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 Mon Combat

ADOLF HITLER

 

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Considérations politiques générales touchant mon séjour à Vienne 

 

Je suis convaincu aujourd'hui que l'homme, hors le cas de dons exceptionnels, ne doit pas se lancer dans la politique active avant sa trentième année. Jusqu'à cet âge, en effet, il ne peut guère s'agir que de la formation d'une plateforme, point de départ de l'examen des différents problèmes politiques, permettant de prendre position à leur endroit. C'est seulement après avoir acquis un tel fonds d'idées générales, et après s'être fait une solide opinion personnelle sur chacune des questions d'actualité que l'homme mûri, du moins comme caractère, doit ou peut participer à la vie politique publique.

S'il n'en est pas ainsi, il court le danger, ou bien de devoir modifier un jour la position qu'il avait prise sur des questions essentielles, ou bien de devoir s'en tenir, quoique parfaitement informé, à une doctrine que réprouvent déjà depuis longtemps son intelligence et ses convictions. Dans le premier cas, ses propres hésitations auraient la conséquence pénible pour lui - il doit s'y attendre - que la foi de ses partisans ne lui restera pas inébranlablement acquise. Pour ceux qu'il conduit, une telle volte-face du chef signifie perplexité, et souvent sentiment de honte vis-à-vis de leurs anciens adversaires.

Dans le second cas - si fréquent aujourd'hui - moins le chef croit lui-même en ce qu'il professe, plus sa justification en est creuse, terne, plus elle choisit des moyens vulgaires. Il ne songe plus à se porter lui-même sérieusement garant de ses manifestations politiques : on ne donne sa vie que pour ses convictions. Dans le même temps, ses exigences à l'endroit de ses partisans deviennent toujours plus grandes

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et plus éhontées jusqu'à ce qu'il sacrifie enfin ce qu'il avait encore d'un chef pour devenir un politicien : cette sorte de gens dont l'unique et véritable conviction est l'absence de conviction, associée à une insolence importune et à un art éhonté du mensonge.

Que pour le malheur des honnêtes gens un tel gaillard arrive au Parlement, on doit savoir, dès le début, que sa façon de faire de la politique ne consistera plus qu'en un combat héroïque pour conserver cette « vache à lait » à lui-même et 's sa famille. Quand femme et enfants seront plus tard à sa charge, il luttera plus âprement encore pour son mandat. Quiconque s'orientera vers la politique deviendra de ce fait son ennemi personnel ; dans chaque nouveau mouvement, il appréhendera le commencement possible de sa fin, et, dans chaque homme en vue, la vraisemblable menace de danger qu'il constitue.

Je me propose de revenir encore sérieusement sur cette sorte de punaises de Parlement.

Certes, il restera encore beaucoup à apprendre à l'homme de trente ans sa vie durant, mais ce ne devra être qu'un complément et un remplissage dans le cadre des notions générales qu'il a déjà acquises. Ses connaissances nouvelles ne viendront pas bouleverser les connaissances de principe déjà reçues : elles en constitueront au contraire un enrichissement ; et ses partisans n'auront pas à refouler le pénible sentiment d'avoir reçu de lui de faux enseignements : bien au contraire, la croissance organique visible du Chef leur sera une apaisante garantie, son acquis nouveau contribuant seulement à l'enrichissement de leur propre doctrine. Ce sera encore, à leurs yeux, une preuve de la justesse des théories politiques qu'ils défendaient.

Un Chef qui doit abandonner ses théories générales parce que reconnues fausses, n'agit avec dignité que s'il est prêt à en subir toutes les conséquences. En pareil cas, il doit s'interdire l'exercice public d'une action politique ultérieure. Puisqu'il est déjà tombé dans l'erreur sur des points essentiels, il peut y tomber une seconde fois. En aucun cas, il ri a le droit de continuer à prétendre à la confiance de ses concitoyens ou seulement de l'accepter.

On se conforme aujourd'hui bien peu à une telle ligne de conduite et cela prouve l'universelle bassesse de la canaille qui se croit actuellement appelée à faire de la politique.

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Mais dans toute cette canaille, trouverait-on un seul élu !

Je m'étais gardé jadis de m'afficher ouvertement en quoi que ce soit ; pourtant je crois m'être occupé de politique autant que quiconque. C'est seulement dans un très petit cercle que ''exposais ce qui m'agitait ou m'attirait intérieurement. Parler ainsi en petit comité avait beaucoup de bon : j'apprenais moins à parler qu'à pénétrer les idées et les opinions souvent extrêmement primitives des hommes. Ainsi, sans perdre de temps et en toute occasion, je continuais à compléter ma culture. Nulle part en Allemagne les circonstances ne s'y prêtaient alors, certes, autant qu'à Vienne.

*

Les préoccupations politiques dans la vieille monarchie danubienne étaient dans l'ensemble plus marquées et elles intéressaient un cercle plus étendu que dans l'Allemagne de l'époque, exception faite pour certaines parties de la Prusse, pour Hambourg et pour les côtes de la mer du Nord. J'entends ici par Autriche ce territoire du grand empire des Habsbourg, dont le peuplement allemand fut, de toute façon, non seulement l'occasion historique de la formation de cet Etat, mais aussi fut seul à pouvoir conférer à une formation politiquement aussi artificielle la vie morale qui l'anima plusieurs siècles. Et à mesure que le temps passait, l'existence et l'avenir de cet Etat dépendaient toujours davantage du maintien même de ce noyau central de l'empire.

Si les vieux Etats héréditaires représentaient le cœur de l'empire, cœur qui envoyait dans le circuit de la vie politique et artistique un sang toujours frais, Vienne était à la fois le cerveau et la volonté.

L'apparence de Vienne était vraiment celle d'une reine sur son trône, et suffisait à lui faire conférer l'autorité qui unissait tant de peuples différents. Elle faisait oublier par la magnificence de sa propre beauté les stigmates de l'âge de l'ensemble.

L'intérieur de l'empire autrichien avait beau tressaillir violemment des luttes sanglantes opposant les diverses nationalités : l'étranger, l'Allemagne en particulier, ne voyait que l'aimable image de Vienne. Illusion d'autant plus facile que celle-ci paraissait prendre, à cette époque, un ultime et plus éclatant essor. Sous la direction d'un bourgmestre véri-

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tablement génial, la vénérable résidence des empereurs du vieil empire s'éveilla une fois encore à une vie merveilleusement jeune. Le dernier grand Allemand sorti des rangs du peuple qui colonisa la Marche de l'Est, ne comptait pas officiellement parmi les « hommes d'Etat » ; pourtant ce Dr Lueger, bourgmestre de la « capitale d'empire et ville de résidence », obtint tour à tour des résultats inouïs dans tous les domaines - on peut le dire - qu'ils fussent économiques ou artistiques, de la politique communale. Il se montra, par ce détour, plus grand homme d'Etat que ne le furent alors à eux tous les « diplomates » déclarés.

Si l'apparence de nation que l'on nommait Autriche finit par s'effondrer, cela ne plaide en rien contre la capacité politique de l'élément allemand de la vieille Marche de l'Est. Il est impossible, avec dix millions d'hommes, de maintenir durablement un Etat de cinquante millions, à moins que des hypothèses parfaitement déterminées ne se trouvent justement réalisées en temps opportun.

L'Autrichien allemand avait des conceptions très larges. Il avait été habitué à vivre dans le cadre d'un grand empire et n'avait jamais perdu le sens des devoirs qui découlent de cette situation. Seul dans l'Etat au delà des frontières de l'étroit domaine de la couronne, il voyait encore celles de l'empire. Oui ! et quand le sort le sépara finalement de la grande patrie allemande, il s'efforça toujours d'assumer la charge accablante de maintenir allemand ce que ses ancêtres avaient jadis arraché à l'Est en des combats sans fin. Encore faut-il bien considérer que toutes les forces des Autrichiens allemands ne furent pas consacrées à cette tâche, car le cœur et le souvenir des meilleurs d'entre eux ne cessèrent jamais d'aller à la mère-patrie commune, et il n'en demeura qu'un reste pour le pays natal.

L'horizon général de l'Autrichien allemand était déjà relativement plus étendu. Ses relations économiques embrassaient fréquemment l'ensemble de l'empire protéiforme. Presque toutes les entreprises véritablement importantes se trouvaient entre ses mains ; il fournissait la majeure partie du personnel dirigeant, techniciens et employés. Il était aussi à la base du commerce extérieur, pour autant que les Juifs n'avaient pas mis la main sur ce domaine à eux quasi-dévolu. Politiquement, l'Autrichien allemand tenait seul encore l'ensemble de l'Etat. Le temps de service dans l'armée le

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jetait bien loin des étroites frontières de sa province. Nouvelle recrue, il prenait bien peut-être du service dans un régiment allemand, mais celui-ci pouvait aussi bien tenir garnison en Herzégovine qu'à Vienne ou en Galicie. Le corps d'officiers était encore allemand tout comme l'Administration supérieure dans sa grande majorité. L'art et la science étaient aussi allemands. Exception faite pour la camelote, fruit des tendances artistiques modernes, qui aurait d'ailleurs pu être attribuée aussi bien à un peuple de nègres. C'étaient des Allemands qui détenaient seuls et propageaient la véritable inspiration artistique. En musique, en architecture, en sculpture et en peinture, Vienne était la source inépuisable qui subvenait à toute la double monarchie sans jamais menacer de tarir.

Enfin l'élément allemand était encore le pivot de toute la politique extérieure, si l'on exceptait un petit nombre de Hongrois.

Toute tentative de sauver cet empire était cependant vaine, parce que la condition essentielle requise faisait défaut. Pour triompher des forces centrifuges des différents

peuples de l'Etat autrichien, il n'y avait qu'une possibilité : l'Etat serait gouverné, et aussi organisé intérieurement, d'une manière centralisée ; ou bien il ne serait pas.

A différentes époques de lucidité, cette opinion eut cours « en haut lieu », mais pour être bientôt oubliée ou bien écartée comme de réalisation difficile. Chaque projet de constitution plus fédérative de l'empire devait forcément avorter faute qu'un noyau agissant eût la prédominance dans l'Etat. A cela vinrent s'ajouter encore les données intérieures propres à l'Etat autrichien et essentiellement différentes de celles qu'offrait le Reich allemand quand il fut constitué par Bismarck. En Allemagne, il s'agissait seulement de vaincre les traditions politiques, car, au point de vue culture, il existait un fonds commun. Avant tout et à l'exception de petits fragments étrangers, le Reich ne comprenait que des représentants d'un même peuple.

En Autriche, la situation était exactement opposée.

Ici, dans chaque pays - sauf en Hongrie - le souvenir politique d'une grandeur propre disparut complètement, ou bien il s'effaça sous l'éponge du temps devenant tout au moins voilé et indistinct. Par contre, quand on mit en avant le principe des nationalités, des tendances ethniques prirent

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force dans les divers pays. Leur triomphe devait être d'autant plus facile qu'il commença à se former aux confins de la monarchie des Etats nationaux, dont les peuples, de même race que celle des poussières de peuples autrichiens ou de race voisine, purent exercer sur ces dernières une attraction personnelle plus grande que celle des Autrichiens allemands.

Vienne même ne put à la longue supporter ce combat. Quand le développement de Budapest en eut fait une ville, Vienne eut, pour la première fois, une rivale dont la mission ri était plus de maintenir la cohésion de la double monarchie, mais plutôt de renforcer l'une de ses individualités. En peu de temps, Prague devait suivre l'exemple, puis Lemberg, Laibach, etc. En même temps que ces anciennes villes provinciales s'élevaient au rang de capitales nationales de pays particuliers, elles devenaient les centres d'une vie intellectuelle de plus en plus particulariste. C'est ainsi seulement que les instincts politiques ethniques reçurent leur profondeur et leurs fondements spirituels. Il devait venir un jour où les poussées des divers peuples seraient plus puissantes que la force de cohésion des intérêts communs : alors c'en serait fini de l'Autriche.

Cette évolution se confirma très clairement à partir de la mort de Joseph II. Sa rapidité fut fonction d'une série de facteurs qui provenaient en partie de la monarchie elle-même, en partie de la situation extérieure de l'empire.

Si l'on voulait sérieusement accepter la lutte et combattre pour le maintien de cet Etat, seule une centralisation persévérante et ferme pouvait mener au but. Alors, on devait avant tout, en imposant le principe d'une langue d'Etat unique, stimuler la communauté nationale, jusque-là purement nominale, et mettre dans la main de l'Administration le moyen technique sans lequel il n'est pas possible à un Etat unifié de subsister. De même, ce n'était qu'à la longue, par l'école et par la propagande, que l'on pouvait créer un sentiment national commun. Ce but ne pouvait pas être atteint en dix ou vingt ans : il fallait compter avec des siècles, de même que, dans les questions de colonisation, la persévérance a plus d'importance que l'énergie dépensée à un moment donné.

Inutile d'insister sur la nécessité d'une unité absolue dans l'administration.

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Il fut pour moi infiniment riche d'enseignements d'établir pourquoi rien de tout cela n'advint, ou plutôt ne fut fait. Le coupable de cette omission fut aussi le seul coupable de la ruine de l'empire.

L'existence de la vieille Autriche, plu: que celle de tout autre Etat, était liée à la puissance de son gouvernement. Il lui manquait cette assise d'un Etat national qui, vienne à lui manquer la direction proprement dite, possède toujours dans so origine ethnique une force qui assure sa conservation. L'Etat ethnique peut quelquefois, grâce à l'inertie naturelle de ses populations et à la force de résistance qu'elle implique, supporter de façon étonnante et sans en souffrir gravement de longues périodes de mauvaise administration ou de mauvaise direction; c'est ce qui se passe souvent alors que toute apparence de vie a disparu d'un corps et que l'on se croit en présence d'un cadavre, jusqu'à ce que soudain le « passé pour mort » se relève et donne au reste de l'humanité des manifestations étonnantes de sa vitalité intacte.

Mais il en va tout autrement d'un empire composé de plusieurs peuples, qui n'est pas maintenu par la communauté du sang, mais par une poigne commune. Toute faiblesse de la direction ne produira pas dans un tel Etat un engourdissement analogue à celui des animaux hiver-neurs, mais elle sera au contraire l'occasion d'un réveil de tous les instincts particularistes qui pré-existent en chaque race, et qui n'ont pu se manifester aux époques où une volonté dominait.

C'est seulement par l'éducation commune, des siècles durant, par des traditions communes, par des intérêts communs, etc., que ce danger peut être atténué. Aussi plus de tels Etats seront jeunes, plus ils dépendront de la grandeur du régime gouvernant ; et l'on a vu souvent l'œuvre de conquérants ou de génies dominateurs qui ne furent pas continués, retomber dans le néant dès la mort du grand fondateur. Même après des siècles, du reste, on ne peut pas considérer ces dangers comme surmontés ; ils ne font souvent que sommeiller pour se réveiller ensuite brusquement dès que le régime, devenu trop faible, la force de l'éducation et le prestige de la tradition ne peuvent plus triompher de la poussée vitale propre aux différents rameaux.

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La faute, tragique de la Maison de Habsbourg fut sans doute de ne pas l'avoir compris.

A l'un seulement d'entre eux le destin éclaira encore une fois l'avenir de son pays. Puis ce flambeau s'éteignit pour toujours.

Joseph II, empereur romain de la nation allemande, perçut avec angoisse que sa maison, pressée sur les frontières extérieures de l'empire, disparaîtrait dans le tourbillon d'une Babylone de peuples s'il ne réparait pas, in extremis, la carence de ses aïeux. Avec une force surhumaine, l' « ami des hommes » se raidit contre l'incurie de ses prédécesseurs et chercha à réparer en dix ans le laisser-aller de plusieurs siècles. S'il avait eu seulement quarante ans de travail devant lui, si seulement les deux générations suivantes avaient poursuivi dans le même esprit l'œuvre commencée, le miracle aurait probablement eu lieu. Lorsqu'il mourut, après dix ans de règne à peine, épuisé de corps et d'esprit, son œuvre descendit avec lui au tombeau, et depuis lors dort son éternel sommeil dans la crypte des Capucins, sans avoir jamais été réveillée.

Ses successeurs n'étaient pas à la hauteur de cette tâche, ni par l'esprit, ni par la volonté.

Quand les premiers indices révolutionnaires d'un temps nouveau flambèrent à travers l'Europe, l'Autriche commença aussi à s'embraser peu à peu. Mais lorsque l'incendie finit par éclater, l'ardeur en fut accrue beaucoup moins pour des causes sociales, de classes ou de politique générale, que par des poussées d'origine ethnique.

La révolution de 1848 a pu être partout une lutte de classes, en Autriche, c'était déjà le début d'une nouvelle lutte de races. L'Allemand qui, oubliant cette origine du soulèvement révolutionnaire, ou ne la connaissant pas, se mettait cependant à son service, scellait ainsi son propre sort. Il aidait à éveiller l'esprit de la démocratie occidentale qui, en peu de temps, lui enleva les bases de sa propre existence.

La représentation parlementaire, sans l'institution et la consolidation préalables d'une langue d'Etat commune, portait le premier coup à la prépondérance allemande dans la monarchie. Mais, à partir de ce moment, l'Etat lui-même était également perdu. Tout ce qui s'ensuivit n'est que l'histoire du déclin d'un empire.

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Suivre cette désagrégation était aussi émouvant qu'instructif. La sentence de l'histoire s'exécuta à travers mille et mille péripéties de détails. La plupart des Autrichiens continuaient leur route, aveugles, au milieu des signes d'écroulement : cela prouvait seulement la volonté des dieux d'anéantir l'Autriche.

je ne veux pas me perdre dans des détails qui ne sont pas l'affaire de ce livre ; je veux seulement examiner plus à fond ceux de ces événements qui, causes éternelles de la ruine des peuples et des Etats, ont encore un intérêt d'actualité, et qui, enfin, ni aidèrent à asseoir mes conceptions politiques.

*

En tête des institutions qui pouvaient justifier le plus clairement le grignotage de la monarchie autrichienne, même à des yeux peu clairvoyants de petit bourgeois, se trouvait celle qui, plus que toute autre, aurait dû compter la puissance parmi ses attributs : le Parlement, ou, comme on l'appelait en Autriche, le Reichsrat.

Visiblement, le modèle de cette institution était en Angleterre, au pays de la classique « démocratie ».

On y prit toute la bienheureuse ordonnance et on la transporta à Vienne, en la changeant le moins possible. Le système anglais des deux Chambres fêta sa résurrection

dans la Chambre des députés et dans la Chambre des seigneurs. Seuls, les « édifices » eux-mêmes étaient déjà quelque peu différents.

Lorsqu'autrefois Barry fit surgir des flots de la Tamise son Palais du Parlement, il mit à contribution l'histoire de l'Imperium britannique et y puisa la décoration des 1.200 niches, consoles et colonnes de son Palais : ses statues et ses tableaux firent de la Chambre des lords et de la Chambre des communes comme le temple de Gloire de la Nation.

Ici survint pour Vienne la première difficulté : lorsque le Danois Hansen eut terminé le dernier pignon du palais de marbre destiné à la nouvelle représentation du peuple, il ne put mieux faire que d'en emprunter la décoration à l'antiquité. Hommes d'Etat et philosophes grecs et romains décorèrent la résidence théâtrale de la « Démocratie de l'Ouest » et, par un symbole ironique, les quadriges érigés

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aux faîtes des deux bâtiments s'élançaient vers les quatre points cardinaux, donnant ainsi au dehors même la meilleure image de l'activité à l'intérieur.

Les nationalités auraient refusé, y voyant une offense et une provocation, que l'on rendît hommage dans cet édifice à l'histoire autrichienne. Tout comme dans le Reich lui-même, ce ne fut que sous le tonnerre des batailles de la guerre mondiale que l'on osa consacrer au peuple allemand, par une inscription, l'édifice de Wallot.

Lorsque, n'ayant pas encore vingt ans, j'entrai pour la première fois dans le Palais du Franzensring pour assister à une séance de la Chambre des députés, je fus empoigné par le plus vif sentiment de répulsion.

Je détestais déjà le Parlement, mais non pas tout à fait en tant qu'institution. Au contraire, mes tendances libérales ne me permettaient pas d'envisager un autre mode de gouvernement. La pensée d'une quelconque dictature m'aurait apparu, rapprochée de mon attitude vis-à-vis de la maison des Habsbourg, comme un crime contre la liberté et contre toute raison,

Ma réelle admiration pour le Parlement anglais y contribuait beaucoup : elle m'avait été inspirée, sans que je m'en rendisse compte, par les innombrables journaux que j'avais lus étant jeune et je ne pouvais m'en défaire ainsi sans façon. La dignité avec laquelle la Basse Chambre elle-même s'acquittait là-bas de ses obligations et que notre presse nous présentait sous de si belle couleurs, m'en imposait beaucoup. Pouvait-il donc y avoir une forme plus élevée du gouvernement d'un peuple par lui-même ? De là, précisément, mon inimitié pour le Parlement autrichien : je tenais l'ensemble de ses errements pour indignes de son glorieux modèle. Mais un nouvel argument vint alors s'ajouter aux miens.

L'élément allemand dans l'Etat autrichien dépendait du sort que lui ferait le Reichsrat. Jusqu'à l'introduction du suffrage universel secret, il existait encore une majorité allemande au Parlement, modeste, il était vrai. Cette situation donnait déjà à réfléchir, car l'attitude incertaine de la Social-Démocratie su point de vue national la faisait toujours aller à l'encontre des aspirations des Allemands chaque fois que les intérêts de ceux-ci étaient en jeu : ceci par crainte de détacher d'elle ses partisans dans des peuples

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étrangers. Déjà, la Social-Démocratie ne pouvait donc être considérée comme un parti allemand, mais l'institution du suffrage universel fit cesser la suprématie allemande même au point de vue numérique. La route était maintenant libre à la « dégermanisation ».

Dès lors, mon instinctive conservation nationaliste s'accommoda mal à une chambre de représentants du peuple, où tout ce qui était allemand se trouvait, non pas représenté, mais trahi. Mais ces défauts, comme tant d'autres, étaient beaucoup moins imputables au système de scrutin qu'à l'Etat autrichien lui-même. J'avais déjà pensé qu'il ne se présenterait plus d'occasion, tant que survivrait le vieil Etat, pour que la majorité allemande recouvrât une position primordiale au Parlement.

C'est dans ces dispositions que je pénétrais pour la première fois dans ces lieux aussi vénérables que décriés. D'ailleurs, je ne les vénérais qu'en raison de la noblesse magnifique de l'édifice : une merveille grecque en terre allemande.

Mais il me fallut bien peu de temps pour me révolter en présence du lamentable spectacle qui se déroulait sous mes yeux !

Quelques centaines de représentants du peuple étaient présents, qui avaient justement à trancher une question économique importante. Cette journée me suffit à faire provision de réflexions pour plusieurs semaines.

La valeur intellectuelle des discours restait à un niveau bien bas, pour autant d'ailleurs qu'on pouvait les suivre ; car quelques-uns de ces messieurs ne parlaient pas l'allemand, mais le slave, leur langue maternelle, ou même un dialecte. J'avais l'occasion d'entendre de mes propres oreilles ce que je ne savais jusqu'alors que par les journaux. Une masse grouillante de gens gesticulant, s'interpellant l'un l'autre sur tous les timbres, et, dominant le tout, un lamentable vieux bonhomme tout en nage, agitant violemment sa sonnette, et s'efforçant tantôt par des appels au calme, tantôt par des exhortations, de ramener dans le ton un peu de la dignité parlementaire.

Je ne pus m'empêcher de rire.

Je revins quelques semaines plus tard. Le spectacle était changé, à en être méconnaissable. La salle était complètement vide. On y dormait ; quelques députés étaient assis

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à leurs places, et se regardaient en bâillant ; l'un d'eux "discourait". Un vice-président était présent, et considérait la salle d'un air visiblement ennuyé.

Je commençai à réfléchir. Maintenant, toutes les fois que j'en eus le loisir, je revins au Reichsrat, et chaque fois, silencieux et attentif, je regardais le spectacle, j'écoutais les discours - quand ils étaient compréhensibles j'étudiais les visages plus ou moins intelligents de ces élus des nations de cet Etat lamentable, et je me fis ainsi peu à peu des idées personnelles sur la question. Une année de cette observation tranquille me suffit pour modifier ou rejeter complètement mes vues antérieures sur la nature de cette institution. Je n'éprouvai plus de révolte intime contre la forme médiocre qu'elle avait prise en Autriche ; je m'en prenais maintenant au Parlement lui-même. J'avais jusqu'alors pensé que tout le mal venait de ce que le Parlement autrichien n'avait pas de majorité allemande ; j'estimais aujourd'hui qu'il fallait le chercher dans la forme et la nature de l'institution elle-même.

Toute une série de questions se posèrent alors à mon esprit.

Je commençai à me familiariser avec le principe démocratique de « décision de la majorité », base de tout le système, non sans accorder une sérieuse attention à la valeur intellectuelle et morale des hommes, à qui leur qualité d'élus des nations imposait un mandat à remplir.

J'appris ainsi à connaître en même temps l'institution et ceux qui la composaient.

En quelques années se dessina clairement pour moi, dans tous ses détails, le type le plus noble des temps modernes : le parlementaire. Il commença à revêtir dans mon esprit une forme qui ne subit, depuis, aucun changement essentiel. Une fois de plus, les leçons de choses de la réalité me préservèrent de m'égarer dans une théorie sociale qui peut paraître à beaucoup de gens peu séduisante au premier abord, mais qui n'en est pas moins à compter parmi les signes de déclin de l'humanité.

Dans l'Europe occidentale actuelle, la démocratie est le précurseur du marxisme, que l'on ne pourrait concevoir sans elle. Elle est pour cette peste mondiale le terrain de culture, sur lequel peut se propager l'épidémie. Et elle trouve son expression dans le parlementarisme avorton chez

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qui toute étincelle divine a malheureusement cessé d'animer la boue dont il est pétri.

Je suis très reconnaissant à mon destin de m'avoir fait étudier cette question pendant que j'étais encore à Vienne, car il est probable qu'en Allemagne, à la même époque, je l'aurais tranchée trop aisément. Si j'avais senti tout le ridicule de cette institution que l'on nomme « Parlement » à Berlin d'abord, je serais sans doute tombé dans l'excès contraire, et je me serais rangé, pour des raisons excellentes en apparence, du côté de ceux qui ne voyaient le salut du peuple et du Reich que dans un renforcement de la puissance et de l'idée impériales, salut qu'ils compromettaient cependant à cause de leur ignorance de leur temps.

En Autriche, il n`y avait pas à craindre de tomber aussi facilement d'une erreur dans l'autre. Si le Parlement ne valait rien, les Habsbourg ne valaient sûrement pas mieux et peut-être encore moins. Tout n'était pas fini quand on avait rejeté le parlementarisme ; la question restait entière : alors, quoi ? Supprimer le Reichsrat, c'était ne laisser comme puissance gouvernante que la maison de Habsbourg : idée tout à fait inadmissible, surtout pour moi.

La difficulté de résoudre ce cas particulier me conduisit à m'adonner plus complètement à ce problème, ce que je n'aurais certainement pas fait sans cela, jeune comme je l'étais.

Ce qui, en premier lieu, me donna à réfléchir; fut l'absence évidente de toute responsabilité à la charge de qui que ce soit.

Le Parlement prend une décision : quelque catastrophiques qu'en puissent être les conséquences, personne n'en porte la responsabilité, personne ne peut être appelé à rendre des comptes. Car est-ce prendre une responsabilité quelconque, lorsqu'après un désastre sans pareil; le gouvernement coupable se retire ou que la majorité change, ou que le Parlement est dissous ?

Une majorité vacillante d'individus peut-elle jamais être rendue responsable ?

L'idée de responsabilité a-t-elle un sens, si elle n'est pas encourue par une personne déterminée ?

Peut-on pratiquement rendre un chef du gouvernement responsable d'actes dont l'origine et l'accomplissement incombent à la volonté et à l'inclination d'une multitude d'individus ?

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Ne voit-on pas la tâche d'un dirigeant moins dans la conception d'un plan, que dans l'art d'en faire comprendre la valeur à un troupeau de moutons à têtes vides, pour mendier ensuite leur bienveillante approbation ?

Le criterium de l'homme d'Etat est-il de posséder su même degré l'art de convaincre et la finesse diplomatique nécessaire pour saisir les grands principes et prendre les grandes décisions ?

Cela prouve-t-il l'inaptitude d'un chef qu'il ne réussisse pas à gagner à une idée déterminée la majorité d'une assemblée, véritable tumeur ayant envahi 1'organisma dans des conditions plus ou moins propres ? Est-il d'ailleurs arrivé une seule fois qu'une bande de gens ait compris une idée avant que le succès en ait révélé la grandeur ?

Toute action de génie n'est-elle pas ici-bas une offensive prise par le génie contre l'inertie de la masse ?

Alors que doit faire l'homme politique qui ne réussit pas par des flatteries à gagner à ses projets la faveur de cette foule ?

Doit-il la stipendier ?

Ou bien doit-il, en présence de la stupidité de ses concitoyens, renoncer à accomplir les tâches qu'il a reconnues de nécessité vitale ? Doit-il se retirer ? Doit-il rester ?

Comment un homme qui a du caractère peut-il arriver à résoudre le conflit entre une pareille situation et ce qu'il juge décent, ou plus exactement honnête ?

Où est ici la limite qui sépare le devoir envers la communauté, et les obligations de l'honneur ?

Le véritable chef ne doit-il pas s'interdire des méthodes de gouvernement qui le ravalent au rang d'un politicien à la petite semaine ?

Et inversement, ce politicien à la petite semaine ne va-t-il pas se sentir obligé de faire de la politique du fait que ce ne sera jamais lui, mais une insaisissable troupe de gens, qui portera finalement le poids des responsabilités ?

Notre principe parlementaire de la majorité ne doit-il pas amener surtout la destruction de l'idée de chef ?

Croit-on encore que le progrès humain vienne, si peu que ce soit, du cerveau des majorités et non de la tête d'un homme ?

Ou bien prétend-on pouvoir s'affranchir à l'avenir de cette condition préalable de la civilisation ?

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Ne paraît-elle pas, au contraire, plus nécessaire aujourd'hui que jamais ?

Quand le principe parlementaire de l'autorité des majorités l'emporte sur celui de l'autorité d'un seul et remplace le chef par le nombre et par la masse; il va contre le principe aristocratique de la nature, sur lequel s'appuie d'ailleurs une conception de la noblesse qui ne laisserait place à aucun de nos premiers dix mille.

Quels désastres entraîne cette institution moderne de la souveraineté parlementaire, c'est ce qu'un lecteur de la presse juive peut difficilement s'imaginer, s'il n'a pas appris à réfléchir et à juger en toute indépendance. Elle est, en premier lieu, l'occasion de noyer l'ensemble de la vie politique sous un flot de petits incidents d'une mesquinerie incroyable. Ainsi, plus le véritable chef se retirera d'une activité politique, qui, dans la plupart des cas, consistera moins en créations et en travail féconds qu'en marchandages divers pour gagner la faveur de la majorité, plus la nature même de cette activité politique conviendra aux esprits mesquins et par suite les captivera.

De nos jours, plus un tel marchand de cuir sera petit d'esprit et de science, plus il aura conscience de la médiocrité navrante de ses actes publics et plus il appréciera un système de gouvernement qui n'exige de lui ni grande vigueur ni grand génie, mais qui s'accommode bien davantage d'une certaine finesse paysanne, n'ayant rien de commun avec la puissance d'esprit d'un Périclès. Un pareil sot n'a pas à redouter le poids de ses responsabilités, les conséquences de ses faits et gestes sont le moindre de ses soucis ; car il sait pertinemment que, quel que soit le résultat de ses élucubrations « politiques », sa chute est déjà écrite dans les astres : il aura un jour à faire place à un esprit tout aussi éminent. Car c'est encore là un signe de cette sorte de décadence, que le nombre des hommes d'Etat éminents augmente dans la mesure où dégringole la taille de chacun d'eux. Et cette taille diminue encore elle-même en proportion étroite avec la petitesse d'esprit des majorités parlementaires ; on comprend en effet fort bien, d'une part, que les esprits de valeur refusent de devenir les humbles clercs de honteux et impuissants bavards, et, d'autre part, que les représentants de la majorité, c'est-à-dire de la sottise, ne haïssent rien plus violem-

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ment qu'un homme supérieur. Une chambre de députés médiocres éprouve toujours une grande consolation à se savoir menée par un chef dont la valeur est au niveau de la sienne ; chacun a ainsi la satisfaction de pouvoir de temps en temps faire briller son esprit et, surtout, de se dire : puisque Pierre peut être le patron, pourquoi pas Paul, un jour ?

Mais au fin fond de cette belle invention de la démocratie, on peut observer un phénomène qui se manifeste scandaleusement de nos jours, avec une intensité croissante : c'est la lâcheté d'une grande partie de nos prétendus « dirigeants ». Quelle chance, pour eux, lorsqu'ils ont à prendre des décisions de quelque importance, de pouvoir s'abriter sous le parapluie d'une majorité ! Il suffit d'avoir vu une seule fois un de ces larrons de la politique, mendier avec inquiétude, avant chacune de ses décisions, l'approbation de la majorité, s'assurer ainsi les « complices » nécessaires et pouvoir, en tous cas, se laver les mains de toute responsabilité : un homme droit, un homme de cœur ne peuvent concevoir qu'hostilité et répulsion vis-à-vis de pareilles méthodes d'activité politique, tandis qu'elles attireront, su contraire, tous les caractères mesquins. Celui qui se refuse à prendre personnellement la responsabilité de ses actes, et qui cherche au contraire à toujours se couvrir, ri est qû un misérable et un lâche. Et quand les dirigeants d'une nation sont de pareils avortons, on en subit bientôt les graves conséquences. On n'a plus le courage d'agir avec fermeté ; on aime mieux subir des injures ignominieuses que faire l'effort de prendre une résolution, et nul ne se mettra en avant pour payer de sa personne, si quelque décision exige une exécution sans faiblesse.

Car il est une chose que l'on ne doit pas, que l'on n'a pas le droit d'oublier : la majorité ne peut jamais remplacer un homme. Elle représente toujours non seulement les sots, mais encore Ies lâches. Et aussi vrai que cent cervelles creuses ne peuvent valoir un sage, de cent couards on ne tirera jamais une résolution héroïque.

Cependant, moins le chef du gouvernement assumera de lourdes responsabilités, plus il se trouvera de gens, même lamentablement médiocres, qui se sentiront, eux aussi, appelés à mettre à la disposition de la nation des énergies dignes de l'immortalité. Rien ne les retiendra de venir

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enfin se mettre sur Ies rangs ; ils font la queue, comptent avec angoisse ceux qui attendent avant eux, et ils calculent presque le nombre d'heures qu'il leur faudra, à vue de nez, pour arriver au but. Toute vacance dans les places qu'ils ont en vue est ardemment souhaitée ; tout scandale qui éclaircit leurs rangs est le bienvenu. Si cependant l'un d'eux se cramponne à une situation acquise, ils le ressentent presque comme la rupture d'un arrangement sacré de solidarité commune. Alors ils se fâchent tout de bon et n'ont de cesse que l'effronté, enfin « tombé », n'ait rendu à la communauté le libre usage de sa place toute chaude. Et, du coup, il n'est pas près de la reconquérir. Car sitôt qu'une de ces tristes personnalités est forcée de quitter sa place, elle ne peut plus que se glisser de nouveau dans les rangs de ceux qui attendent, pour autant que les cris et les Injures qui 1 accueillent alors le lui permettent.

Le résultat de tout cela est le défilé effroyablement rapide des titulaires des postes et des emplois les plus importants de l'Etat : les conséquences en sont toujours néfastes, et souvent catastrophiques. Car il n'y a pas que des sots et des incapables qui soient victimes de ces mœurs parlementaires ; i1 en est de même et bien plus encore, du véritable chef, quand enfin le destin appelle un homme digne de ce nom à occuper cette place. Sitôt le chef révélé, il se constitue aussitôt contre lui un barrage rigoureux, surtout si la forte tête qui se permet de vouloir pénétrer dans une société aussi relevée, n est pas sortie de ses rangs. Ces messieurs tiennent essentiellement à n'être là qu'entre eux, et poursuivent d'une haine commune toute cervelle qui pourrait faire figure d'unité parmi des zéros. Et leur Instinct, si aveugle pour tant de choses, devient cette fois très clairvoyant.

Il en résulte que les classes dirigeantes souffrent d'une indigence d'esprit toujours plus accentuée. Et chacun peut évaluer combien peuvent en souffrir la nation et l'Etat, pour autant qu'il n'appartient pas lui-même à cette sorte de « chefs ». Le régime parlementaire était pour l'ancienne Autriche un véritable bouillon de culture.

Certes, les ministres-présidents étaient nommés par l'empereur et roi, mais il ne faisait que ratifier chaque fois l'expression de la volonté du Parlement. Tous Ies marchandages pour les places de ministre étaient de la démocratie

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occidentale du meilleur aloi. Les résultats valaient ce que valaient les principes. En particulier, il était pourvu au remplacement de chaque personnalité dans des délais chaque fois plus courts ; cela devenait à la fin une véritable course. Chaque fois, la valeur de « l'homme politique » choisi était un peu plus faible, jusqu'à ce qu'on en arrivât à ce type de petits poux de Parlement, dont les capacités politiques ne se mesurent qu'à leur art de savoir chaque fois recoller une majorité, autrement dit à arranger ces petites « affaires » de politique, qui sont les seules besognes pratiques pour lesquelles ils ont de l'aptitude. En toutes ces matières, Vienne était le meilleur observatoire et la meilleure école que l'on pût fréquenter. J'aimais aussi mettre en balance les connaissances et capacités de ces représentants du peuple, et la difficulté des problèmes qu'ils auraient à résoudre. Pour cela, il fallait bien évaluer de plus près l'étendue de l'horizon intellectuel de nos députés ; l'ayant fait, on ne pouvait plus se désintéresser des circonstances dans lesquelles ces astres splendides avaient été découverts au firmament de notre vie publique.

La façon dont les capacités réelles de ces beaux sires s'employaient au service de la patrie - donc la technique même de leur activité politique - valait également la peine d'être étudiée et examinée à fond. Le spectacle de la vie parlementaire paraissait d'autant plus lamentable que l'on pénétrait davantage dans sa structure intime, en étudiant les hommes et les faits avec une objectivité pénétrante, et sans ménagements: objectivité certes tout indiquée à l'égard d'une institution dont les partisans ne font pas deux phrases sans faire allusion à cette même « objectivité », comme à la seule base juste d'ou l'on puisse examiner une question ou y prendre position. Alors, examinons-les à leur tour, ces messieurs, eux et les règles de leur cruelle existence, et nous arriverons à des résultats étonnants.

Il n est pas de principe qui, considéré objectivement, soit aussi faux que le principe parlementaire.

Passons ici sur la façon dont a lieu l'élection de MM. les représentants du peuple, et surtout dont ils conquièrent leur siège et leur nouvelle dignité. Il est bien évident que le succès de chacun d'eux ns donne satisfaction que pour une part véritablement infime aux désirs et aux besoins de tout un peuple : il suffit de se rendre compte que l'intelli-

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gence politique de la masse n'est pas assez développée pour parvenir d'elle-même à des conceptions politiques générales et précises, et pour trouver elle-même les hommes qui seraient capables de les faire aboutir.

Ce que nous désignons toujours par « opinion publique d ne repose que pour une part minime sur l'expérience personnelle et sur les connaissances des individus ; par contre, elle est en majeure partie suscitée, et cela avec une persévérance et une force de persuasion souvent remarquable, par ce qu'on appelle « l'information ».

De même que les convictions religieuses de chacun sont issues de l'éducation, et que ce sont seulement les aspirations religieuses qui sommeillent au cœur de l'homme, ainsi 1'opinion politique de la masse est l'aboutissement d'une préparation de l'âme et de l'esprit souvent incroyablement opiniâtre et profonde.

La part de beaucoup la plus forte prise à la « formation m politique, que l'on désigne en ce cas d'une façon très heureuse par le mot de propagande, incombe à la presse. Elle assume en tout premier lieu le travail d' « information n et devient alors une sorte d'école pour les adultes. Seulement, cet enseignement n'est pas aux mains de l'Etat, mais entre les griffes de puissances, qui, pour la plus grande part, sont tout à fait néfastes. Encore jeune j'avais eu, précisément à Vienne, l'occasion d'approcher les propriétaires et les fabricants d'idées de cette machine à éduquer le peuple. Mon premier étonnement fut le peu de temps qui est nécessaire à cette puissance, la plus pernicieuse de l'Etat, pour créer une opinion déterminée, même si elle va complètement à l'encontre des idées et des aspirations les plus réelles et les plus certaines de la communauté: En quelques jours, la presse sait, d'un ridicule petit détail, faire une affaire d'Etat de grosse importance, et inversement, en aussi peu de temps, elle fait tomber dans l'oubli des problèmes vitaux jusqu'à les rayer complètement de la pensée et du souvenir du peuple.

C'est ainsi que l'on parvenait en quelques semaines à sortir de façon magique certains noms du néant, à y attacher par une large publicité, des espérances inouïes, à leur créer enfin une popularité telle qu'un homme de véritable valeur ne peut de sa vie en espérer autant ; des noms qu'un mois auparavant personne n'avait entendu prononcer, étaient

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lancés partout, alors qu'au même moment des faits anciens et bien connus, relatifs à la vie de l'Etat ou à la vie publique, étaient enterrés en pleine santé ; parfois même ces noms avaient été prononcés à l'occasion de telles turpitudes qu'il semblait qu'ils eussent dû plutôt rester associés au souvenir d'une bassesse ou d'une coquinerie bien déterminées. Il faut étudier spécialement chez les Juifs l'infamie qui consiste à déverser d'un seul coup et de cent poubelles à la fois, comme à l'appel d'une baguette magique, les plus basses et les plus honteuses calomnies sur le vêtement immaculé d'un homme d'honneur : alors on pourra révérer comme ils le méritent ces dangereux voyous des journaux.

Il n'est rien dont ne soient capables ces chevaliers d'industrie de la pensée, pour en venir à leurs fins odieuses. Ils vont jusqu'à s'introduire dans les affaires de famille les plus secrètes ; ils fouinent jusqu'à ce que leur instinct de chercheurs de truffes leur ait fait trouver quelque pitoyable événement, capable de porter le coup de grâce à leur malheureuse victime. S'ils ne trouvent absolument rien, malgré tout leur flair, ni dans la vie publique ni dans la vie privée, les gaillards ont simplement recours à la calomnie, fermement persuadés que non seulement quelque chose en restera malgré de multiples rétractations, mais encore que lorsque l'écho aux cent bouches aura fait son œuvre dans quelques journaux complices, toutes les révoltes de la victime resteront le plus souvent sans effet. Au reste cette bande de gredins n'attaque pas pour quelqu'une des raisons qui pourraient être celles de tout le monde, ou en être comprises. Dieu nous en garde ! Lorsqu'un de ces rôdeurs de barrière entreprend ses chers concitoyens d'aussi fourbe façon, il s'entoure, comme un poulpe de son nuage d'encre, de belles phrases pleines de loyauté et d'onction ; il se répand en protestations sur les « obligations du journaliste » ou en d'aussi piètres mensonges ; il va même plus loin dans les réunions et dans les congrès où ce fléau sévit avec la plus grande intensité : alors il radote sur une forme toute particulière de l'honneur, « l'honneur journalistique », et toute cette canaille assemblée opine du bonnet en hochant la tête avec gravité.

Voilà la bande qui fabrique « l'opinion publique », d'où naîtront ensuite les parlementaires, comme Vénus est née de l'écume des flots.

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Pour décrire en détail le mécanisme de l'institution parlementaire et montrer tout ce qu'elle a d'illusoire, il faudrait écrire des volumes. Mais si, cessant d'en considérer l'ensemble, on n'examine que le résultat de son activité, on en aura assez vu pour conclure qu'elle doit être tenue pour un non-sens dans son objet même, fût-elle envisagée dans l'esprit le plus orthodoxe.

On comprendra plus vite et plus facilement que l'homme s'est dangereusement et follement égaré dans cette voie, en comparant le parlementarisme démocratique à la véritable démocratie allemande.

Le caractère le plus remarquable du parlementarisme est le suivant : on élit un certain nombre d'hommes (ou de femmes aussi, depuis quelque temps); mettons cinq cents; et désormais il leur incombe de prendre en toutes choses la décision définitive. Ils sont donc, dans la pratique, le seul gouvernement ; ils nomment bien un cabinet, qui prend aux regards de l'extérieur la direction des affaires de l'Etat, mais il n'y a là qu'une apparence. En réalité, ce prétendu gouvernement ne peut faire un pas sans être allé au préalable quémander l'agrément de toute l'assemblée. Mais alors on ne pourra le rendre responsable de quoi que ce soit, puisque la décision finale est toujours celle du Parlement, et non la sienne. Il n'est jamais que l'exécuteur de chacune des volontés de la majorité. On ne saurait équitablement se prononcer sur sa capacité politique que d'après l'art avec lequel il s'entend, soit à s'ajuster à l'opinion de la majorité, soit à l'amener à la sienne. Mais de la sorte, il déchoit du rang de véritable gouvernement à celui de mendiant auprès de chaque majorité. Il n'aura plus désormais de tâche plus pressante que de s'assurer de temps en temps l'approbation de la majorité existante, ou bien d'essayer d'en former une nouvelle mieux orientée. Y réussit-il : il lui sera permis de « gouverner » encore quelque temps ; sinon, il n'a plus qu'à s'en aller. La justesse proprement dite de ses vues n'a aucun rôle à jouer là-dedans.

C'est ainsi que toute notion de responsabilité est pratiquement abolie.

On voit très simplement les conséquences de cet état de choses :

Ces cinq cents représentants du peuple, de professions et d'aptitudes diverses, forment un assemblage hétéroclite

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et bien souvent lamentable. Car, ne croyez nullement que ces élus de la nation sont en même temps des élus de l'esprit ou de la raison. On ne prétendra pas, j'espère, que des hommes d'Etat naissent par centaines des bulletins de vote d'électeurs qui sont tout plutôt qu'intelligents. On ne saurait assez s'élever contre l'idée absurde que le génie pourrait être le fruit du suffrage universel ! D'abord une nation ne donne un véritable homme d'Etat qu'aux jours bénis et non pas cent et plus d'un seul coup ; ensuite, la masse est instinctivement hostile à tout génie éminent. On a plus de chances de voir un chameau passer par le trou d'une aiguille que de « découvrir » un grand homme su moyen d'une élection. Tout ce qui a été réalisé d'extraordinaire depuis que le monde est monde l'a été par des actions individuelles. Cependant cinq cents personnes de valeur plus que modeste prennent des décisions relatives aux questions les plus importantes de la nation, et instituent des gouvernements qui doivent ensuite, avant de résoudre chaque question particulière, se mettre d'accord avec l'auguste assemblée ; la politique est donc faite par les cinq cents.

Et le plus souvent il y paraît bien !

Ne mettons même pas en cause le génie des représentants du peuple. Considérons simplement la diversité des problèmes à résoudre, la multiplicité des liens de dépendance mutuelle qui enchevêtrent les solutions et les décisions, et nous comprendrons toute l'impuissance d'un système de gouvernement, qui remet le pouvoir de décision à une réunion plénière de gens dont une infime partie seulement possède les connaissances et l'expérience requises pour traiter la question envisagée. C'est ainsi que les affaires économiques les plus importantes seront traitées sur un forum où il ne se trouvera pas un membre sur dix ayant fait jadis de l'économie politique. Cela revient à remettre la décision finale sur un sujet donné, aux mains de gens qui n'en ont pas la moindre idée.

Et il en est de même pour toutes les questions. C'est toujours une majorité d'impuissants et d'ignorants qui fait pencher la balance, étant donné que la composition de l'assemblée ne varie pas, alors que les problèmes à traiter touchent à tous les domaines de la vie publique : cela devrait supposer un continuel roulement des députés appelés à en

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discuter et à en décider. Car il est impossible de laisser les mêmes gens traiter, par exemple, une question d'intérêts commerciaux et une question de politique générale. Il faudrait qu'ils fussent tous des génies universels comme il s'en révèle un en plusieurs siècles. Hélas I ce ne sont, le plus souvent, pas même des as, mais des dilettantes bornés, surfaits et remplis d'eux-mêmes, un demi-monde intellectuel de la pire espèce. D'où la légèreté souvent incroyable avec laquelle ces messieurs parlent et concluent sur des sujets que les plus grands esprits ne traiteraient, eux-mêmes, qu'en y réfléchissant longuement. On les voit prendre des mesures de la plus haute importance pour l'avenir de tout un Etat, voire d'une nation, comme s'il y avait sur la table une partie de tarots ou « d'idiot » (1), et non pas le sort d'une race.

On serait mal fondé à croire que chaque député d'un tel Parlement prend toujours de lui-même ses responsabilités d'un cœur aussi léger.

Non, absolument pas. Au contraire, ces errements, en obligeant certains députés à prendre position sur des questions qui leur échappent, affaiblissent peu à peu leur caractère. Car pas un n'aura le courage de déclarer : « Messieurs, je crois que nous ne comprenons rien à cette affaire. Tout au moins en ce qui me concerne. » D'ailleurs, cela n'y changerait rien, d'abord parce que cette droiture demeurerait incomprise, ensuite parce qu'on saurait bien empêcher l'honnête bourrique de « gâcher ainsi le métier u. Qui connaît les hommes comprendra que, dans une aussi illustre société, chacun ne tient pas à être le plus bête, et que, dans ce milieu, loyauté égale bêtise.

Ainsi un député qui aura commencé par être à peu près honnête, s'engagera nécessairement dans la voie du mensonge et de la tromperie. La certitude même que l'abstention d'un seul ne changera rien à rien, tue tout sentiment d'honnêteté qui pourrait encore subsister chez l'un ou chez l'autre. Finalement, chacun se persuade que personnellement il n'est pas, il s'en faut, le plus incapable du lot, et que sa collaboration évite encore un ma.l plus grand.

On objectera sans doute que, s'il est vrai que chaque

(1) N. D. T. - schafkopf signifie imbécile, idiot; le perdant d'un eu de cartes allemand qui porte ce nom est gratifié lui-même de ce qualificatif.

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député en particulier ne possède pas une compétence s'étendant à toutes les questions, du moins il vote avec son parti, qui guide ses actes politiques ; or, le parti a ses comités, qui sont éclairés de manière plus que suffisante par des experts.

L'argument paraît valable au premier abord. Mais alors une autre question se pose : pourquoi élit-on cinq cents personnes, quand quelques-unes seulement ont assez de sagesse et de savoir pour prendre position sur les sujets les plus importants ?

Oui, c'est précisément là le fond de la question.

Notre parlementarisme démocratique actuel ne cherche nullement à recruter une assemblée de sages, mais bien plutôt à rassembler une troupe de zéros intellectuels, dont la conduite, dans une direction déterminée, sera d'autant plus facile que chaque élément en est plus borné. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut faire une « politique de partis » dans le mauvais sens actuel de cette expression. Mais c'est aussi le seul moyen à employer pour que celui qui tire les ficelles puisse rester prudemment en arrière, sans être jamais amené à prendre de responsabilités. De la sorte, toute décision néfaste au pays ne sera pas mise sur le compte d'un coquin connu de chacun, mais sur les épaules de tout un parti.

Ainsi disparaît pratiquement toute responsabilité, car celle-ci peut bien être mise à la charge d'une personne déterminée, non d'un groupe parlementaire de bavards. En conséquence, le régime parlementaire ne peut plaire qu'à des esprits sournois, redoutant avant tout d'agir au grand jour. Il sera toujours abhorré de tout homme propre et droit, ayant le goût des responsabilités.

Aussi cette forme de la démocratie est-elle devenue l'instrument cher à cette race qui, roulant constamment des projets cachés, a le plus de raisons de craindre la lumière, maintenant et toujours. Il n'y a que le Juif qui puisse apprécier une institution aussi sale et aussi fourbe que lui-même.

*

A cette conception s'oppose celle de la véritable démocratie allemande, dont le chef librement choisi doit prendre sur lui la responsabilité entière de tous ses faits et gestes. Une telle démocratie n'admet pas que les différents pro-

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blèmes soient tranchés par le vote d'une majorité ; un seul décide, qui répond ensuite de sa décision, sur ses biens et sur sa vie.

Si on objecte à cela que, dans de pareilles conditions, il serait difficile de trouver un homme prêt à se consacrer à une tâche comportant de tels risques, il n'y a qu'une seule réponse à faire :

Dieu soit loué, c'est justement là le vrai sens d'une démocratie allemande, qui n'admet pas que le premier ignoble arriviste venu, qu'un embusqué moral puisse arriver, par des voies détournées, à gouverner ses concitoyens ; la crainte de la responsabilité qu'on doit assumer écartera les incapables et les faibles.

Si, pourtant, il advient qu'un pareil individu s'efforce de se faufiler au pouvoir, on peut le démasquer facilement et lui crier sans ménagements : arrière, lâche voyou ! Retire ton pied, tu souilles les marches ; car, seuls, entrent au Panthéon de l'histoire les héros et non les intrigants.

*

J'arrivai à cette conclusion après avoir fréquenté pendant deux ans le Parlement de Vienne.

Je n'y remis plus les pieds ensuite.

Le régime parlementaire fut une des causes principales de l'affaiblissement du vieil Etat habsbourgeois, affaiblissement de plus en plus marqué pendant Ies dernières années. Plus son action compromettait la primauté de l'élément allemand, plus on s'égarait à jouer des antagonismes nationaux. Dans le Reichsrat, cela se faisait toujours au détriment des Allemands, et de ce fait, en fan de compte, au détriment de l'empire ; car le plus niais pouvait discerner, vers 1900, que la force de cohésion de la monarchie ne suffisait plus à contrebalancer les tendances séparatistes des provinces. Au contraire.

Les moyens que l'Etat employait pour se maintenir devenaient mesquins et lui valaient le mépris général. Non seulement en Hongrie, mais aussi dans les diverses provinces slaves, on s'identifiait si peu avec la monarchie commune qu'on ne ressentait plus quant à soi aucune honte de sa faiblesse. On se réjouissant plutôt de ces symptômes de décrépitude ; on espérait plus de sa mort que de sa guérison.

Au Parlement, l'effondrement complet était prévenu par

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des concessions humiliantes, en cédant au moindre chantage, et c'est l'Allemand qui payait ensuite les frais. On l'évitait dans le pays en jouant aussi ingénieusement que possible des différentes nationalités. Mais, dans l'ensemble, l'évolution était cependant dirigée contre les Allemands. Surtout après que sa situation d'héritier du trône eût permis à l'archiduc François-Ferdinand d'exercer une influence certaine, la politique pro-tchèque, poursuivie depuis le haut vers le bas, devint réfléchie et coordonnée. Le futur souverain de la double monarchie s'efforça par tous les moyens possibles de favoriser la dégermanisation, soit en y contribuant directement, soit, tout au moins, en la couvrant. Par le moyen détourné du choix des fonctionnaires d'Etat, des localités purement allemandes furent poussées, lentement, mais sûrement, dans la zone dangereuse des régions mixtes. Ce développement commençait à faire des progrès de plus en plus rapides même en Basse-Autriche, et Vienne était déjà considérée par beaucoup de Tchèques comme leur plus grande ville.

L'idée maîtresse de ce nouveau représentant des Habsbourg, dont la famille parlait surtout tchèque (la femme de l'archiduc, ancienne comtesse tchèque, avait contracté avec le prince un mariage morganatique ; elle était issue d'un milieu où la germanophobie était de tradition), était la création graduelle d'un Etat slave dans l'Europe centrale, basé sur des principes strictement catholiques et devant servir d'appui contre la Russie orthodoxe. La religion, comme cela s'est w bien des fois chez les Habsbourg, était de nouveau exploitée dans l'intérêt d'une idée purement politique, et par surcroît, d'une idée néfaste, du moins au point de vue allemand.

Les résultats furent plus que tristes sous bien des rapports.

Ni la maison des Habsbourg, ni l'Eglise catholique ne reçurent la récompense attendue.

Habsbourg perdit son trône, Rome perdit un grand Etat. Car la couronne, en mettant des considérations religieuses au service de ses buts politiques, éveilla un esprit qu'elle n'avait certes jamais tenu pour existant. La tentative d'extirper par tous les moyens le germanisme dans la vieille monarchie eut pour réplique la croissance du mouvement pangermaniste en Autriche.

Vers 1880-1890, le libéralisme manchestrien d'inspira-

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tion juive avait atteint aussi, sinon déjà dépassé son point culminant en Autriche. Mais la réaction contre cette tendance se développa comme toujours dans la vieille Autriche, en partant surtout d'un point de vue national et non social. L'instinct de conservation força les Allemands à se défendre sous la forme la plus active. Les considérations économiques ne commencèrent à exercer une influence décisive que bien lentement, en second lieu. De cette façon surgirent du chaos politique général deux organismes de parti, l'un plutôt national, l'autre plutôt social, mais tous les deux très intéressants et pleins d'enseignements pour l'avenir. Après l'issue déprimante de la guerre de 1866, la maison des Habsbourg avait eu l'idée d'une revanche sur le champ de bataille. La fin tragique de l'empereur Maximilien du Mexique, dont l'aventure malheureuse était attribuée en premier lieu à Napoléon III, et dont l'abandon par les Français provoqua l'indignation générale, prévint seule un rapprochement avec la France. Néanmoins, les Habsbourg se tinrent aux aguets. Si la guerre de 1870-1871 n'avait pas été une campagne victorieuse sans pareille, la cour de Vienne aurait peut-être quand même risqué d'engager le jeu sanglant d'une revanche de Sadowa. Mais aussitôt que se répandirent les premières nouvelles héroïques des champs de batailles, miraculeuses, à peine croyables, et pourtant vraies, le plus « sage » des monarques comprit que l'heure n'était point propice et fit, autant que possible, contre mauvaise fortune bon cœur.

Mais la lutte héroïque de ces deux années avait accompli un miracle bien plus puissant ; chez les Habsbourg, le changement de leur orientation ne correspondit jamais à une impulsion du cœur ; il ne fut dicté que par la force des circonstances. Mais le peuple allemand, dans l'ancienne Marche de l'Est, se sentit emporté par l'ivresse victorieuse du Reich et contempla avec un saisissement profond la résurrection du rêve des ancêtres dans une réalité magnifique.

Car il ne faut pas s'y méprendre : l'Autrichien de tendance vraiment allemande avait reconnu, à partir de ces heures, que même Königgrätz n'avait été que la condition préalable tragique, mais nécessaire, du rétablissement d'un empire qui ne serait plus atteint du marasme pourri de l'ancienne Fédération et que le nouvel empire n'en était pas atteint. Il avait surtout appris à fond, par sa propre expérience, que

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la maison des Habsbourg avait achevé sa mission historique et que le nouvel empire ne pouvait élire empereur que celui qui, pénétré de principes héroïques, poserait la « Couronne du Rhin » sur une tête qui en était vraiment digne. Et il faut d'autant plus bénir le sort, car ce choix put tomber sur le rejeton d'une dynastie qui avait, dans une époque trouble, déjà donné pour toujours à la nation un symbole éclatant et édifiant dans la personne du grand Frédéric.

Mais quand la maison des Habsbourg, après cette grande guerre, s'engagea résolument dans la voie d'une extermination lente. mais implacable, des dangereux éléments germaniques de la double monarchie (dont les vrais sentiments ne présentaient pour elle aucun doute) - tel devait être le résultat final de ta politique de slavisation - alors, la résistance de ce peuple, voué à la destruction, éclata d'une façon que l'histoire allemande des derniers temps n'avait pas encore connue.

Pour la première fois, des hommes de tendances nationales et patriotiques devinrent des rebelles.

Rebelles, non pas contre la nation, ni même contre l'Etat lui-même, mais rebelles contre une méthode de gouvernement qui devait conduire, selon leur conviction, à la perte de leur propre nationalité.

Pour la première fois dans l'histoire allemande des temps modernes, le patriotisme local et dynastique se sépara de l'amour national pour la patrie et le peuple.

Ce qui fait le mérite du mouvement pangermaniste dans l'Autriche allemande en 1890-1900, c'est qu'il a établi, d'une façon claire et non équivoque, que l'autorité de l'Etat ne saurait revendiquer 1'estime et la protection du peuple que s'il se conforme aux intérêts nationaux, ou du . moins s'il ne leur nuit point.

L'autorité de l'Etat ne peut être un but en soi-même, car, dans ce cas, toute tyrannie serait inviolable et sacrée.

Quand un gouvernement conduit un peuple à sa ruine par tous les moyens, la rébellion de chaque membre de ce peuple devient non pas un droit, mais un devoir.

La question : Quand un tel cas se présente-t-il ? ne trouve pas de réponse par des dissertations de théorie ; elle se tranche par la force, et le succès en décide.

Comme tout gouvernement se considère naturellement

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comme obligé de maintenir pour son compte l'autorité du pouvoir d'Etat - même s'il est le plus mauvais et s'il a trahi mille fois les intérêts nationaux - l'instinct de conservation nationale, dans sa lutte contre un tel pouvoir, devra utiliser, pour conquérir sa liberté ou son indépendance, les mêmes armes dont son adversaire se sert pour se maintenir. Par conséquent, la lutte doit être menée par des moyens « légaux » aussi longtemps que le pouvoir déclinant s'en sert ; mais on ne doit pas hésiter à recourir à des moyens illégaux, si l'oppresseur, lui aussi, les emploie.

Mais, en général, on ne doit pas oublier que le but suprême de l'existence des hommes n'est pas la conservation d'un Etat : c'est la conservation de leur race.

Quand la race est en danger d'être opprimée ou même éliminée, la question de la légalité ne joue plus qu'un rôle secondaire. Dans ce cas, il importe peu que le pouvoir existant applique des moyens absolument légaux ; l`instinct de conservation des opprimés sera toujours la justification la plus élevée de leur lutte par tous les moyens.

Toutes les luttes pour la libération de l'esclavage intérieur et aussi extérieur sur cette terre, dont l'histoire nous montre de prodigieux exemples, ont été menées en vertu de ce principe.

Le droit des hommes prime le droit de 1'Etat.

Et si un peuple succombe dans sa lutte pour les droits de l'homme, c'est qu'il a été pesé sur la balance du sort et a été trouvé trop léger pour avoir droit au bonheur de l'existence dans ce monde terrestre. Car celui qui n'est point prêt à lutter pour son existence, ou n'en est pas capable, est déjà prédestiné à sa perte par la Providence éternellement juste. Le monde n'est point fait pour les peuples lâches.

*

L'exemple de l'Autriche prouve d'une façon claire et impressionnante qu'il est bien facile pour une tyrannie de se draper du manteau de la prétendue « légalité ».

Le pouvoir légal s'appuyait alors sur le fond germanophobe du Parlement, avec ses majorités non-allemandes, et sur la dynastie, elle aussi, hostile aux Allemands. Tout le pouvoir de l'Etat était personnifié par ces deux facteurs. Il aurait été absurde de prétendre changer le sort du peuple allemand de l'Autriche en s'appuyant sur ces mêmes

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facteurs. Mais cela signifie, suivant l'opinion de nos adorateurs de la « voie légale », qu'il aurait fallu renoncer à toute résistance, parce qu'elle ne pouvait être conduite par des moyens légaux. Cela eût inévitablement entraîné la perte du peuple allemand dans la monarchie en un laps de temps bien court. En effet, les Allemands d'Autriche n'ont été préservés de ce sort que par l'effondrement de l'Etat.

Le théoricien en lunettes mourrait, certes, plus volontiers pour sa doctrine que pour son peuple.

Les hommes se donnent-ils des lois, il croit que c'est ensuite pour elles qu'ils existent.

Le mérite du mouvement pangermaniste de jadis, en Autriche, fut d'avoir balayé radicalement tout ce non-sens, à la stupeur de tous les théoriciens doctrinaires et autres fétichistes de l'Etat.

Tandis que les Habsbourg s'efforçaient par tous le moyens de circonvenir les Allemands, ce parti attaqua et sans aucun ménagement - la « sérénissime » dynastie. Il fut le premier à mettre la sonde dans cet Etat corrompu, et il ouvrit les yeux à des centaines de milliers d'hommes. Ce fut son mérite d'avoir libéré la notion sublime de l'amour pour la patrie, de l'étreinte de cette triste dynastie.

Le nombre de ses partisans fut extraordinaire au début, il menaça de devenir une véritable avalanche. Mais ce succès n'eut point de durée. Quand j'arrivai à Vienne, ce mouvement avait déjà été dépassé depuis longtemps par le parti chrétien-social, parvenu au pouvoir ; il était descendu à un niveau presque absolument insignifiant.

Tout cet épisode de l'épanouissement et du déclin du mouvement pangermaniste et de l'ascension incroyable du parti chrétien-social resta pour moi un sujet classique d'études de la plus haute importance. Quand j'arrivai à Vienne, mes sympathies allaient pleinement et entièrement à la tendance pangermaniste.

J'étais profondément impressionné et je me réjouissais de ce qu'on avait le courage de crier : « Vivent les Hohenzollern ! » en plein Parlement ; je sentais en moi une assurance joyeuse en voyant qu'on se considérait comme une partie de l'Empire allemand temporairement détachée, qu'on s'efforçait de le manifester en toute occasion ; l'attitude droite et sans compromis dans toutes les questions où le germanisme était en cause, me paraissait la seule voie encore

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possible pour le salut de notre peuple ; mais je ne pouvais comprendre pourquoi ce mouvement s'était tellement étiolé après un début si brillant. Je comprenais encore moins pourquoi le parti chrétien-social était parvenu, pendant la même période, à une puissance aussi formidable. Il se trouvait justement au sommet de sa gloire.

Quand je me mis à comparer les deux mouvements, le sort, ma triste situation générale aidant, me donna le meilleur enseignement pour la solution de ce problème.

Je commence mon analyse par les deux hommes qui furent les chefs et les fondateurs des deux partis : Georg von Schoenerer et Dr Karl Lueger.

En tant que personnalités, ils s'élèvent, l'un et l'autre, bien au-dessus du cadre et de l'échelle du milieu parlementaire. Toute leur vie resta pure et intègre au milieu du bourbier de la corruption politique générale. Mes sympathies personnelles allèrent, au début, au pangermaniste Schoenerer, mais, peu à peu, elles se tournèrent aussi vers le chef chrétien-social. En comparant leurs facultés, je considérai déjà alors que Schoenerer était un penseur meilleur et plus profond dans les problèmes de principe. Il prévit mieux et plus clairement que tout autre la fin inévitable de l'Etat autrichien. Si, dans le Reich, l'on avait mieux écouté ses avertissements su sujet de la monarchie des Habsbourg, le malheur d'une guerre mondiale de l'Allemagne contre toute l'Europe ne se serait jamais produit.

Mais si Schoenerer pénétrait le sens profond des problèmes, il se trompait d'autant plus en ce qui concerne les hommes.

Là était la force du Dr Lueger.

C'était un rare connaisseur d'hommes, qui se gardait surtout de voir les hommes meilleurs qu'ils ne le sont en réalité. Aussi calculait-il mieux les possibilités réelles de la vie, tandis que Schoenerer n'en avait guère le sentiment. Tout ce que le pangermaniste pensait était juste en théorie ; mais la force et la pénétration lui manquaient pour communiquer ses idées au peuple ; il ne savait pas les mettre à la portée de la masse dont les facultés restent toujours limitées; et sa clairvoyance prophétique n'aboutissait jamais à une idée pratiquement réalisable.

Son manque de connaissance réelle des hommes le conduisit par la suite à des erreurs de jugement sur la force

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grégaire des mouvements de masses, aussi bien que sur la valeur des institutions séculaires.

Sans doute, Schoenerer a reconnu finalement qu'il fallait s élever à des conceptions générales, mais il ne comprit pas que ce ne sont guère que les grandes masses populaires qui peuvent défendre ces sortes de convictions quasi-religieuses.

Il comprit malheureusement dans une trop faible mesure que la combativité des classes soi-disant « bourgeoises » est extrêmement limitée de par leurs intérêts économiques, chacun de leurs membres craignant de trop perdre et restant sur la réserve.

Cependant, d'une façon générale, une conception n'a quelque chance de triompher que dans le cas où elle a pénétré Ia grande masse qui se déclare prête à engager la lutte nécessaire.

De ce manque de compréhension de l'importance des couches inférieures du peuple résulta une conception complètement insuffisante de la question sociale.

Le Dr Lueger se montra tout l'opposé de Schoenerer.

La connaissance profonde des hommes lui permit de porter un jugement exact sur les différentes forces ; elle le préserva aussi de sous-estimer des institutions existantes ; ce fut peut-être cette même qualité qui lui permit d'utiliser ces institutions comme moyens pour parvenir à ses fins.

Il ne comprit aussi que trop bien que la combativité politique de la haute bourgeoisie est bien insignifiante à notre époque, et qu'elle ne suffit pas à assurer le triomphe d'un grand mouvement nouveau. Il consacra donc la plus grande part de son activité politique à gagner les classes dont l'existence était menacée, ce qui éperonnait leur esprit de lutte, loin de le paralyser. Il était aussi enclin à se servir de tous les moyens existants à se concilier Ies faveurs des grandes institutions établies, afin de tirer de ces anciennes sources de puissance le plus grand profit pour son mouvement.

C'est ainsi qu'il adopta, en premier lieu, comme base de son nouveau parti, les classes moyennes menacées dans leur existence, et s'assura de cette façon une solide troupe de partisans prêts aux plus grands sacrifices et pleins d'ardeur pour la lutte. Sou attitude infiniment rusée à l'égard de l'Eglise catholique lui gagna en peu de temps le jeune clergé, au point que le vieux parti clérical se vit forcé de quitter le

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champ de bataille, ou bien, décision plus sage, de s'unir au nouveau parti pour regagner peu à peu ses anciennes positions.

Mais ce serait une grave injustice de voir en ce qui précède tout ce qui a caractérisé la personnalité de cet homme. A ses qualités de tacticien habile s'ajoutaient celles de réformateur de génie. Certes, elles étaient aussi limitées par la compréhension exacte des possibilités qui s'offraient, et par celle de ses capacités personnelles.

Le but que cet homme de très grande valeur s'était posé était éminemment pratique. Il voulait conquérir Vienne. Vienne était le cœur de la monarchie ; les derniers battements de vie dans le corps malade et vieilli de cet empire décrépit, émanaient de cette ville. Si le cœur devenait plus sain, le reste du corps devait revivre. L'idée était juste en principe, mais ne pouvait valoir qu'un temps strictement limité.

Ce fut la faiblesse de cet homme.

Son œuvre comme bourgmestre de Vienne est immortelle au meilleur sens de ce mot ; mais il n'a pu ainsi sauver la monarchie - il était trop tard.

Son adversaire Schoenerer l'avait mieux vu.

Le Dr Lueger réussit d'une manière merveilleuse dans le côté pratique de ses entreprises ; mais ce qu'il en attendait ne se réalisa point.

Schoenerer ne put atteindre ses buts ; et ce qu'il redoutait se produisit malheureusement de la façon la plus terrible. Les deux hommes n'ont donc pas atteint leur fin dernière.

Lueger n'a pu sauver l`Autriche et Schoenerer n'a pu préserver le peuple allemand d'une catastrophe.

Il est infiniment instructif pour notre époque d'étudier les causes de l'insuccès de ces deux partis. Ce sera surtout utile pour mes amis, car, sous bien des rapports, les circonstances sont actuellement pareilles, et l'on pourra éviter des erreurs qui, jadis déjà, ont conduit l'un des mouvements à sa perte et rendu l'autre stérile.

L'effondrement du mouvement pangermaniste en Autriche s'explique, à mon avis, par trois causes :

En premier lieu, par une idée fausse de l'importance que la question sociale devait avoir, surtout pour un parti nouveau et révolutionnaire de par sa nature même.

Schoenerer et son cercle s'adressaient surtout aux classes bourgeoises : il ne pouvait rien en résulter que de bien médiocre et « domestiqué ».

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La bourgeoisie allemande, surtout dans ses couches supérieures - même si d'aucuns ne s'en doutent pas ! est pacifiste jusqu'à l'abdication complète de soi-même, quand il s'agit des affaires intérieures de la nation ou de l'Etat. Durant les bonnes périodes, c'est-à-dire dans le cas présent, sous un bon gouvernement, une telle psychologie rend ces couches particulièrement précieuses pour l'Etat ; mais quand le gouvernement est mauvais, cette qualité devient un funeste défaut. Pour acquérir une chance de mener à bien une lutte sérieuse, le mouvement pangermaniste devait donc consacrer tous ses efforts à gagner les masses. Il ne l'a pas fait, et cela le priva dès l'abord de l'impulsion première dont une telle vague a besoin pour ne pas devoir refluer aussitôt.

Quand ce principe est perdu de vue et négligé au début d'un mouvement, le parti nouveau commet une erreur initiale impossible à reprendre. Car les nombreux éléments de la bourgeoisie modérée admis dans le parti déterminent de plus en plus son orientation intérieure, et lui ôtent toute chance d'obtenir un appui appréciable des masses populaires. Dans ces conditions, l'action d'un tel mouvement ne peut que se borner à des bouderies et à des critiques impuissantes. La foi quasi-religieuse et l'esprit de sacrifice lui font dès lors défaut ; à leur place, on tend vers une collaboration positive, c'est-à-dire, dans le cas qui noua occupe, vers une reconnaissance de la situation de fait et une accalmie de la lutte, qui se termine par une paix boiteuse.

Ce fut là le sort du mouvement pangermaniste qui n'avait pas attaché dès l'abord une importance prépondérante à la conquête d'adhérents dans les masses populaires. Il devint « bourgeois, distingué, radical-modéré ».

De cette faute résulta la seconde cause de son déclin rapide.

La situation des Allemands en Autriche était déjà désespérée à l'éclosion du mouvement pangermaniste. D'année en année, le Parlement était devenu l'instrument de la lente destruction du peuple allemand. Aucune tentative d'un sauvetage de la dernière heure ne pouvait avoir la moindre chance de succès, si l'on ne supprimait pas cette institution.

Cela posait au mouvement (pangermaniste) une question d'importance primordiale :

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Pour détruire ce Parlement, devait-on y entrer, afin de le « miner de l'intérieur », selon la formule courante, ou bien devait-on mener la lutte en attaquant du dehors cette institution ?

On y entra et on en sortit battu. Certes, on avait été obligé d'y entrer.

Pour mener à bien du dehors la lutte contre une telle puissance, il faut être pourvu d'un courage inébranlable, il faut être aussi prêts à des sacrifices infinis. On saisit le taureau par les cornes : on reçoit des coups sévères, on est maintes fois jeté à terre pour se relever peut-être les membres brisés ; et ce n'est qu'après la lutte la plus difficile que la victoire sourit enfin à l'intrépide assaillant. Seule, la grandeur des sacrifices gagne à la cause de nouveaux champions, jusqu'à ce que les efforts tenaces soient couronnés de succès.

Mais, pour cela, il faut prendre les enfants du peuple, dans la grande masse.

Eux seuls sont assez décidés et assez tenaces pour combattre jusqu'à l'issue sanglante de cette lutte.

Ces masses populaires manquèrent justement au mouvement pangermaniste ; il ne lui resta donc d'autre solution que d'entrer au Parlement.

Il serait erroné de croire que cette décision fut le résultat de longues hésitations intérieures ou même de longues délibérations ; non, on n'envisagea même pas une autre méthode. La participation à ce non-sens résulta de conceptions générales assez vagues sur la portée et l'effet du concours ainsi donné directement à une institution qu'on avait en principe condamnée. Dans l'ensemble, on en attendait des moyens plus faciles d'éclairer les masses populaires, grâce à la possibilité de prendre la parole « devant le forum de toute la nation ». On se persuadait aussi que l'attaque du mal à sa racine devait être plus efficace qu'une attaque venant du dehors. On pensait que l'immunité parlementaire raffermirait la position de chaque leader et que l'efficacité de son action s'en trouverait accrue.

En réalité, les choses se passèrent de tout autre façon. " Le forum p devant lequel parlaient les députés pangermanistes, ne s'était pas agrandi, mais avait plutôt diminué ; car chacun parle seulement devant le public qui peut

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l'entendre directement, ou bien qui peut lire dans les journaux les comptes rendus des discours.

Le plus grand forum d'auditeurs directs, ce ri est pas la salle des séances d'un parlement, c'est la grande réunion publique.

Là seulement se trouvent des milliers d'hommes qui ne sont venus que pour écouter ce que l'orateur a à leur dire ; dans la salle des séances d'une chambre de députés, il y a seulement quelques centaines d'hommes qui ne sont là, pour la plupart, que pour encaisser leurs jetons et nullement pour se laisser éclairer par la sagesse de l'un ou de l'autre de MM. les « représentants du peuple ».

Et surtout c'est toujours le même public, qui n'apprendra jamais rien de nouveau, parce que, sans parler de l'intelligence, il lui manque la volonté - si modeste soit-elle qui est nécessaire pour cela.

Jamais aucun de ces représentants du peuple ne se laissera convaincre par une vérité supérieure pour se mettre ensuite à son service. Non, pas un seul n'agira ainsi, sauf le cas où il aurait quelque raison, par une pareille conversion, d'espérer sauver son mandat pour une nouvelle législature. Ainsi, il faut qu'ils aient senti que l'ancien parti pourrait être mis à mal aux prochaines élections, pour que ces modèles de courage civique se mettent en quête d'un nouveau parti ou d'une nouvelle tendance, dont les chances électorales paraissent meilleures ; ces changements de position sont d'ailleurs précédés d'un véritable déluge de raisons hautement morales qui les justifient. C'est ainsi que toujours, quand un parti existant a encouru si manifestement la défaveur populaire qu'on prévoit pour lui une défaite écrasante, une grande migration commence : les rats parlementaires quittent le navire de leur parti.

Mais ces changements ne sont nullement en rapport avec une opinion mieux éclairée ou une volonté de mieux faire ; ils ne sont que la manifestation de ce don de clairvoyance qui avertît juste à temps une pareille punaise parlementaire et la fait retomber sur le lit chaud d'un autre parti.

Parler devant un pareil forum, c'est jeter des perles devant certains animaux. C'est vraiment peine perdue, car le résultat ne peut être que nul.

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Et c est ce qui arriva : les députés pangermanistes eurent beau s'enrouer à force de discours : leur action fut absolument vaine.

Quant à la presse, elle gardait sur leurs discours un silence de mort, ou bien elle les mutilait de façon à leur ôter toute cohésion, souvent même à dénaturer leur sens ou à ne leur en laisser aucun ; ainsi l'opinion publique ne recevait qu'une image très défavorable des intentions du nouveau mouvement. Ce que l'un ou l'autre des orateurs avait dit importait peu ; ce qui importait, c est ce qu'on pouvait en lire. Et ce n'étaient que des extraits de leurs discours, qui ne pouvaient, dans leur état fragmentaire, que paraître dénués de sens : juste ce qu'on voulait. En réalité, le seul forum devant lequel ils parlaient, se composait juste de cinq cents parlementaires, et c'est tout dire.

Mais le pire fut encore ceci :

Le mouvement pangermaniste ne pouvait compter sur le succès que s'il comprenait, dès son premier jour, qu'il ne devait point se placer sur le plan d'un nouveau parti, mais d'une nouvelle conception philosophique. Elle seule pouvait donner la force intérieure de mener à bout cette lutte gigantesque. Et les meilleurs et les plus courageux pouvaient seuls en être les chefs.

Si la lutte pour une conception philosophique n'est pas menée par des héros prêts au sacrifice, bientôt on ne trouvera plus de militants qui osent affronter la mort. A celui qui combat pour sa propre existence, il ne reste que bien peu pour la communauté.

Pour s'assurer cette condition nécessaire, chacun doit savoir que le nouveau mouvement peut offrir honneur et gloire devant la postérité, mais qu'il ne donnera rien dans le présent. Plus un mouvement dispose de postes et de situations facilement accessibles, plus il est envahi par les arrivistes. Un jour, ces travailleurs politiques occasionnels arrivent à dominer par leur nombre dans le parti, et le militant honnête de naguère en vient à ne plus reconnaître son ancien mouvement, tandis que les nouveaux venus le rejettent lui-même comme un importun « indésirable ». La « mission n d'un pareil mouvement est alors finie, il est vrai.

Quand le mouvement pangermaniste limita son action au cadre du Parlement, il obtint des « parlementaires » au

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lieu de chefs et de militants. Il descendit su niveau d'un éphémère parti politique tout pareil aux autres, et n'eut plus la force d'opposer au destin hostile son défi de martyre. Au lieu de lutter, il apprit lui aussi à « discourir » et à « négocier ». Bientôt, le nouveau parlementaire se prit à penser que c'était un devoir plus beau - parce que moins risqué ! - de défendre les nouvelles conceptions par les armes « spirituelles » de l'éloquence parlementaire, que de se jeter, le cas échéant, au péril de sa propre vie, dans une mêlée dont l'issue était douteuse et qui, dans tous les cas, ne pouvait rien rapporter.

Quand on s'installa au Parlement, les partisans dans le pays se mirent à espérer et à attendre des miracles, qui ne vinrent naturellement pas, qui ne pouvaient venir. Bientôt on commença à s'impatienter ; car ce qu'on entendait dire des députés ne correspondait en aucune façon à ce qu'en attendaient les électeurs. C'est facile à comprendre, car la presse adverse se gardait bien de donner au peuple un tableau exact de l'action des députés pangermanistes. Cependant, plus les nouveaux représentants du peuple prenaient goût aux formes adoucies de la lutte « révolutionnaire » dans le Parlement et les diètes de province, moins ils se sentaient enclins à retourner à la tâche plus fertile en risques de la propagande dans les masses populaires.

Le grand meeting - seul moyen d'exercer une influence réelle, parce que personnelle et directe, sur des foules importantes, et de les conquérir - fut de plus en plus relégué à l'arrière-plan.

Aussitôt qu'on eut échangé définitivement la table de la brasserie qui sert de lieu de réunion, pour la tribune du Parlement, et qu'on eut commencé de déverser ses discours devant ce forum, dans les têtes des soi-disant élus du peuple, au lieu de les répandre dans le peuple lui-même, le mouvement pangermaniste cessa d'être un mouvement populaire et tomba en peu de temps au niveau d'un club plus ou moins sérieux de discussions académiques.

La mauvaise impression provoquée par la presse ne fut plus corrigée par l'action personnelle de chacun des députés au cours de réunions, et le mot « pangermaniste » finit par acquérir une très mauvaise réputation dans les milieux populaires.

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Que les snobs et chevaliers de l'encrier de nos jours se disent bien que jamais les grandes révolutions de ce monde ne se sont jamais faites sous le signe de la plume d'oie !

Non, il fut seulement réservé à la plume d'en donner en chaque cas les causes théoriques.

La force qui a mis en branle les grandes avalanches historiques dans le domaine politique ou religieux, fut seulement, de temps immémorial, la puissance magique de la parole parlée.

La grande masse d'un peuple se soumet toujours à la puissance de la parole. Et tous les , grands mouvements sont des mouvements populaires, des éruptions volcaniques de passions humaines et d'états, d'âme, soulevées ou bien par la cruelle déesse de la misère ou bien par les torches de la parole jetée au sein des masses, - jamais par les jets de limonade de littérateurs esthétisants et de héros de salon.

Seule, une tempête de passion brûlante peut changer le destin des peuples ; mais seul peut provoquer la passion celui-là qui la porte en lui-même.

Elle seule octroie à ses élus les paroles qui, comme des coups de marteaux, ouvrent les portes du cœur d'un peuple. Celui qui ne connaît pas la passion, celui dont la bouche

est close, celui-là n'est pas élu par le ciel pour proclamer sa volonté.

Que chaque écrivailleur reste donc devant son encrier, à s'occuper de « théories », s'il suffit pour cela de savoir et de talent; il n'est point né, il n'est point élu pour être un chef.

Un mouvement qui poursuit de grands buts doit donc veiller anxieusement à ne pas perdre le contact avec la masse. Il doit examiner chaque question en premier lieu sous

ce point de vue, et orienter ses décisions dans ce sens. Il doit ensuite éviter tout ce qui pourrait diminuer ou affaiblir ses possibilités d'action sur les masses, non pas pour des raisons « démagogiques », mais reconnaissant simplement qu'aucune grande idée, si sacrée et si élevée qu'elle paraisse, ne peut se réaliser sans la force puissante des masses populaires.

Seule, la dure réalité doit déterminer la voie vers le but ; vouloir éviter des chemins désagréables, c'est bien souvent, en ce monde, renoncer au but ; qu'on le veuille ou non.

Quand le mouvement pangermaniste, optant pour la

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voie parlementaire, développa le gros de son effort non plus dans le peuple, mais au parlement, il sacrifia l'avenir en contrepartie de quelques succès faciles d'un instant.

Choisissant la lutte la moins dure, il devint par cela même indigne de la victoire finale.

Dès mon séjour à Vienne, j'ai réfléchi sérieusement sur toutes ces questions, et j'ai vu dans leur méconnaissance l'une des causes principales de l'effondrement d'un mouvement qui, à mon avis, était naguère destiné à prendre le sort du germanisme entre ses mains.

Les deux premières fautes, causes de l'échec du mouvement pangermaniste, étaient apparentées l'une à l'autre. Le manque de connaissance des mobiles profonds des grandes révolutions conduisit à mésestimer l'importance des grandes masses populaires ; il en résulta le faible intérêt pour la question sociale, l'insuffisance ou la carence des tentatives destinées à conquérir l'âme des couches inférieures de la nation ; enfin l'attitude envers le Parlement aggravait encore ces tendances.

Si l'on avait compris la force inouïe qui, de tout temps, appartient à la masse dans une résistance révolutionnaire, on aurait travaillé d'une autre façon su point de vue social comme su point de vue de la propagande. On aurait aussi porté l'effort principal du mouvement non pas dans le Parlement, mais dans l'usine et dans la rue.

Mais la troisième faute remonte, elle aussi, en dernière analyse, à cette incompréhension de l'importance des masses, que des esprits supérieurs doivent mettre en mouvement dans une direction déterminée, mais qui, mises une fois en branle comme le volant d'une machine, donnent ensuite à l'attaque la force régulière et la durée.

Le dur combat que le mouvement pangermaniste livra à l'Eglise catholique ri a pas d'autre cause que le manque de compréhension des états d'âme du peuple.

Les raisons de l'attaque violente du nouveau parti contre Rome furent les suivantes :

Dès que la maison des Habsbourg se fut résolue définitivement à faire de l'Autriche un Etat slave, elle recourut à tous les moyens qui lui paraissaient pouvoir servir à ce but. Les institutions religieuses furent engagées, sans le moindre scrupule, au service de la nouvelle « raison d'Etat » par cette dynastie sans conscience.

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L'utilisation des paroisses tchèques et de leurs curés ne fut qu'un des nombreux moyens d'aboutir à la slavisation de l'Autriche.

Généralement, des prêtres tchèques étaient nommés dans des communes purement allemandes ; ils commençaient, lentement, mais sûrement, à mettre les intérêts du peuple tchèque au-dessus des intérêts des églises, et ils devenaient les cellules génératrices de la dégermanisation.

La réaction du petit clergé allemand devant de pareils procédés fut malheureusement presque nulle. Ce clergé était tout à fait inapte à mener une lutte analogue du côté allemand ; bien plus, il ne pouvait même pas organiser la défense nécessaire contre les attaques adverses. Le germanisme dut ainsi rétrograder . lentement, mais sans arrêt, devant cet abus sournois de la religion et faute de toute défense suffisante.

Si les choses se passèrent ainsi pour le menu, il n'en fut guère autrement des grandes questions.

Les efforts anti-allemands des Habsbourg ne trouvèrent point, surtout parmi le clergé supérieur, l'opposition qui s imposait, et la défense même des intérêts allemands fut complètement négligée.

L'impression générale ne pouvait pas varier : le clergé catholique tel quel causait un brutal préjudice aux droits des Allemands.

Il paraissait donc que l'Eglise non seulement n'était pas de cœur avec le peuple allemand, mais qu'elle se rangeait de la façon la plus injuste aux côtés de ses adversaires. La raison de tout le mal, d'après Schoenerer, résidait dans le fait que la tête de l'Eglise catholique ne se trouvait point en Allemagne ; et e'était là une cause suffisante de son attitude hostile aux intérêts de notre nation.

Les problèmes dits culturels, comme cela arrivait alors presque toujours en Autriche, furent relégués à l'arrière-plan. L'attitude du mouvement pangermaniste envers l'Eglise catholique fut déterminée, bien moins par l'attitude de celle-ci à l'égard de la science, etc., que par sa défense insuffisante des droits allemands et par l'appui continu qu'elle accordait aux exigences et aux prétentions des Slaves.

Georg von Schoenerer n'était pas homme à faire les choses à moitié. Il entreprit la lutte contre l'Eglise avec la conviction

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que c'était la seule voie de salut pour le peuple allemand. La campagne du « schisme avec Rome » parut le moyen d'attaque le plus puissant - quoique le plus difficile pour ruiner la citadelle ennemie. S'il avait réussi, on aurait eu raison de la malencontreuse scission religieuse en Allemagne ; et la force intérieure du Reich et de la nation allemande ne pouvait que gagner énormément à cette victoire.

Mais ni la prémisse ni la conclusion de cette lutte n'étaient justes.

Sans nul doute la force de résistance du clergé catholique allemand était bien inférieure, pour tout ce qui touchait le germanisme, à celle dont faisaient preuve leurs confrères non allemands - principalement lés Tchèques.

De même un ignorant, seul, pouvait ne pas voir que l'idée d'une défense active des intérêts allemands ne venait presque jamais au clergé allemand.

Mais quiconque n'était pas complètement aveugle devait aussi convenir qu'une circonstance, dont nous avons tous beaucoup à souffrir, nous Allemands, expliquait cette attitude : il s'agit de notre objectivité vis-à-vis de notre nationalité, tout comme vis-à-vis d'un objet quelconque.

Tandis que le prêtre tchèque adoptait une attitude subjective envers son peuple, et objective seulement envers l'Eglise, le curé allemand montrait un dévouement subjectif à l'égard de l'Eglise et restait objectif vis-à-vis de sa nation. C'est un phénomène que nous pouvons observer, pour notre malheur, dans mille autres cas. Il ne s'agit là nullement d'un héritage particulier du catholicisme, mais d'un mal qui, chez nous, ronge en peu de temps toute institution nationale ou même aux buts idéals.

Comparons, par exemple, l'attitude observée par nos fonctionnaires devant les tentatives de régénération nationale, avec celle qu'observerait cette corporation chez un autre peuple. Ou bien croit-on que le corps des officiers, dans un autre pays quelconque, aurait négligé les aspirations de la nation en se retranchant derrière la formule « autorité de l'Etat », comme on le fait chez nous depuis cinq ans, tout naturellement, et en le jugeant presque particulièrement méritoire ? Les deux confessions n'adoptent-elles pas aujourd'hui dans la question juive un point de vue qui ne correspond ni aux intérêts nationaux, ni aux exigences

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véritables de la religion ? Que l'on compare donc l'attitude d'un rabbin juif dans toutes les questions intéressant tant soit peu les Juifs en tant que race, avec l'attitude de la plus grande partie de notre clergé, quelle que soit la confession envisagée.

Nous observons ce phénomène partout où il s'agit de la défense d'une idée abstraite.

« Autorité de l'Etat », « démocratie », « pacifisme », « solidarité internationale », etc., autant de notions qui deviennent chez nous presque toujours des idées rigides, des dogmes doctrinaires, et tous les jugements sur les nécessités vitales de la` nation sont portés exclusivement d'après ces conceptions.

Cette façon néfaste d'envisager tous les problèmes importants d'après une opinion préconçue, tue toute faculté de comprendre subjectivement un phénomène qui objectivement est en opposition avec la doctrine ; cela conduit finalement à un renversement des rôles entre les moyens et les buts. On s'opposera à toute tentative de soulèvement national, s'il nécessite le renversement d'un gouvernement mauvais et nuisible : ce serait un attentat contre « l'autorité de l'Etat » ; et « l'autorité de l'Etat », aux yeux d'un de ces fanatiques de l'objectivité, ce n'est pas un moyen, mais un but en soi, qui suffit à remplir toute sa pitoyable vie. ~n protesterait, par exemple, avec indignation contre une tentative de dictature, même si son auteur était un Frédéric le Grand, et si tous les politiciens du moment n'étaient que des nains incapables ou même des individus peu recommandables ; c'est que, pour un pareil fétichiste des principes, les lois de la démocratie paraissent plus sacrées que le salut de la nation. L'un défendra donc la tyrannie la plus abjecte qui ait jamais ruiné un peuple, parce qu'elle personnifie à ce moment « l'autorité de l'Etat » ; l'autre va répudier le gouvernement le plus salutaire, parce qu'il ne correspond pas à sa notion de la « démocratie ».

De même, notre pacifiste allemand fera silence sur les violences les plus sanglantes faites à la nation, même si elles viennent de la pire puissance militariste, et même si la résistance est le seul moyen de changer le cours des événements : un tel moyen serait en contradiction avec l'esprit de sa Société de la paix. Le socialiste international

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allemand peut être solidairement mis à sac par tout le reste du monde, il n'y répond que par une sympathie fraternelle et ne pense pas à la vengeance, ni même à la défense - il est Allemand !

Cela peut être triste ; mais pour changer une chose, il faut d'abord s'en rendre compte.

C'est la même raison qui explique le faible appui qu'une partie du clergé allemand donne aux intérêts nationaux. Ce n'est ni l'expression d'une mauvaise volonté consciente, ni la conséquence .d'ordres « venus d'en haut » ; nous ne voyons, dans ce manque de résolution nationale, que les résultats d'une éducation défectueuse de la jeunesse dans le sens du germanisme, et les résultats de la domination complète d'une idée à laquelle on rend le culte d'une idole.

L'éducation dans le sens de la démocratie, du socialisme international, du pacifisme, etc., est tellement rigide et exclusive, c'est-à-dire, de leur point de vue, tellement subjective, que la vue d'ensemble que l'on a du monde se trouve influencée par cette attitude a priori, tandis que l'attitude envers le germanisme depuis la jeunesse est uniquement objective.

Pour autant qu'il est Allemand, le pacifiste qui se dévoue subjectivement corps et âme à son idée, recherchera à l'occasion de chaque menace contre son peuple - si injuste et si dangereuse soit-elle - de quel côté se trouve le droit objectif ; il ne se mettra jamais, par pur instinct de conservation, dans les rangs de son troupeau pour combattre avec lui.

C'est encore le cas pour les différentes confessions, comme nous allons le montrer :

Le protestantisme par lui-même défend mieux les intérêts du germanisme, pour autant que cela correspond à son origine et à ses traditions : mais il devient impuissant au moment où cette défense des intérêts nationaux intéresse un domaine étranger au monde de ses idées et de son développement traditionnel, ou qui en est banni pour une raison quelconque.

Le protestantisme agit donc toujours au mieux des intérêts allemands tout autant qu'il est question de moralité ou de développement intellectuel nationaux, ou de la défense de l'esprit allemand, de la langue allemande et

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aussi de la liberté allemande ; tout cela se confond, en effet, avec les principes mêmes sur lesquels il s'appuie ; mais il combat aussitôt de la façon la plus hostile toute tentative de sauver la nation de l'étreinte de son ennemi le plus mortel, parce que son point de vue sur les Juifs est plus ou moins fixé d'avance dans ses dogmes. Et c'est juste le problème que l'on doit d'abord résoudre, sinon toutes les tentatives ultérieures de régénération ou de relèvement allemands sont et demeurent complètement impossibles et insensées.

Pendant mon séjour à Vienne, j'eus le temps et l'occasion d'analyser aussi cette question sans idée préconçue, et je pus constater dans le train-train quotidien que ce point de vue était mille fois justifié.

Dans ce foyer des nationalités les plus diverses, il ressortait aussitôt de manière évidente que, seul, le pacifiste allemand s'efforçait de considérer les intérêts de sa nation d'un point de vue objectif, tandis que le Juif ne le faisait jamais en ce qui concernait les intérêts du peuple juif ; il ressortait aussi que seul le socialiste allemand est « international » dans un sens qui ne lui permet pas de revendiquer les droits de son propre peuple autrement que par des plaintes et des pleurnichages devant les camarades internationaux ; jamais, au contraire, le Tchèque ni le Polonais ne le font ; bref, je reconnus dès lors que le mal venait moins des doctrines elles-mêmes, que de notre éducation entièrement défectueuse au point de vue de notre propre nationalité, à laquelle nous vouions ainsi un attachement moins exclusif.

Le premier argument théorique de la lutte du mouvement pangermaniste contre le catholicisme en soi se trouve ainsi réfuté.

Qu'on élève le peuple allemand dès sa jeunesse à reconnaître exclusivement les droits de sa propre race ; qu'on n'empoisonne point les cœurs des enfants par notre maudite « objectivité » dans les questions qui ont trait à la défense de notre personnalité ; alors - même dans le cas d'un gouvernement radical - on verra, comme en Irlande, en Pologne ou en France, que le catholique en Allemagne sera aussi toujours un Allemand.

J'en vois la preuve la plus frappante dans cette époque 0ù, pour la dernière fois, notre peuple dut comparaître

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devant le tribunal de l'histoire pour défendre son existence dans une lutte à mort.

Tant que la direction d'en haut ne vint pas à manquer, le peuple a rempli tout son devoir de la façon la plus entière. Le pasteur protestant comme le curé catholique contribuèrent grandement tous deux au maintien de notre force de résistance, non seulement au front, mais surtout à l'arrière. Dans ces années, et surtout dans le premier enthousiasme, il n'y eut véritablement dans les deux camps qu'un empire allemand unique et sacré; pour l'existence et l'avenir duquel chacun adressait des prières à son ciel à lui.

Le mouvement pangermaniste aurait dû se poser la question : la conservation de l'élément allemand en Autriche. est-elle compatible avec la religion catholique ou non ? Dans le cas d'une réponse affirmative, ce parti politique ne devait point se mêler aux problèmes religieux ou confessionnels ; si la réponse était négative, c'est une réforme religieuse et non un parti politique qui était nécessaire.

Celui qui pense arriver à une réforme religieuse par le détour d'une organisation politique révèle seulement par là qu'il ri a pas la moindre compréhension de l'évolution des conceptions religieuses, ou même des dogmes, et de ce qui la détermine pour les Eglises.

C'est le cas de dire qu'on ne peut servir deux maîtres à la fois. Je considère d'ailleurs que la fondation ou la destruction d'une religion est un geste plus grand et d'une tout autre nature que la fondation ou la destruction d'un Etat ; je ne parle pas d'un parti.

Qu'on ne dise point que ces attaques ne furent que la riposte aux attaques adverses !

Certes, en tous temps, il se trouve des individus sans conscience qui ne craignent pas d'utiliser la religion comme instrument de leur louche trafic politique (car il ne saurait guère s'agir d'autre chose avec de pareils gaillards) ; mais il est certain aussi que l'on ne peut rendre la religion ou la confession responsables pour les quelques gredins qui en abusent, tout comme ils auraient sûrement abusé de n'importe quelle institution pour assouvir leurs instincts grossiers. .

Rien ne saurait mieux convenir à un pareil vaurien parlementaire que de lui donner l'occasion, tout au moins

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après compte, de justifier sa spéculation politique. Aussitôt qu'on rend la religion ou la confession responsables de sa vilenie individuelle, et qu'on les attaque à grands cris, ce menteur appelle tout le monde à témoin ; et d'attester combien son attitude était justifiée, et que ce n'est qu'à lui et à son éloquence que l'on doit rendre grâce pour le sauvetage de la religion et de l'Eglise. Le monde, qui est aussi bête qu'il a la mémoire courte, ne reconnaît pas alors le véritable auteur du conflit dans celui qui crie si fort, ou ne s'en souvient plus ; et le gredin, en somme, est arrivé à ses fins.

Un pareil renard rusé sait fort bien que tout cela n'a rien à voir avec la religion ; raison de plus de rire sous cape ; tandis que son adversaire honnête, mais malhabile, perd à ce jeu, quitte un jour à s'en retirer complètement, désespérant de la bonne foi de l'humanité.

Mais, à un autre point de vue encore, il serait injuste de rendre la religion, en tant que religion, ou même l'Eglise, responsable des fautes de chacun. En comparant la grandeur des organisations religieuses qu'on a devant les yeux avec l'imperfection ordinaire de l'homme en général, on doit reconnaître que la proportion entre les bons et les mauvais est à l'avantage des milieux religieux. On trouve naturellement aussi dans le clergé des gens qui se servent de leur mission sacrée dans l'intérêt de leurs ambitions politiques, des gens qui, dans la lutte politique, oublient d'une façon regrettable qu'ils devraient être les dépositaires d'une vérité supérieure et non les protagonistes du mensonge et de la calomnie ; mais pour un seul de ces indignes, on trouve mille et plus d'honnêtes ecclésiastiques, entièrement fidèles à leur mission, qui émergent comme des îlots au-dessus du marécage de notre époque mensongère et corrompue.

Aussi peu que je condamne et que j'aie le droit de condamner l'Eglise elle-même, quand un individu corrompu, revêtu de la robe de prêtre, commet un crime crapuleux contre les mœurs, aussi peu j'en ai le droit quand un autre, dans le nombre, souille et trahit sa nationalité, surtout dans une époque où on le voit tous les jours. Et de nos jours surtout, il ne faut pas non plus oublier que, pour un seul de ces Ephialtès, on trouvera des milliers de prêtres dont le cœur saigne des malheurs de leur nation, et qui

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souhaitent aussi ardemment que les meilleurs de leurs compatriotes l'arrivée du jour où le ciel nous sourira enfin de nouveau.

A celui qui répond qu'il ne s'agit pas ici des petits problèmes du jour, mais bien de questions de principe ou de dogme, il faut nécessairement répondre comme suit :

Si tu te crois élu pour proclamer la vérité, fais-le ; mais aie alors le courage de le faire non pas par le détour d'un parti politique - ce qui est un subterfuge - mais en remplaçant le présent mauvais par ton avenir meilleur.

Si le courage te manque, ou si ce meilleur n'est pas tout à fait clair à toi-même, alors retire ta main ; en aucun cas, n'essaie d'obtenir par la voie détournée d'une organisation politique ce que tu n'oses point revendiquer, la visière relevée.

Les partis politiques n'ont rien à voir avec les questions religieuses pour autant que les répercussions de ces dernières ne vont point contre la vie nationale, et ne minent pas la morale de la race; de même, on ne doit pas mêler la religion à la lutte des partis politiques.

Quand des dignitaires de l'Eglise se servent d'institutions ou même de doctrines religieuses pour porter atteinte à leur race, on ne doit jamais les suivre dans cette voie, ni les combattre par les mêmes armes. Les idées et les institutions religieuses de son peuple doivent rester toujours inviolables pour le chef politique; sinon, qu'il cesse d'être un homme politique et qu'il devienne un réformateur, s'il en a l'étoffe ! Une autre attitude, en Allemagne surtout, doit conduire à une catastrophe.

En étudiant le mouvement pangermaniste et sa lutte contre Rome, je suis arrivé alors, et surtout dans le cours des années suivantes, à la conclusion qui suit : le manque de compréhension que ce mouvement a eu pour la question sociale l'a privé des masses populaires, seules propres à la lutte ; l'entrée au Parlement brisa la puïssance de son élan et lui inculqua toutes les faiblesses de cette institution : la lutte contre l'Eglise catholique le rendit indésirable dans de nombreux milieux, et lui enleva d'innombrables éléments parmi les meilleurs que la nation comptait dans ses rangs. Le résultat pratique du Kulturkampf autrichien fut presque .égal à zéro.

On réussit, il est vrai, à arracher à l'Eglise environ cent

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mille membres, mais sans qu'elle en ait éprouvé grand dommage. Elle n'eut pas à verser de larmes en voyant partir ces « brebis e perdues : elle ne perdit que ce qui, intérieurement, ne lui appartenait plus entièrement depuis longtemps. Ce fut toute la différence entre cette nouvelle Réforme et celles de jadis : alors, nombre des meilleurs se détournèrent de l'Eglise par conviction religieuse intime ; maintenant, ce n'étaient que les tièdes qui s'éloignaient, et cela pour des « considérations » d'essence politique.

Mais c'est justement du point de vue politique que ce résultat fut risible et triste en même temps.

Une fois encore, un mouvement politique qui aurait pu sauver la nation allemande, mouvement plein de promesses de succès, avait péri parce qu'il n'avait pas été conduit avec le brutal réalisme nécessaire, parce qu'il s'était égaré dans des domaines où il ne pouvait que se désagréger.

On ne peut douter d'une chose :

Le mouvement pangermaniste ri aurait jamais commis cette erreur s'il n'avait pas aussi mal compris la psychologie des grandes masses. Si ses chefs avaient su que, pour réussir, on ne doit jamais, et ceci par considération purement psychologique, désigner à la masse plusieurs adversaires - ce qui entraîne immédiatement un éparpillement complet des forces combatives - la pointe d'attaque du mouvement pangermaniste aurait été dirigée contre un seul adversaire. Rien n'est aussi dangereux pour un parti politique que de se laisser diriger dans ses décisions par des hâbleurs neurasthéniques qui entreprennent tout et qui n'atteignent jamais leurs buts.

Même si telle ou telle confession donne vraiment prise à la critique, un parti politique ne doit jamais oublier le fait que l'Histoire n'enregistre aucun exemple où un parti purement politique, dans des circonstances analogues, ait pu aboutir à une réforme religieuse. On n'étudie pas l'histoire pour oublier ses leçons au moment même où il s agit de les appliquer dans la pratique ; ou bien pour penser que leurs vérités séculaires peuvent ne plus être appliquées parce que la situation actuelle est tout autre ; on l'étudie pour en retirer des enseignements pour le présent. Celui qui n'est pas capable de faire cela, ne doit point s'imaginer qu'il est un chef politique ; il n'est en réalité qu'un pitre plat, quoique souvent présomptueux, et toute sa bonne volonté ne peut excuser son incapacité pratique.

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En général, l'art de tous les vrais chefs du peuple de tous les temps consiste surtout à concentrer l'attention du peuple sur un seul adversaire, à ne pas la laisser se disperser. Plus cette assertion de la volonté de combat d'un peuple est concentrée, plus grande est la force d'attraction magnétique d'un pareil mouvement, plus massive est sa puissance de choc. L'art de suggérer au peuple que les ennemis les plus différents appartiennent à la même catégorie est d'un grand chef. Au contraire, la conviction que les ennemis sont multiples et variés devient trop facilement, pour des esprits faibles et hésitants, une raison de douter de leur propre cause.

Aussitôt que la masse se voit en lutte contre beaucoup d'ennemis, elle se pose cette question : est-il possible que tous les autres aient vraiment tort et que, seul, notre mouvement soit dans son droit ?

C'est alors que ses forces se paralysent. C'est pour cela qu'il faut toujours mettre dans le même tas une pluralité d'adversaires les plus variés, pour qu'il semble à la masse de nos propres partisans que la lutte est menée contre un seul ennemi. Cela fortifie la foi dans son propre droit et augmente son exaspération contre ceux qui s'y attaquent.

Le mouvement pangermaniste de jadis n'a pas compris cela, ce qui compromit son succès.

Il avait vu juste le but, son vouloir était pur, mais le chemin qu'il choisit était faux. On peut le comparer à l'homme qui, voulant atteindre la cime d'une montagne, ne la perd pas de vue et se met en route plein de résolution et de force, mais qui n'accorde aucune attention su chemin, et qui, fixant de ses regards le but de son ascension, ne voit et n'examine point les possibilités de la montée, et échoue finalement à cause de cela.

On peut observer le contraire en tout chez son grand concurrent, le parti chrétien-social.

Le chemin qu'il prit fut choisi judicieusement, mais ce qui lui manqua, ce fut une claire conception du but. Presque dans tous les domaines où le mouvement pangermaniste commit des fautes, l'action du parti chrétien-social fut ef6cace et logique.

Il savait l'importance des masses et il le prouva dès le premier jour par le caractère prononcé de sa politique sociale. En s'orientant surtout vers la conquête des artisans,

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Petits ou moyens, il recruta des partisans aussi fidèles que tenaces et prêts aux sacrifices. Il évita toute lutte contre les institutions religieuses, et s'assura par cela l'appui de cette puissante organisation que l'Eglise est actuellement. Il n'eut en conséquence qu'un seul véritable adversaire. Il reconnut la nécessité d'une propagande grandiose et atteignit à la virtuosité dans l'art d'en imposer aux masses.

S'il ne put cependant atteindre l'objet de ses rêves, le sauvetage de l'Autriche, cela s'explique par la mauvaise voie qu'il choisit, aussi bien que par le manque de clarté de ses buts.

L'antisémitisme du nouveau mouvement se basait sur des conceptions religieuses et non sur les principes racistes. La même raison qui fit commettre cette erreur provoqua aussi une seconde erreur.

Les fondateurs du parti chrétien-social pensaient que si ce parti voulait sauver l'Autriche, il ne pouvait pas s'appuyer sur le principe de la race, parce qu'une dissolution générale de l'Etat en serait résultée en peu de temps. Surtout la situation à Vienne, à l'avis des chefs du parti, exigeait qu'on laissât de côté tous les éléments de divergences et qu'on soulignât tous les motifs d'union.

Vienne, à cette époque, contenait déjà des fractions ethniques variées, des Tchèques surtout, et, seule, la plus grande tolérance dans toutes les questions de race pouvait encore les empêcher de former un parti franchement anti-allemand. On s'efforça donc de gagner surtout les petits artisans tchèques, très nombreux, par la lutte contre le libéralisme manchestrien ; et on crut trouver un mot d'ordre de combat, unissant par-dessus toutes les divergences nationales l'ancienne Autriche, dans la lutte contre les Juifs sur une base religieuse.

Il est clair qu'une lutte contre les Juifs sur une telle base ne pouvait leur causer que des soucis bien minimes. Dans le pire des cas, une ondée d'eau de baptême pouvait toujours sauver le Juif et son commerce.

Avec des motifs aussi superficiels, on n'arriva jamais à une analyse scientifique sérieuse de tout le problème, ce qui détourna du parti chrétien-social tous ceux qui ne pouvaient pas comprendre ce genre d'antisémitisme. I_.a force d'attraction de cette idée se réduisit à un milieu d'intelligence bornée, parce qu'on ne voulait pas aller,

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au delà du simple sentiment, vers une compréhension véritable. Les intellectuels restèrent hostiles par principe. De plus en plus, il apparut qu'il ne s'agissait, dans toute cette affaire, que d'une nouvelle tentative de convertir les Juifs ou bien, que ce n'était que l'expression de l'envie de concurrents. La lutte manqua, de ce chef, de l'empreinte d'une consécration philosophique ; elle sembla à bien des gens - et ce n'étaient pas les moindres - immorale et répréhensible. La conviction qu'il s'agissait ici d'une question vitale pour toute l'humanité, que le sort de tous les peuples non juifs dépendait de sa solution, n'était pas dégagée.

Cette façon de ne faire les choses qu'à moitié réduisit à néant la valeur de l'orientation antisémitique du parti chrétien-social.

Ce ne fut qu'un pseudo-antisémitisme, presque plus dangereux que son contraire ; on s'endormit en sécurité, croyant tenir l'adversaire par les oreilles, tandis qu'en réalité, c'était lui qui vous menait par le nez.

Et le Juif s'habitua bientôt si bien à ce genre d'anti-sémitisme que sa disparition l'aurait sûrement plus chagriné que son existence ne le gênait.

On avait dû imposer .là de lourds sacrifices à l'idée de l'Etat basé sur la nationalité, mais on en fit de plus lourds encore dans la défense du germanisme.

On n'osait être « nationaliste n si l'on ne voulait pas sentir se dérober le terrain sous ses pieds, même à Vienne. On espérait sauver l'Etat des Habsbourg en évitant doucement cette question ; et on l'entraîna par là même à sa perte. Le mouvement perdit de cette façon la puissante source d'énergies qui, seule, pouvait fournir à la longue la force motrice nécessaire à un parti politique. Le mouvement chrétien-social devint à cause de cela un parti comme n'importe quel autre.

J'ai observé jadis les deux mouvements de la façon la plus attentive, l'un avec la pulsation même de mon cœur, 'autre par admiration pour cet homme rare qui me paraissait alors déjà l'âpre symbole de tout le peuple allemand d'Autriche.

Quand l'imposante procession funèbre, à la mort du bourgmestre, se mit en mouvement de l'hôtel de ville vers la Ringstrasse, je me trouvais parmi les centaines de milliers

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de personnes qui assistaient à cette triste cérémonie. A mon émotion intérieure se mêlait le sentiment que toute l'œuvre de cet homme avait été vaine, parce que le sort menait cet Etat inexorablement à sa perte. Si le D'' Karl Lueger avait vécu en Allemagne, il eût pris rang parmi les premières têtes de notre peuple ; ce fut un malheur pour son œuvre et pour lui-même qu'iI vécût dans cet Etat impossible.

Quand ïl mourut, de petites flammes jaillissaient déjà plus avidement de mois en mois, sur les Balkans ; le sort eut la clémence de lui épargner la vue de ce qu'il avait encore espéré pouvoir éviter.

Je m'efforçai de trouver les causes de l'impuissance du premier de ces mouvements et de l'insuccès de l'autre, et j'arrivai à la conviction profonde qu'indépendamment de l'impossibilité d'arriver dans la vieille Autriche à un renforcement de l'Etat, les erreurs des deux partis furent les suivantes :

Le mouvement pangermaniste avait raison dans sa conception de principe d'une régénération allemande, mais il fut malheureux dans le choix des moyens. Il fut nationaliste, mais, hélas ! il ne fut pas assez social pour gagner les masses. Son antisémitisme reposait sur une juste compréhension du problème des races et non sur des conceptions religieuses. Mais sa lutte contre une confession déterminée était une faute de principe et de tactique.

Le mouvement chrétien-social n'avait aucune conception nette sur le but de la régénération allemande, mais il fut intelligent et heureux dans le choix de son chemin comme parti. Il comprit l'importance de la question sociale, mais il se trompa dans sa lutte contre les Juifs et n'eut aucune idée de la puissance de l'idée nationaliste.

Si le parti chrétien.-social avait uni, à sa compréhension des masses, une conception plus juste de l'importance du problème des races, comme l'avait le mouvement pangermaniste, s'il était enfin devenu nationaliste lui-même - ou bien, au contraire, si le mouvement pangermaniste, avec sa juste notion du problème juif et de l'importance de l'idée nationaliste, avait adopté la sagesse pratique du parti chrétien-social et surtout son attitude en face du socialisme - alors, nous aurions vu un mouvement qui eût pu, je crois, jouer avec succès son rôle dans les destinées allemandes. S'il ri en advint pas ainsi, la faute en est pour la plus grande part à l'essence de l'Etat autrichien.

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Comme je ne trouvais dans aucun des partis l'incarnation de mes idées, je ne pus me décider à entrer dans l'une des. organisations existantes pour combattre dans ses rangs. J'estimais déjà que tous ces mouvements politiques étaient ratés, et qu'ils étaient incapables de mener à bout une régénération nationale du peuple allemand vraiment profonde, et non purement extérieure.

Mon aversion intime envers l'Etat habsbourgeois augmenta de plus en plus à cette époque.

Plus je commençai à ni occuper des questions de politique étrangère, plus la conviction prenait racine en moi que ce fantôme d'Etat ne pouvait faire que le malheur des Allemands. Je voyais chaque jour plus clairement que le sort de la nation allemande se déciderait non pas en Autriche, mais dans le Reich lui-même. Non seulement pour des raisons de politique générale, mais aussi de culture dans son ensemble.

L'Etat autrichien montrait sur le terrain de la culture et de l'art aussi tous les signes de la décrépitude ou du moins de l'insignifiance complète pour la nation allemande. Tel était surtout le cas dans le domaine de l'architecture. L'art nouveau ne pouvait remporter en Autriche de grands triomphes en cette matière, parce que, depuis l'achèvement de la Ringstrasse, on ne trouvait plus à Vienne que des tâches insignifiantes en comparaison des plans qui se développaient en Allemagne.

Je commençai donc à mener une double vie : la raison et la réalité me dictaient de continuer mon apprentissage amer mais fécond en Autriche ; mais le cœur n'y était plus.

Un mécontentement déprimant s'empara de moi après que j'eus reconnu le vide intérieur de cet Etat et l'impossibilité de le sauver ; mais, en même temps, je pressentais avec certitude que tout ce qu'il ferait, ce serait le malheur du peuple allemand.

J'étais persuadé que cet Etat devait réduire et entraver tout Allemand véritablement grand, tandis qu'au contraire il devait favoriser toute activité non-allemande.

Le conglomérat de races que montrait la capitale de la monarchie, tout ce mélange ethnique de Tchèques, de Polonais, de Hongrois, de Ruthènes, de Serbes et de Croates, etc., me paraissait répugnant, sans oublier le bacille dissolvant de l'humanité, des Juifs et encore des Juifs.

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Cette ville gigantesque me paraissait l'incarnation de l'inceste.

Le langage allemand de ma jeunesse, c'était le dialecte qû on parle en Basse Bavière : je ne pouvais ni l'oublier ni m'assimiler le jargon viennois. Plus je vivais dans cette ville, plus ma haine devenait vive contre ce mélange de peuples étrangers qui commençait à entamer ce vieux centre de culture allemande.

L'idée qu'on dût prolonger encore les jours de cet Etat me paraissait franchement ridicule.

L'Autriche, à cette époque, était comme une vieille mosaïque dont le ciment qui tient les pièces ensemble est devenu vieux et fragile ; aussi longtemps qu'on ne touche pas à ce chef-d'œuvre, il vous leurre encore d'un semblant d'existence ; mais sitôt qu'on lui porte un coup, il se brise en mille morceaux. Il ne s'agissait plus que du moment où le coup serait porté.

Mon cœur a toujours battu pour l'empire allemand et non pour la monarchie autrichienne ; l'heure de la dissolution de cet Etat me paraissait toujours le début de la libération de la nation allemande.

Toutes ces causes provoquèrent en moi le désir toujours plus fervent d'aller là-bas où, depuis ma jeunesse, m'attiraient des rêves secrets et un secret amour.

J'espérais me faire plus tard un nom comme architecte, et pouvoir rendre à ma nation des services sincères dans le cadre - petit ou grand - que le sort me réserverait.

Enfin, je voulais être de ceux qui ont le bonheur de vivre et d'agir à la place d'où doit venir la réalisation du vœu le plus ardent de leur cœur : la réunion de ma patrie bien-aimée à la grande patrie commune, au Reich allemand.

Ceux qui ne comprendront pas la force de ce désir sont encore nombreux aujourd'hui ; mais je m'adresse à ceux à qui le sort a refusé jusqu'à présent ce bonheur, ainsi qu'à ceux qui en ont été cruellement privés ; je m'adresse à tous ceux qui, séparés de la mère-patrie, doivent lutter même pour le trésor sacré de la langue natale, qui sont poursuivis et malmenés pour leur attachement fidèle à la patrie, et qui attendent avec une ferveur douloureuse l'heure qui `leur permettra de retourner au cœur de leur mère bien-aimée ; je m'adresse d tous ceux-là, et je sais : ils me comprendront !

Seul celui qui sent dans toutes ses fibres ce que signifie

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d'être Allemand sans pouvoir appartenir à la chère patrie, pourra mesurer la nostalgie profonde qui brûle en tout temps dans les cœurs des enfants séparés d'elle. Cette nostalgie torture tous ceux qui en sont hantés, elle leur refuse toute joie et tout bonheur jusqu'à ce que s'ouvrent enfin les portes de la patrie, et que le sang commun trouve paix et repos dans l'empire commun.

Vienne fut et resta pour moi 1`éeole la plus dure, mais aussi la plus fructueuse de ma vie. Je suis arrivé dans cette ville encore à demi enfant, et quand je la quittai j'étais un homme taciturne et sérieux. J'y reçus les fondements de ma conception générale de la vie et, en particulier, une méthode d'analyse politique ; je les ai plus tard complétés sous quelques rapports, mais je ne les ai jamais abandonnés. Il est vrai que ce n'est que maintenant que je puis apprécier à sa pleine valeur les leçons de ces années-là.

J'ai décrit cette période avec plus de détails, parce que j'y reçus mes premières leçons de choses dans les questions fondamentales pour le parti qui, après les plus modestes débuts, en cinq ans à peine, commence à devenir un grand mouvement des masses. Je ne sais pas quelle aurait été mon attitude envers les Juifs, envers la Social-Démocratie, même envers tout le marxisme, envers la question sociale, etc., si un capital d'opinions personnelles ne s'était amassé en moi depuis mes jeunes années, en partie sous la pression du destin, en partie grâce à mes études personnelles.

Car, si les malheurs de la patrie ont pu faire réfléchir des milliers et des milliers de gens sur les causes intérieures de son effondrement, cela ne conduit jamais à cette solidité et à cette pénétration profonde, accessibles seulement à ceux qui sont devenus maîtres de leur destin après des années de lutte.

 

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