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LOUIS-FERDINAND CELINE

 

 

BAGATELLES POUR UN MASSACRE

 

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un des grands assidus de la Princesse du Léman... On l'a bien connu nous autres, c'était un raciste effréné (presque aussi actif que Widal, et c'est pas une bagatelle !). Il a fait énormément pour l'invasion des médecins youtres, leur triomphe en ville. Toute sa carrière a consisté, sous des apparences, à faire naturaliser 5 à 6 médecins juifs par semaine... tous racistes évidemment... Ils lui doivent une vraie statue, ces alluvionnaires, dans la cour de la Faculté en or ! sur un veau. Yubelblat, faut lui rendre justice, il était bien moins con que les autres, dans le genre des grands savants, bien moins mesquin, moins abruti, moins prétentieux. Il pigeait parfaitement l'astuce. Il délirait pas dans sa glace. Mais il était erratique comme tous les vrais prépucés, il tenait pas en place. Il fallait qu'il trace, qu'il revendique. Son genre de voyage favori, c'était la Chine... Il allait militer par là... Il faisait un saut jusqu'au Japon... Il préparait les petites affaires... Et puis il rentrait dare-dare... Il retraversait toute la planète pour un télégramme, pour un soupir... pour rien du tout... Il repassait par la Russie... Il repassait plus par la Russie... Il rappliquait par le Sud. Il rattrapait son télégramme... son soupir... son rien du tout. Et puis floc ! je le voyais jaillir ! un matin ! je le retrouvais d'un seul coup ! derrière son bureau... Il émergeait de l'autre bout du monde... comme ça... Il faisait le juif errant, l'homme-lubie, l'insolite... Pour réfléchir, il s'arrêtait, derrière ses binocles, il oscillait en avant... tout doucement sur ses tatanes... des vrais bateaux... comme le pendule... Cette manière de se tenir, bizarre, dans la vie, de disparaître dans les fugues et puis de revenir " courant d'air " ... ça ressemblait pas à grand' chose. On aurait bien pu penser : cette agitation est grotesque, ce n'est que de la dispersion, du " pas sérieux ", de l'étourderie. Cet homme travaille du grelot. Et pourtant c'était l'essentiel faut pas se fourvoyer. Regardez un peu les fourmis comment elles s'agitent... elles font pas toutes vraiment quelque chose, elles transportent pas toutes une bricole... elles vont, elles passent... c'est leur boulot ! ... elles reviennent... elles se dépêchent... elles lambinent... elles ont plus l'air de savoir... de se promener au petit bonheur... et puis pourtant elles fourmillent.. elles ont leur idée... c'est ça l'essentiel : fourmiller.

Comme les Juifs ils sont pas beaucoup en proportion sur la terre (15 millions) , il faut que partout ils se montrent, qu'ils soient partout à la fois, qu'ils essaiment les bonnes paroles à travers les colonies juives et les puissants de la juiverie, et les tout petits

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Juifs aussi, occultes ou avoués, apparents ou camouflés, mais tous bien racistes... il faut que la ferveur s'entretienne, l'excellente entente, les courants ardents de l'oeuvre, la passion du triomphe prochain, avec des " chiffres ", à l'aide des " chiffres ", de statistiques, d'autres bilans encore, d'autres ,victoires partielles, des Congrès à l'infini, pour la Paix, pour la Paix toujours, pour le progrès, la lumière, l'avancement des sciences et des hommes... Comme ça et toujours et tout le temps, de Washington jusqu'en Chine, de Gênes en Grèce, au Canada... C'est un afur formidable Pas une minute d'interruption... Promettre... Promettre... flatter en traçant ... réveiller le zèle ou la haine... qui s'attardent, s'affaiblissent, se perdent ... Relancer ! Quel tam-tam... Veiller au grain ! Parcourir ... Parcourir ! Disparaître... Il était infatigable en ses pirouettes, prestes échappées, trapèzes... colloques furtifs, mystères et passe-passe internationaux, le frêle Yubelblat. Toujours en " coléanisme ", en voltige, vertiges, entre deux câbles, deux télégrammes, deux rappels. Toujours en train de se relancer un peu plus loin. dans la pagaïe, dénicher encore d'autres trames, d'autres filins plus embrouillés, raccrocher le tout en énigmes, et puis défendre toutes ces intrigues par des petites trappes bien occultes. il arrêtait pas... On le voyait... on le voyait plus... Il me rappelait du Zoo de Londres, cet animal extravagant l'ornithorynx qu'est si habile, le faux castor incroyable, qu'a un bec énorme d'oiseau, qu'arrête pas aussi de plonger, de fouiner, de revenir... Il disparaissait imprévisible la même chose Yubelblat... Plaf !... il enfonce, plonge dans les Indes... on le voit plus ! ! Une autre fois c'est dans la Chine... dans les Balkans dans les ombres du monde... dans la profondeur... Il revenait à la surface tout éberlué, clignotant... Il était habillé tout noir comme l'ornithorynx... et puis aussi l'énorme tarin, exactement aussi marrant... cornu comme l'ornithorynx... Il était souple à l'infini... extraordinaire à regarder, mais au bout des poignes par exemple, il avait aussi des griffes... et des venimeuses comme l'ornithorynx... Il fallait déjà le connaître depuis vraiment un bon moment pour qu'il vous les montre... la confiance c'était pas son faible... Enfin je vais pas prétendre que je m'ennuyais sous ses ordres... Ça serait mentir... Tel qu'il était il me plaisait bien... J'avais même pour lui de l'affection... Bien sûr il oubliait pas de m'arranger de temps à autre... de me faire déguster une vacherie... Mais moi, je ne me gênais pas non plus... Y avait une petite lutte sournoise. Un jour qu'il

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m'avait laissé comme ça trop longtemps à Genève, dans les boulots imbéciles, à mariner sur les dossiers, j'ai comploté dans mon genre, une petite pièce de théâtre, c'était assez inoffensif " l'Eglise ". Elle était ratée, c'est un fait... mais quand même y avait de la substance... je lui ai fait lire à Yubelblat. Lui qui se montrait dans la vie le plus éclectique des youtres, jamais froissé de rien du tout, ce coup-là quand même, il s'est mordu... Il a fait une petite grimace... Il a jamais oublié... Il m'en a reparlé plusieurs fois. J'avais pincé la seule corde qu'était défendue, qu'était pas bonne pour les joujoux. Lui il avait nettement compris. Il avait pas besoin de dessin...

Quant aux Aryens, c'est la détresse... Si on leur annonce pas les choses avec du néon » ... Quel est l'animal, je vous demande, de nos jours plus sot ?... plus épais qu'un Aryen ? Quel Zoo le reprendrait ?... Le Paradis ? ...


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Yubelblat, il a essayé, c'est un fait, de me rendre parfaitement " technique ", diplomatique et sagace, et puis aussi, et puis surtout, que je devienne à ses côtés un parfait administrateur. Il m'avait en sympathie, malgré mes petits défauts... ma tête de cochon... Il voulait que je m'initie à tous les maniements de ficelles, les grosses goupilles du métier, les fines astuces, qui font marcher les Assemblées, les Commissions, 2e, 3e, 4e, 5e... les têtes de pipes et les Finances... surtout les Finances...

-- Moi, voyez-vous, Ferdinand, je suis toujours Secrétaire, rien que Secrétaire, à travers toutes les circonstances, vous ne me verrez qu'en Secrétaire... C'est le titre que j'ai choisi, jamais davantage... jamais ! ... Secrétaire ! pas plus ! voilà tout !... J'arrive, je ne dis mot... La discussion est commencée... Bien... Je vais m'asseoir tout doucement, bien tranquille, à la gauche du Président... Remarquez, je ne dérange personne... Les débats s'ouvrent et se déroulent... ternes ou passionnés... burlesques ou moroses... Aucune importance ! ... Dans tous les cas, aucune suite dans les idées... c'est impossible... aucune cohérence... C'est la grande règle absolue de toutes les assemblées du monde... de n'importe quelle réunion d'hommes... aussitôt qu'ils ouvrent la bouche ils ne disent plus que des sottises...

Voici la pesanteur du " nombre "... la loi écrasante des Pendules de la Bêtise... Elle entraîne tout, elle fatigue tout, elle écrase tout... Il ne s'agit pas de lutter... Tous ces niais autour de la table, bavardent, s'ébrouent, vitupèrent... oublient dès les premières paroles ce qu'ils avaient à raconter... Ils s'écoutent et ça leur suffit... Ils disent, au fond n'importe quoi... Ils s'affriolent, ils se trémoussent... Ils sont là pour se dépenser... Plus ils

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cafouillent, plus ils s'excitent, plus ils se perdent... C'est très facile dans notre cas avec toutes les langues... Ils se comprennent mal ou de travers... Ils se comprennent mal eux-mêmes... Ils s'embrouillent dans les quiproquos... ils se jaugent... ils se défient... d'un bout à l'autre du tapis... Ces effets les perdent... Ils s'emballent ... Les voilà franchement qui divaguent... Ils ne se retiennent plus... Ils sont venus pour discourir ... et de fort loin, le plus souvent... délégués au bavardage... du Vénézuéla... d'Arabie... de la Nouvelle-Zemble... des Petites Comores... Les micros ne sont pas faits pour les chiens... Plus ils se font vieux les délégués et plus ils babillent... La vieillesse c'est tout féminin, ça se déglingue, ça se débroquille, ça se débine tout en cancans... d'époumonements ils se surpassent... Ils montent de vrais concours d'Asthme... La pauvre question initiale existe plus... tant bousculée par ces absurdes, tiraillée, calamiteuse, elle a perdu tous contours... On sait même plus ce qu'elle est devenue... On la cherche... on la retrouve pas... Les débats se poursuivent quand même et d'autant plus véhéments... Y a un embouteillage terrible pour la prise de la parole, ils veulent tous la garder tout le temps... Mais les délégués empêtrés qui n'arrivent pas à placer un traître mot de leur discours... ils trouvent le président infâme... C'est mauvais les harangues rentrées... Ils rongent leur frein dans le coin de leur chaise, ils préparent les pires vacheries... des vitriols infernals pour assaillir ceux qui gardent comme ça tout le crachoir... Au bout d'une heure à peu près de ces effrénés jacassages, des délégués " tous contre tous ", ils savent même plus où ils se trouvent ... ils ont perdu le Nord et le Sud, le sens de la porte, le large et le travers... Ils savent même plus de quoi il retourne... La question elle est dans les pommes... dans les gueulements, les hoquets... dans les fumées...

Haletants, fourbus, ravagés, sur les boulets, ils s'écroulent... Une sorte d'angoisse les étreint... ils savent plus comment finir... Ils se cramponnent après la table... A la façon que je les entends comme ils expirent rauque, à la manière qu'ils enrayent, qu'ils râlent en saccades... aux bribes d'injures qui arrivent ... Je me dis : " Yubelblat, c'est le moment !..." L'instant exact d'intervenir... Faut pas une seconde en retard ! pas une seconde en avance ! ... Faut que ça tombe pile exactement, partir juste à " l'optimum " ... Alors c'est gagné ! je les délivre ! Je les affranchis d'un coup... J'organise, Ferdinand, l'" extase " ... C'est après ça qu'ils suffoquent au bout d'une heure de pancrace... de cette ébullition de mots... je connais

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le moyen de les faire jouir... Je donne à tout ce bavardage une sorte d' " éjaculation "... Je l'ai toujours là dans ma poche... dans un petit bout de papier... Au moment où ils en peuvent plus, où ils s'étranglent de confusion, où ils implorent l'atmosphère... Je leur sors mon petit texte... je déplie mon petit bout de papier, une "Résolution" ... retenez ce nom... une " Résolution ". Je la glisse au président, le pire radoteur de la bande, le plus éperdu de tous... Il se jette dessus, il l'agrippe, c'est écrit... Il a plus qu'à lire, ânonner... C'est fait !... En entendant ce texte bien net, qui leur arrive par miracle, qui clôt si bien leurs débats, les autres alors ils viennent au pied... ils se rendent ils " adoptent " !... dans une allégresse ! ... éjaculant à qui mieux mieux... L'orgasme ! Ils se détendent... ils se pardonnent... ils se caressent... ils se délectent... ils se congratulent... La vanité fait le reste... Ils se persuadent immédiatement... qu'ils ont fini par jouir tout seuls... je ne reste pas là, moi-même, je disparais, je m'efface... je les laisse à leurs effusions. Je n'ai rien dit... Je n'ai rien fait... Je les,ai toujours dans ma poche... mes " résolutions " tout le temps des débats... Chaque matin, je les prépare... Ce sont mes petites ordonnances... Je les rédige à la maison, dans le calme même, dans mon lit, avant de descendre les retrouver dans cette pagaïe... Je sais bien moi, ce que je veux, je sais donc ce qu'il leur faut tous, aux délégués des cinquante peuples... Ce qu'ils sont faits pour " adopter " ... Je suis là pour ça, Ferdinand, et c'est " écrit "... tout écrit, mon ami... noir sur blanc à l'avance... dans ma poche... avec mon petit crayon... C'est la décision, c'est l'ordre au bout du chaos. Je leur apporte leur délivrance, Ferdinand. Tous ces petits verbeux, hagards, diffus, chiffonnés, ils montent au plaisir tous ensemble. J'avais leur coït dans ma poche... depuis le matin... Et je n'ai rien dit, Ferdinand !... pas dit un mot à ce propos. J'ai glissé le petit papier, au bon moment, voilà tout !... Ce n'est pas très difficile... Ce n'est pas moi qui ai brillé... Ce n'est pas moi qui ai parlé... On ne m'a presque pas vu... Je ne cause jamais, Ferdinand... Je ne brille jamais, Ferdinand... Jamais... Retenez bien ceci... jamais ne briller... jamais, Ferdinand...

Il faisait alors un grand effort de myope, pour me toiser sous ses carreaux... pour s'apercevoir un petit peu, si vraiment je comprenais les choses. " Il faut que nous passions "inaperçus", Ferdinand, comme des Jésuites, des Jésuites du monde moderne... vous me comprenez, "inaperçus"... ou alors tout ira mal... vraiment très mal, Ferdinand... "



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Considérez bien Ferdinand, n'oubliez jamais, lorsque vous examinez, que vous observez de près l'allure de nos commissions, que plus vive est l'intelligence de chacun des participants en particulier, plus grotesque, plus abominable sera leur grand cafouillage une fois qu'ils seront réunis... Et remarquez au surplus que je les ai fait venir pour l'examen d'un problème nettement de leur spécialité... qui ne leur réserve forcément aucune espèce de surprise... qu'ils connaissent par coeur, à fond, sur toutes les coutures.. sous tous les aspects... Plus ils seront éminents, plus fantastiques seront leurs bourdes... plus proliférantes, abracadabrantes, leurs conneries.... leurs méprises, plus inouïes leurs absurdités... Plus vous les trouverez élevés, considérés séparément dans le domaine de l'esprit, de la création, plus ineptes ils deviendront une fois qu'ils seront tous ensemble... Voici une règle, un théorème, une loi de l'esprit... L'esprit n'aime pas les rassemblements.

Nous possédions, à cet égard à la S. D. N. un exemple vraiment illustre, cataclysmique pour mieux dire... la Commission fameuse, dite des " Courants Intellectuels " pour l' " Expansion de la Culture et des Grandes Forces Idéologiques ". Rien que des Génies ! triés sur le volet... des génies prouvés, des personnes qui bouleversent l'Histoire des Sciences et des Arts, toutes les techniques de l'Esprit... " Regardez pourtant, Ferdinand, écoutez-moi bien ces illustres... il suffit que je leur souffle, que je leur propose le moindre prémisse de dilemme... que j'agite devant leur génie la plus

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vague broutille dialectique... le plus petit hochet pratique pour qu'ils se mettent à déconner... que je leur demande leur avis sur le retrait d'un seul tréma, la disjonction d'une parenthèse... le projet d'achat d'un crayon... pour qu'ils se mettent à divaguer ! ... pour qu'ils s'enlisent éperdument, se déroutent, s'affalent... Il faut avoir bien compris, Ferdinand, bien observé de près les phases de cette divaguerie cafouilleuse... Il faut que je vous affecte pendant quelque temps aux débats de cette commission, à son " Compte Rendu ".

En racontant des choses semblables on a toujours l'air de se moquer... viser à l'effet.... Mais les débats c'était pas le pire... La pire des épreuves pour les grands " Céphalo-Bills ", c'était le moment des adieux... alors, c'était peines et douleurs... Ils savaient plus comment faire ... Comment se remettre en branle, fallait pourtant qu'ils retournent chez eux qu'ils se décident à reprendre le train. Quand ils avaient secoué leurs marottes, saccadé, branlé leurs osselets, comme ça, pendant huit, dix séances, fuité leurs derniers lécithines, ils retrouvaient plus la comprenette, ils savaient plus comment se tourner, comment sortir des colloques, comment résoudre ce rébus... lever la dernière séance... repartir encore un coup et puis de revenir un peu plus tard... Ils savaient plus comment s'y prendre... Ils hésitaient de partout ... Ils se choquaient en confusion les uns dans les autres... à travers les chaises affolés autour de la table... ils faisaient des bruits de noisettes en sac... Ils se ratatinaient encore plus... Ils en devenaient... vieux... vieux... vieux... C'était la débâcle des carcasses...

Sur la question de calendrier, il fallait vraiment qu'on les aide... Pour savoir la date qu'ils reviendraient... qu'ils supposaient revenir... ils en auraient vomi du sang... tellement ils confondaient les jours... ils s'étranglaient dans les dates... pour ne pas arriver à choisir... C'était déjà un hôpital rien qu'à les regarder se débattre dans les convulsions... Ils faisaient toujours grande honte aux secrétaires de service et puis forcément bien pitié !... Ils avaient perdu toute couleur, ces frêles damnés, et passaient du blanc au diaphane, chevrotant a perte de chicots, après tant de séances de fausses luttes... Une terrible cruauté ! ... dans l'apné ils râlaient encore, tous les sphincters en déroute, agoniques méticuleux... ils se maudissaient sur l'Agenda... sur les petites dates en astériques... et puis à cause du mois de juin et puis encore de l'autre mois, l'avril... qui n'avaient pas tous les dimanches et puis un jeudi en plus... et puis un jour de congé qui tombait en travers de l'autre...

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La " Résolution " les sauvait là encore, au bord de la tombe... Ils s'arrachaient le petit papier... On leur passait les horaires... ils savaient plus où ils allaient... Ils se souvenaient plus de leurs origines, il fallait qu'on les remette en gare... Ils retrouvaient l'exubérance qu'une fois sur le quai... devant les grosses locomotives... Hatchou ! Hatchou !... Une autre frénésie les prenait... Ils s'amusaient comme des petits fous à tous les échos... Ils imitaient les grosses machines, les départs et les grêles trompettes... les sifflets... ta ! ... Ta! ... ta ! ... Ta ! ... Psiii !

Pssiii ! ... En revoyant comme ça de la " technique ", ils reprenaient la confiance... Ils faisaient amis !... amis !... bien gentiment aux voyageurs, à tout le monde autour, avec leurs petites menottes... On les installait dans le wagon... bien calés, loin des portières, on les recommandait aux personnes qu'étaient dans le couloir... Et puis le convoi s'ébranlait... ils retournaient à leurs travaux...



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Quand je lui rédigeais ses longues lettres, ses délicates procédures, il me faisait recommencer souvent, Yubelblat C'était sa manière... trois fois... dix fois... quinze fois de suite... vingt fois, un beau jour... C'était son sadisme... à propos de la même broutille, d'une finesse circonlocutoire.

" Trop catégorique ! Ferdinand ! Beaucoup trop catégorique ! trop aventuré !... Beaucoup trop formel !... Vous nous engagez, Ferdinand ! faites attention !... Enveloppez !... Enveloppez toujours ! Des propositions... oui certes, il en faut... mais tout doucement... conditionnelles !... Ces précisions sont inutiles... elles intriguent... ils en demanderont davantage... toujours davantage... si vous commencez... Laissez-les donc... ils imagineront beaucoup mieux... ils imagineront des prodiges si vous demeurez assez vague... encourageant mais discret !... un petit peu subtil ! pas trop... un doute... vous me comprenez ?... Un doute... de la nuance... toujours dans la note élégante, vous me comprenez ?... nous ménager les " surprises ", pour nous les " surprises "... nous pourrons ainsi démentir... nous reprendre ... L'insignifiance ! Ferdinand ! je vous l'ai recommandée ! ... l'Insignifiance ! ... comme les jésuites... C'était son dada les jésuites, sa litanie... Toujours enveloppés, on nous redoutera... vous serez craint... vous serez cru... parce qu'on supposera des choses... on imaginera... Le prestige c'est le doute... Faites ça pour moi, Ferdinand. Je vous veux du bien... ne m'engagez pas... Des informations... précises... pour nous... des renseignements vagues pour les autres... Vous me comprenez ?... "


Ce texte comporte les pages 101-110 du pamphlet de Louis-Ferdinand Céline, intitulé Bagatelles pour un massacre. Le "massacre", dans la pensée de l'auteur, est évidemment celui qu'il prévoit, en 1937, comme ce qui arriverait s'il éclatait une deuxième guerre mondiale.

Contrairement à la rumeur, les pamphlets ne sont pas interdit par des lois, des règlements ou des tribunaux. Ils n'ont pas été réédités par des maisons d'édition ayant pignon sur rue parce que l'auteur, revenu en France, voulait pouvoir vendre les livres qu'il écrivait alors pour gagner sa pitance. Cette mesure d'opportunité n'a plus lieu d'être après la disparition de l'auteur, en 1961. Personne n'a la droit de soustraire à la légitime curiosité des générations suivantes ce qui a été le noyau incandescent de la littérature française vers le milieu du vingtième siècle.

Le texte ici reproduit est celui d'une édition probablement pirate. Les détenteurs d'une éditions réellement authentique voudront bien nous signaler les éventuelles différences.

D'autres groupes de 10 pages suivront.

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