légendaires: Francion, Pharamon, etc. Cette mythologie a ses variantes; par exemple l'opposition d'une plèbe issue des Gallo-Romains, et d'une aristocratie franque (c'est-à-dire d'origine germanique) dont le débat ne sera tranché qu'avec la Révolution française, mettant fin à cette querelle en remplaçant les privilèges du sang par ceux de l'argent.

Ce rappel de la mythologie nationale n'est pas une diversion car la conception mythologique des histoires nationales continue à opérer des ravages dans les esprits et dans les corps des peuples.

La France, même après les massacres des juifs, des chrétiens de Byzance, ou des musulmans de Jérusalem, même après l'extermination des cathares, après que le pieux roi Saint Louis fit porter aux juifs la rouelle (morceau d'étoffe jaune en forme de roue -- pas encore d'étoile). La France où sévirent la Saint-Barthélémy, les dragonnades de Louis XIV, la férocité de la répression vendéenne sous la Révolution, les tueries européennes de Napoléon (qui n'en reste pas moins un héros national alors qu'il a laissé la France plus petite qu'il ne l'avait trouvée), lorsqu'elle construit un empire colonial à coups de massacres et sans parler de la participation à la guerre de l'opium en Chine, ou du négoce des esclaves noirs sur tous nos ports de l'Atlantique, reste le soldat de Dieu et du Droit.

Ce glorieux passé est la justification officielle du racisme colonialiste telle qu'en fit la théorie, à l'Assemblée nationale, Jules Ferry, (J.O. du 28 juillet 1885:

"Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures."

Cette France reste éternellement le soldat de Dieu ou du Droit, suivant qu'il s'agit de fêter le baptême de Clovis en 1996 ou de célébrer, sur le mode de l'odieux et du grotesque, le deuxième centenaire de la Révolution française, en n'en retenant qu'une déclaration de papier qui excluait du droit de vote les trois-quarts des français.

Cette mythologie de la nation n'est d'ailleurs pas une spécialité française, qu'il s'agisse, pour l'impérialisme anglais massacreur de l'Inde, magnifié par Rudyard Kipling comme fardeau de l'homme blanc, de la sauvagerie nazie au nom de la supériorité aryenne, des spoliations, des expulsions, et des répressions féroces de l'Etat d'Israël au nom de la promesse tribale d'un Dieu.

Au nom du destin manifeste des Etats- Unis, dont les premiers envahisseurs puritains d'Angleterre assimilaient les Indiens aux Amalécites de Josué justifiant le vol des terres aux Indiens, leur refoulement ou leurs massacres.

L'on peu contempler encore, en bordure des ruines du Forum de Rome, les cartes de l'Empire romain par lesquelles Mussolini, qui prétendait en être l'héritier, justifiait ses carnages africains jusqu'en Ethiopie.

L'utilisation de l'entité abstraite d'une France éternelle préexistant à son peuple et à son histoire, qu'il s'agisse de Clovis, de Jeanne d'Arc ou de la Fête de la Fédération présidée par Lafayette, peut justifier tous les crimes jusqu'au moment où renonçant à la mythologie en faveur de l'histoire, on reconnaisse en la France de 1998, une création continue faite du mélange de vingt races et dont la culture s'est enrichie de l'apport de chacune, qu'il s'agisse, par exemple, des troubadours d'Occitanie inspirés, comme le notait Stendhal, des conceptions de l'amour et de la poésie des poètes arabes de l'Andalous, de l'Espagne voisine, du cycle breton des épopées du roi Arthur, des cultures méditerranéennes des grecs et des romains, ou des influences germaniques, de la musique à la philosophie, par les marches de l'Est qui ont bouleversé et enrichi la culture française.

Cette critique historique mettant fin aux entités métaphysiques de la mythologie, a une importance capitale pour résoudre aujourd'hui les fausses querelles sur la citoyenneté et sur l'immigration.

Fausse querelle, celle de la citoyenneté, fondée sur le droit du sol ou le droit du sang, comme si l'appartenance à une communauté dépendait de facteurs extérieurs à l'homme et à sa sensibilité: être né en un lieu déterminé ne dépend aucunement de moi et ne saurait donc être une raison de fierté ou d'humiliation.

Quant au droit du sang il repose sur un autre facteur indépendant de ma volonté: comme, pour un animal, d'être éléphant ou grenouille.

Le seul lien, proprement humain, d'une communauté proprement humaine, c'est la participation à un projet commun et la contribution à la réalisation de ce projet, patrimoine commun de l'humanité considérée comme un tout. Chaque peuple, par sa culture originale, participe à l'humanisation de l'homme, à sa véritable croissance et développement en humanité.

Il en est de même du problème de l'immigration qui ne peut être, selon les règles génératrices d'inégalités croissantes du monothéisme du marché, une question d'exclusion de concurrents sur le marché du travail et du marché tout court, mais une question de dialogue où chacun prend part, pour élargir la vision de l'homme et du projet humain de chacun (par exemple, échange et partage du sens de la communauté des uns et du sens de la personne de l'autre, dans une lutte commune contre un individualisme de jungle ou un totalitarisme de termitière.)

De même, échange et partage pour échapper à la fois à une conception dogmatique de la religion prétendant régenter la société entière, et d'un laïcisme excluant la recherche des fins dernières, afin de lutter ensemble pour l'unité de la foi et pour la fécondation réciproque des cultures et des institutions dans lesquelles cette foi est vécue.

La place de l'histoire dans l'éducation doit donc être radicalement transformée.

Il ne peut plus s'agir de la transmission, par les manuels scolaires, se succédant et se recopiant les uns les autres à partir de deux ou trois modèles variant dans leur présentation mais obéissant tous à la même logique, d'une pensée-unique, des mythes sur l'origine ou la genèse historique de la nation formant des citoyens à la pensée-unique du politiquement correct. Ces mythes sont de plus en plus nocifs, au fur et à mesure qu'on approche de la situation contemporaine, depuis les tabous de la Première guerre mondiale où les soldats du droit réalisaient une union sacrée contre les ennemis héréditaires.

Après la deuxième guerre mondiale, et le tribunal de Nuremberg, où était interdite toute évocation des causes génératrices du monstre nazi (depuis le traité de Versailles rendant son ascension possible, jusqu'en 1933 où il devint, le plus démocratiquement du monde, le tyran de son peuple), avec le soutien du monde capitaliste tout entier qui, à partir de 1933, voyait en lui le meilleur "rempart contre le bolchevisme". Il fut salué comme tel par Churchill, comme par les chefs de l'Eglise allemande, (et, à leur suite, de toutes les églises qui appelaient, après sa victoire, à la collaboration des peuples. En France comme en Allemagne, en Italie, en Espagne et dans toute l'Europe.)

Après sa défaite l'histoire fut rendue plus incompréhensible encore en attribuant (par un culte de la personnalité à l'envers) tous les malheurs du monde au délire obsessionnel raciste d'un Hitler fou, ce qui était le fruit d'une longue gestation: depuis les traités de Versailles, puis les fournitures d'argent et d'acier par tous les banquiers du monde, de l'Angleterre, de la France, des Etats-Unis, puis les concessions politiques (dont Munich est le symbole et les accords germano- soviétiques, conséquence défensive contre ceux qui voulaient l'orienter vers l'Est), jusqu'aux collaborateurs sionistes (alliés naturels d'Hitler contre les Allemands de confession juive: les premiers voulaient aider, par la création d'un Etat d'Israël puissant, à "vider l'Europe de ses juifs" (Judenrein), ce qui était le rêve d'Hitler, alors que l'Association des allemands de religion juive voulaient rester en Allemagne, demandant seulement le respect de leur religion et de leur culture. C'est contre eux (95% de la communauté juive contre 5% de sionistes) que s'acharnèrent les nazis.

Dès lors l'histoire mettait en oeuvre de nouveaux tabous: la collaboration des sionistes par les accords bancaires de la Haavara pour lesquels, en échange du départ de quelques millionnaires juifs et de leur fortune, ils promettaient de lutter contre le blocus de l'Allemagne nazie; les propositions de coopération militaire des groupes armés de la bande Stern et d'Itzac Shamir, avec l'armée hitlérienne, en raison de leur communauté de vue; l'échange abject proposé par Hitler et accepté par les dirigeants sionistes en 1944, d'un million de juifs contre dix mille camions (à condition qu'ils ne servent que sur le front de l'Est). Hitler et les alliés ne rêvaient que d'une paix séparée par l'entremise des sionistes. (Voir Yehuda Bauer, Juifs à vendre (Ed. Liana Levi. 1996. pp. 87, 227 et 80 et 88)

Sur ce chapitre de la falsification délibérée de l'histoire contemporaine (depuis la chute d'Hitler) la conclusion fut formulée explicitement en 1990, par une loi scélérate, dite loi Gayssot, qui, en complicité avec le président de l'Assemblée, Laurent Fabius, légalisa la répression de toute histoire critique des crimes hitlériens en imposant, comme un tabou, toute critique des décisions du Tribunal de Nuremberg dont le président même, le juge américain Jackson, reconnaissait qu'il était le "dernier acte de la guerre" et qu'il n'était donc pas tenu "aux règles juridiques des tribunaux ordinaires en matière de preuves."

b -- Le colonialisme culturel

A l'époque du colonialisme européen il est significatif que l'histoire est celle de la conquête légitime de nouveaux territoires pour apporter la Civilisation aux barbares.

Toute invasion ou agression coloniale est alors légitimée au nom de la civilisation, et la résistance des peuples colonisés, spoliés et massacrés, est invariablement appelée terrorisme.

L'histoire scolaire, c'est à dire, essentiellement celle de l'Occident, ne peut avoir, évidemment, que deux sources, comme l'Occident lui-même: judéo-chrétienne et gréco-romaine.

En 1975, Preisswerk et Merrot, étudiant trente manuels scolaires les plus utilisés (trois allemands, six anglais, onze français, deux portugais, huit russes) se bornaient à un seul problème: celui de la déformation nationaliste des manuels d'histoire et son colonialisme intellectuel faisant de l'histoire "une histoire de l'Occident avec des annexes concernant d'autres peuples" (Ethnocentrisme et histoire. (1975) Ed. Anthropos). La perspective ethnocentrique prenant pour critère du progrès, de la modernité, le seul pouvoir technique sur la nature et les hommes, permet d'établir un palmarès où l'Europe arrive en tête, non seulement avec le droit mais le devoir d'élever les Primitifs à son niveau de perfection. Même lorsqu'un manuel dit: "A leur arrivée dans le pays, les Européens y trouvèrent une brillante civilisation", ils ne trouvent brillant que ce qui répond à leurs propres critères.

L'on est loin, ici, de l'admirable humilité scientifique, ou plus simplement, de l'objectivité et de l'universalité dont Lévi-Strauss donne l'exemple dans Race et histoire: "L'Antiquité confondait tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le nom de barbare; la civilisation occidentale a utilisé le terme de "sauvage" dans le même sens; ... sauvage, qui veut dire "de la forêt" évoque un genre de vie animale, par opposition à la 'culture." (p. 20)

L'invasion de l'Algérie et les déclarations du maréchal Bugeaud en sont un exemple typique.

Le 14 mai 1840, Bugeaud annonçait à la chambre des députés: "Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths."

Devenu gouverneur de l'Algérie, en application de ce principe, il adresse aux chefs de la résistance algérienne cette sommation:

"Soumettez-vous à la France .... Dans le cas contraire j'entrerai dans vos montagnes , je brûlerai vos villages et vos maisons, je couperai vos arbres fruitiers, et, alors, ne vous en prenez qu'à vous seuls, je serai, devant Dieu, parfaitement innocent de ces désastres." (Moniteur Algérien , J.O. , 14 avril 1844)

Programme de vandalisme et de meurtre réalisé, de point en point, par ses subordonnés tels que le futur Maréchal de Saint-Arnaud: "On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres" (Saint-Arnaud: Lettres du Maréchal de Saint-Arnaud, à toutes les pages du recueil).

Les Lettres d'un soldat du colonel de Montagnac nous apprennent, de la région de Mascara: "Nous poursuivons l'ennemi, nous lui enlevons femmes, enfants, bestiaux, blé, orge". Et il ajoute: "Le Général Bedeau, autre perruquier de première qualité, châtie une tribu des bords du Chélif,... leur enlève de force femmes, enfants et bestiaux". Le comte d'Herisson, dans La chasse à l'homme (p. 133-347-349) nous décrit les opérations de la colonne à laquelle il était attaché: "Les oreilles indigènes valurent longtemps dix francs la paire, et leurs femmes demeurèrent un gibier parfait."

Tous ces textes et bien d'autres, montrant que les bâtisseurs d'Empires procédèrent par crimes de guerre et crimes contre l'humanité, ne figurent dans aucun manuel scolaire où l'on préfère apprendre aux enfants les couplets attendrissants sur la casquette du père Bugeaud (19).

Il ne s'agit pas d'exhumer des souvenirs cadavériques: ces mythes sanglants continuent d'exercer une influence déterminante sur les comportements actuels, façonnés par ces mensonges historiques.

Lorsqu'une junte militaire interrompt, en Algérie, des élections qui lui étaient défavorables, nos bons démocrates civilisateurs qui réclamaient des élections libres , acceptent aussitôt la dictature militaire et le chaos sanglant qu'elle devait inéluctablement entraîner en excluant de la vie publique la majorité de la population.

Les informations répandues par les médias pour manipuler l'opinion publique véhiculent les fantasmes de ceux pour qui les Croisades et la guerre d'Algérie ne sont pas terminées.

Car nombreux sont ceux qui confondent la défense de la mémoire avec un bréviaire de la haine, ruminant des vengeances de mille ans.

Le général Gouraud, proclamait en 1918: " Saladin, nous sommes revenus". Revenant, en effet, au Liban, il en organisait une partition religieuse et ethnique qui y créait, pour un siècle, le chaos.

Le général anglais Allenby, disait, en 1948, devant le tombeau de Saladin: " Les Croisades ont pris fin aujourd'hui"; et il organisait en Palestine les conditions d'un régime d'apartheid enfermant les autochtones dans des bantoustans faisant ainsi renaître les haines et les guerres auxquelles Saladin, en 1187, mit fin pour des siècles en rouvrant à Jérusalem, où il entrait en vainqueur, les synagogues des Juifs et les églises des Chrétiens.

Aujourd'hui encore, en ce qui concerne le drame algérien, tous les clichés d'une mythologie historique millénaire refont surface dans toutes les versions, de droite ou de gauche, des tueries qui évoquent, en modèle réduit, les massacres du colonialisme: les uns mettant l'accent sur la responsabilité de l'intégrisme sauvage des islamistes, les autres sur le despotisme oriental des gens au pouvoir, comme, pour le Rwanda, on invoque des querelles tribales d'ethnies arriérées, au lieu de rappeler que les dirigeants français (comme, en un pays voisin, les anglais) n'ont cessé de financer, d'armer et de dresser les tortionnaires à leur solde, ou de corrompre leurs complices voisins, à la Mobutu, pour en sauver les restes.

* * *

Deux exemples expriment la prétention caricaturale de l'ethnocentrisme occidental: le récit officiel des batailles de Marathon et de Poitiers comme manifestations exemplaires de la victoire de l'Occident contre les barbaries de l'Orient.

* * *

Pour démystifier Marathon il suffirait pourtant de ne pas se contenter de répéter la version d'Hérodote contre laquelle Plutarque nous met en garde, en rappelant qu'elle avait pour but "de flatter les Athéniens pour en avoir une grande semence de deniers.

Thucydide ramenait l'événement à sa vraie grandeur en ne lui consacrant que deux lignes dans sa Guerre du Péloponnèse. Ce qui n'empêche pas, en 1968, l'un des meilleurs spécialistes de l'hellénisme à la Sorbonne, François Chamoux, d'écrire dans son livre sur La civilisation grecque (p.100) qu'il s'agissait là d'une victoire décisive de l'Occident contre l'Orient: "Les Grecs, écrit-il, ne combattaient pas seulement pour eux-mêmes mais pour une conception du monde qui devait devenir plus tard le bien commun de l'Occident."

Un autre éminent spécialiste, le professeur Robert Cohen, écrit dans son livre: La Grèce et l'hellénisation du monde antique, à propos des expéditions d'Alexandre: "L'histoire de la Grèce, se confond, pour toujours, avec celle de l'Univers." (p. 396.)

A l'époque d'Alexandre existaient déjà depuis longtemps, les Hymnes védiques, les Upanishads et le Bouddha, la Chine de Lao-Tseu et de Confucius, et bien d'autres peuples qui ignoraient l'existence d'Alexandre et de sa légende. Mais l'optique de l'Occident limite le monde à son propre horizon.

Ce qui fait oublier, en nous, deux réalités historiques essentielles:

1/ -- que cette escarmouche était si peu décisive, qu'un siècle après Marathon, en 386, un simple gouverneur perse d'Ionie, Tiribaze, dictait, au nom du grand roi, ses volontés, aux délégués d'Athènes, de Sparte de Corinthe, d'Argos et de Thèbes. Xénophon, dans ses Helléniques (Livre V, chap. 1), nous apprend que "les Grecs se pressèrent à son invitation". Le diktat du roi des Perses, Artaxercès, disant: "il est juste que les villes d'Asie soient à lui, ceux qui n'accepteront pas cette paix je leur ferai la guerre sur terre et sur mer." Les envoyés rapportèrent ces conditions à leurs états respectifs. Tous jurèrent de les ratifier.

Isocrate commente: "Maintenant c'est lui (le Barbare) qui règle les affaires des Grecs ... ne l'appelons-nous pas le Grand Roi comme si nous étions ses captifs." (Panégyrique p. 120- 121.)

* * *

A l'autre extrémité de l'Occident l'on trouve le pendant du complexe de Marathon avec celui de la bataille de Poitiers présentée comme un déferlement de la barbarie asiatique sur l'Occident.

Dans l'histoire de France dirigée par Ernest Lavisse, au chapitre des Carolingiens, on parle de Poitiers comme ailleurs de Marathon: "La bataille de Poitiers est une date mémorable de notre histoire... Un chroniqueur nomme les soldats francs, les Européens, et, en effet, en ce jour où il fut décidé que la Gaule ne deviendrait pas sarrasine comme l'Espagne, c'est bien l'Europe que les Francs défendirent contre les Asiaiques et les Africains."

Défaite si peu décisive que, deux ans après, en 734, ce que Lévi-Provençal appelle les raids ou les incursions (qui n'ont rien à voir avec une invasion massive du type de celle des Huns, trois siècles avant) atteignent Valence sur le Rhône et tiennent solidement Narbonne.

Là encore ce ne sont pas des historiens "professionnels" qui ont détruit cette autre version du mythe de l'opposition manichéenne de la civilisation occidentale contre les barbares.

Dans la Vie en fleur, Anatole France écrit: "M. Dubois demanda à mme Nozière quel était le jour le plus funeste de l'Histoire de France. Mme Nozière ne le savait pas. "C'est, lui dit mM. Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque."

Je garderai toujours en mémoire cette citation qui m'a fait expulser de Tunis en 1945 pour propagande antifrançaise! Il était interdit d'affirmer que la civilisation arabe dominait largement, jusqu'au XIVe siècle, la civilisation européenne!

L'écrivain Blasco Ibanez explique, dans A l'ombre de la cathédrale, que "la régénération de l'Espagne n'est pas venue du Nord, avec les hordes barbares, mais du Midi avec les Arabes conquérants." Parlant de la civilisation arabe, il écrit: "A peine née, elle a su assimiler le meilleur du judaïsme et de la science byzantine. Elle a apporté avec elle la grande tradition hindoue, les reliques de la Perse et beaucoup de choses empruntées à la Chine mystérieuse. C'était l'Orient pénétrant en Europe comme les Darius et les Xerxès, non par la Grèce qui les repoussait afin de sauver sa liberté, mais par l'autre extrémité, par l'Espagne, qui, esclave de rois théologiens et d'évêques belliqueux, recevait à bras ouverts ses envahisseurs." Blasco Ibanez ajoute encore: "En deux années, les Arabes s'emparèrent de ce que l'on mit sept siècles à leur reprendre. Ce n'était pas une invasion qui s'imposait par les armes, c'était une société nouvelle qui poussait de tous côtés ses vigoureuses racines."

Déjà Lévi-Provençal, dans son Histoire de l'Espagne musulmane avait réduit l'événement militaire à sa juste dimension: il lui consacre une vingtaine de lignes dans un ouvrage de plusieurs tomes.

Mais il fallut attendre le dernier tiers du XXe siècle pour qu'un "amateur" espagnol, Ignacio Olaguë, se livrant à une analyse minutieuse des sources, montre que le texte le plus proche des événements et le plus exploité, était la chronique de l'abbaye de Moissac qui joue, en l'occurrence, le même rôle, pour la bataille de Poitiers, que celui d'Hérodote pour celui de Marathon.

Dans son livre La revolucion islamica en España (défigurée dans une prétendue traduction française qui en retire les références essentielles) Olaguë analyse comment est née la légende, recréée, plusieurs siècles après l'événement, lors des invasions -- réelles cette fois -- des Almoravides et des Almohades qui jalonnent les phases du recul de l'Islam en Espagne.

Les rois catholiques ont développé le thème qui a survécu jusqu'à la fin du XXe siècle.

Quant à Charles Martel, son rôle de sauveur de l'Occident se dégage plus clairement lorsqu'on l'insère dans le contexte de l'époque.

1 -- Ce sauveur de la France et de l'Occident, après son escarmouche victorieuse contre le commando arabe d'Abderahman, en 732, a complété ses exploits contre les barbares musulmans, en se lançant à la conquête de l'Aquitaine, de la Bourgogne, puis de la Provence restée jusque là romaine.
2 -- L'écrasement définitif des Sarrasins est tel que plusieurs siècles après, les Arabes sont encore à Narbonne. Ils sont maîtres de la Provence avec leur base principale à Fréjus. Ils remontent la vallée du Rhône comme en témoigne la cathédrale du Puy dont la façade porte encore des inscriptions en caractères koufiques.

En ce qui concerne l'éveil il conviendrait de se souvenir, par exemple, que, plusieurs siècles après Poitiers, le centre culturel de Cordoue réveille l'Europe de son long sommeil intellectuel: non seulement en lui transmettant les richesses anciennes de la Chine, de l'Inde, de l'Iran, mais même son propre patrimoine, celui par exemple des Grecs. C'est dans les commentaires d'Aristote d'Ibn Roshd (Averroes), et en polémiquant avec son oeuvre qu'Albert le Grand et Tomas d'Aquin développèrent leur système, et que se développera, l'averroïsme latin à l'université de Paris, avec Siger de Brabant, comme à Oxford et au XVe siècle en Italie, avec Pic de la Mirandole.

Les cartes d'Idrissi de Ceuta (XIIe siècle) qui fit ses études à Cordoue, créeront pour Roger de Sicile, pour passer de la sphéricité de la terre à la planisphère, les méthodes de projection semblables à celle de Mercator, quatre siècles plus tard, et qui permettront les grandes découvertes.

Les traités de chirurgie d'Abulcassis, né au Xe siècle à Cordoue, firent autorité pendant cinq siècles, dans toutes les facultés de médecine de l'Occident, à Montpellier comme à Palerme, à Paris ou à Londres.

Roger Bacon (vers 1220-après 1292.) considéré en Europe comme l'introducteur de la science expérimentale (faire une hypothèse mathématique et construire un dispositif expérimental pour la vérifier), dans la cinquième partie de son Opus Majus procède à un démarquage, parfois même à une simple traduction de l'Optique du savant Egyptien Ibn Hayttam et reconnaît lui-même ses emprunts: "La philosophie, écrit -il, est tirée de l'Arabe et aucun Latin ne pourrait comprendre comme il convient les sagesses et les philosophies s'il ne connaissait pas les langues dont elles sont traduites." (Metalogicus IV, 6)

Cet esprit d'unité règne dans toutes les sciences où excellaient les savants arabes: de la physique et de l'astronomie, à la biologie et à la médecine:

La clé de voûte de la culture islamique, dans tous les domaines de la théologie, et de la philosophie aux sciences et aux arts c'est l'idée de l'unité. Cette unité fondamentale (tawhid) ne se limite pas à l'affirmation que Dieu est unique.

Le tawhid n'est pas de l'ordre du fait mais du faire. Il ne fonde pas une philosophie de l'être, comme celle des grecs, mais au contraire une philosophie de l'acte.

C'est ce qui permit le renouvellement de toutes les sciences.

Si l'on renonce à l'illusion qui consiste à considérer l'Europe comme le centre de toute l'histoire, l'on doit donc reconnaître que, du VIIIe au XIVe siècle, il n'existe pas un trou noir, mais que s'y épanouit au contraire une civilisation arabo-islamique l'une des plus brillantes de l'histoire.

Ibn Arabi de Murcie (Espagne) -- (1165-1241) conduit vers son terme cette philosophie de l'acte, opposée aux philosophies grecques, (platoniciennes ou aristotéliciennes) de l'être.

Rien ne commence avec une réalité déjà faite, donnée, qu'elle soit sensible ou intelligible, mais par l'acte créateur incessant de Dieu.

Son problème fondamental est de montrer comment l'homme peut participer à cet acte de création d'un monde toujours en naissance.

La vision dynamique du monde, dans le Coran, découle de cette incessante action créatrice de Dieu. Il est le Vivant (II, 255; III, 2, etc.); "Le Créateur par excellence, Celui qui ne cesse de créer." (XXXV, 81); Celui "qui est présent en chaque chose nouvelle" (LV, 29). Cette création continuée maintient en existence (II, 255) toute chose. Contrairement à la Genèse (II, 2), Il ne connaît ni cesse ni repos (II, 255). "Il commence la création et la recommence" (X, 4).

La théorie islamique de la connaissance, qui part de l'acte créateur, ne sera reprise que plusieurs siècles après, dans la philosophie occidentale, notamment par Kant et son Imagination transcendantale et, plus encore, par Gaston Bachelard, qui en recherche l'histoire.

L'essentiel de l'apport de la science islamique ce n'est pas seulement la méthode expérimentale et une impressionnante quantité de découvertes, c'est d'avoir su lier la science, la sagesse et la foi.

Loin de limiter l'action de la science qui remonte de cause en cause, la sagesse s'élève de fin en fin, de fins subalternes à des fins plus hautes afin que la science ne serve pas à la destruction ou à la mutilation de l'homme mais à son épanouissement en lui fixant des fins humaines. Car la science expérimentale et mathématique, ne nous fournit pas les fins de cette action puissante. La sagesse, réflexion sur les fins, est un autre usage de la raison. Celui que l'Occident a laissé s'atrophier: la philosophie ni la théologie n'y jouent plus ce rôle complémentaire de la science qui donne des moyens, avec la sagesse qui recherche les fins.

La raison occidentale, confinée dans la rechercher des moyens considérés comme des fins en soi conduit le monde à la destruction par la manipulation sans sagesse de l'atome, du missile et du gêne.

- La foi est la troisième dimension d'une raison plénière: ni la science, dans sa recherche des causes, ni la sagesse dans sa recherche des fins n'atteignent jamais une cause première ni une fin dernière. La foi commence avec une prise de conscience lucide de cette limite de la raison et de la sagesse. Elle devient le postulat nécessaire à leur cohérence et à leur union: cette foi n'est pas une limite ou une rivale de la raison. La foi est une raison sans frontière.

* * *

Conclusion: le rôle de l'histoire, dans l'éducation, doit être radicalement changé: la recherche des sources doit remplacer le colportage des mythes.

Ce qu'il est convenu d'appeler le monde colonial jusqu'au milieu de XXe siècle, le tiers-monde au temps des deux blocs affrontés de l'Est et de l'Ouest, et d'une manière constante les pays sous-développés (selon les critères occidentaux du développement) n'apparaissent dans les manuels scolaires et dans la presse que par les menaces à la sécurité des envahisseurs, qu'il s'agisse des westerns américains où le bon indien ne peut être que mort ou collabo, ou des palestiniens, chassés de leurs terres volées, ou massacrés par balles lorsqu'ils n'ont plus d'autre armes que les vieilles pierres de la terre de leurs ancêtres. Là encore, comme au temps du colonialisme et de l'hitlérisme, la résistance à l'occupant est appelée terrorisme. Israël exige sa sécurité alors qu'il menace celle de tous ses voisins en occupant leurs frontières (au mépris de toute loi internationale et des condamnations platoniques des Nations Unies, et en élaborant un programme de désintégration de tous les Etats voisins de l'Euphrate au Nil. (20)

Il y a là une démarche typiquement colonialiste: le fondateur du sionisme, Théodore Herzl, écrivait déjà, il y a un siècle: "Nous serons un bastion avancé de la civilisation occidentale contre la barbarie de l'Orient" tout comme Huntington théoricien du Pentagone, un siècle après celui du sionisme, dans son Choc des civilisations oppose la civilisation judéo- chrétienne à la collusion islamo-confucéenne.

Le schéma mythologique est le même et les formules jumelles unissent l'expulsion et le massacre des Indiens par les Etats-Unis, et l'expulsion et le massacre des palestiniens par les sionistes d'Israël dont la politique pratique la même politique d'apartheid et d'expansion coloniale que leur souteneur américain.

Le même refus de l'autre et du dialogue fécondant des cultures, des civilisations, inspire depuis des siècles, de Josué à Jules César, de Pizarre à Natanayu, les chasseurs d'hommes, mythiques ou historiques de toutes les Croisades, de tous les colonialismes, de toutes les dominations et de toutes les guerres.

L'histoire, toujours écrite par les vainqueurs, a toujours appelé victoire de la civilisation et du droit, la victoire du plus fort. (21)

* * *

Le baptême officiel de cette mythologie se substituant à ce qui mériterait le nom d'histoire, recouvre une autre imposture: celle qui fait des peuples et des civilisations non-occidentales, des appendices de l'histoire de l'Occident qui n'entrent dans l'histoire que lorsqu'ils sont découverts par lui. L'histoire qui nous est transmise par les manuels scolaires n'est que l'histoire de l'Occident avec ses annexes concernant d'autres peuples dont l'étude est affaire de spécialistes, au Collège de France ou à l' Ecole des langues orientales. L'élève de l'école primaire ou du lycée a quelques chapitres à lire sur Marco Polo en Asie, Savorgnan de Brazza ou Faidherbe en Afrique, mais rien sur la Chine, d'où vinrent toutes les découvertes scientifiques qui permirent la Renaissance de l'Europe, sur les empires Songhai qui firent de Tombouctou l'un des plus grands centres de recherche mathématique, ou sur la civilisation des Mayas dont l'astronomie créait un calendrier plus précis que le grégorien, avec plusieurs siècles d'avance.

L'ethnocentrisme de l'Occident est tel que, par exemple, nos manuels scolaires et nos encyclopédies font de Gutemberg l'inventeur de l'imprimerie que les Chinois pratiquaient quinze siècles avant, de Harvey le découvreur de la petite circulation au XVIIe siècle, alors qu'Ibn El Nafis, né en 1210, médecin arabe, quatre cents ans avant Harvey et trois cents ans avant Michel Servet, avait donné la description simple et le schéma dessiné de ce parcours du sang dans son Commentaire d'Avicenne.

Toute invasion ou agression coloniale est alors légitimée au nom de la civilisation et la résistance des peuples colonisés, spoliés et massacrés est invariablement appelée terrorisme.

c) -- Le mythe et l'histoire en Israël

Ce rôle du mythe se substituant à l'histoire n'est nulle part plus monstrueux que dans la période qui suivit la deuxième guerre mondiale et dans le lieu géographique constituant la charnière entre l'Orient et l'Occident: la Palestine.

Nous en avons fait la démonstration dans Les mythes fondateurs de la politique israélienne, dénonçant des falsifications si scandaleuses de l'histoire qu'elle souleva un intérêt mondial: le livre est traduit au Japon, en Chine, en Russie, dans toute l'Europe de la Grèce à l'Angleterre, en Amérique du Nord et au Brésil, dans trente pays, et rejoint les recherches actuelles des nouveaux historiens en Israël même, où l'expression mythes fondateurs est devenu courante surtout depuis l'ouverture des archives de l'Etat après cinquante ans de secret.

En effet les mythes sionistes, massivement propagés dans le monde entier, rendaient incompréhensibles les crimes nazis.

Tantôt, en effet, ils les attribuaient au seul délire antisémite d'Hitler, tantôt à la folie démoniaque d'un peuple. Dans le premier cas on postule l'existence d'un diable aussi étranger à l'histoire qu'un aérolithe tombé du ciel; dans le second cas, pour expliquer qu'un peuple ait, dans sa majorité, accepté ce délire, il faut admettre qu'il existe des peuples maudits comme il existe un peuple élu par un Dieu partial, qui, lui aussi, ait jeté du ciel un sort, élection ou malédiction sur un peuple entier. Cette dernière version est la plus courante car elle est le corollaire de la prétention à l'élection.

C'est par exemple Jonah Goldhagen pour lequel tout le peuple allemand et sa culture étaient prédestinés au crime, comme le peuple français pour Bernard-Henri Levy (22).

Ceci est dans la parfaite logique de la croyance en un peuple élu que Dieu aurait tiré de la fange de tous les autres peuples.

Un autre dogme, découlant logiquement de la croyance en un peuple élu, est celui du caractère unique du massacre des juifs en lui donnant un caractère exlusif, sacral, théologique: l'holocauste.

Toutes les autre victimes, au cours de l'histoire, et, parmi eux, les victimes des méfaits de la barbarie fasciste, sont d'une banalité séculière: ils n'entraient pas dans les plans de ce Dieu qui élit, dit-on, ou exclut.

A l'exception du peuple élu, les autres sont une ménagerie de monstres, mais Hitler et ses "bourreaux volontaires" y ont une place de choix: que les Anglais aient inventé les camps de concentration au temps de la guerre des Boers ou l'eugénisme tuant les ratés, que les conquistadores aient massacré des millions d'indiens, que toute l'Europe ait participé aux trafic d'esclaves noirs, que les arméniens aient été victimes de tueries, qu'Himmler se soit fixé pour objectif de réduire la population slave de trente millions (Jean-Marc Varaut: Le procès de Nuremberg. 1992. p.57.), tout cela est sans commune mesure avec les persécutions des juifs, "des juifs seuls" comme le dit Goldhagen (p. 307 à 319 de son livre).

En dehors des élus, la formule de Begin après les sanglantes orgies de Sabra et Chatila organisées par Ariel Sharon: "Des non-juifs ont tué des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il?"

Seul un autre peuple jouit du privilège de la pureté: les Etats-Unis. L'un des ses présidents, Théodore Roosevelt en a défini sans équivoque la politique raciste: "la plus juste de toutes les guerres est la guerre contre les sauvages.. Le rude et fier colon qui chasse de leur terre les sauvages a droit à la reconnaissance de tous les civilisés... Le monde n'aurait pu faire aucun progrès sans le déplacement et l'écrasement des peuples sauvages et barbares par des colons armés, race de ceux qui tiennent en leurs mains, le destin des siècles." (Victoire de l'ouest. N.Y. 1889, vol 1. p.119)

(Théodore Roosevelt est cité avec éloge par le Tribunal de Nuremberg, au volume IV, p. 35, 279, 497 de la version anglaise).

Une édition de 1970 des déclarations présidentielles de Théodore Roosevelt nous livre celle-ci: "La guerre, qui étendit les frontières de la civilisation aux dépens des barbares et de sauvagerie, a été l'un des puissants facteurs du progrès humain." (Vol. I, p. 62- 63).

 

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Ce texte est extrait du livre de Roger Garaudy intitulé L'Avenir: mode d'emploi, divisé ici en sept parties. Il est édité en 1998 par les éditions Vent du Large et se trouve en librairie (ISBN: 2-912341-15-9). On peut s'adresser, au choix, à l'éditeur, 1 av. Alphand, 75116, Paris, à la Librairie de l'Orient, 18 rue des Fossés Saint Bernard, 75005, Tel.: 01 40 51 85 33, Fax: 01 40 46 06 46 ou à l'Association Roger Garaudy pour le dialogue des civilisations, 69 rue de Sucy, 94430 Chennevières sur Marne.

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Roger Garaudy
L'AVENIR
MODE D'EMPLOI

Chapitres: | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
 

I -- D'où vient le danger de mort du XXIe siècle?

1) -- La planète est malade: un monde cassé

2) -- L'Occident est un accident: Il a cassé le monde par trois

3) -- Hitler a gagné la guerre.

-- La destruction de l'Union soviétique.

-- La vassalisation de l'Europe.

-- L'exclusion des races inférieures dans le monde.

II -- Comment construire l'unité humaine pour empêcher ce suicide planétaire

1) -- Par une mutation économique

A Un contre Bretton-Woods

B pour un nouveau Bandoeng

2) -- Par une mutation politique

- Qu'est- ce qu'une démocratie? (Le monothéisme du marché détruit l'homme et sa liberté.)
-- D'une Déclaration des droits à une Déclaration des devoirs
-- La télévision contre la société

3 -- Par une mutation de l'éducation

- qu'est-ce que l'éducation? (Lire des mots ou lire le monde?)

-- Mythologie ou histoire?

a -- La mystification de l'idée de nation.

b -- Le colonialisme culturel

c -- Le mythe et l'histoire en Israël

- Philosophie de l'être ou philosophie de l'acte?

4 -- Par une mutation de la foi

Et maintenant?

- ... Ce que les corrompus d'aujourd'hui appellent mes rêves.
 


ANNEXES
I -- Trajectoire d'un siècle et d'une vie

1 -- Avoir vécu un siècle en feu

2 -- Les rencontres sur le chemin d'en haut

3 -- 1968: Soyons raisonnables: demandons l'impossible

4 -- Philosophie de l'Etre et philosophie de l'Acte

II -- L'Occident est un accident (ses trois sécessions)

1re sécession: de Socrate à la Renaissance

2e sécession: les trois postulats de la mort:

a -- d'Adam Smith au monothéisme du marché. (De la philosophie anglaise.)

b -- de Descartes à l'ordinanthrope. (De la philosophie française)

c -- de Faust au monde du non-sens. (De la philosophie allemande)

3e sécession:

a) -- Les Etats-Unis, avant-garde de la décadence

b) -- Les Etats-Unis, colonie d'Israël

III -- Une autre voie était possible

a) -- Les précurseurs: de Joachim de Flore au cardinal de Cues.

b) -- Les occasions manquées: de Thomas More à Montaigne.

IV -- L'avenir a déjà commencé

Graines d'espoir:

-- Le réveil de l'Asie: la nouvelle route de la soie.

-- Le réveil de l'Amérique Latine: la civilisation des tropiques.

Bibliographie

 


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